Extraits pertinents:

[3]           En défense, monsieur Benoît Desjardins, propriétaire du restaurant, prétend que son restaurant n’est pas parfait mais qu’il est propre. Selon lui, les photos déposées en preuve sont prises de très près ce qui fausse la réalité. De plus, il prétend que ces photos sont modifiées et qu’elles n’ont aucune valeur probante. Au soutien de ce dernier point, il réfère le Tribunal à la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information[2] (ci-après LCCJTI).

Questions en litige

  1.       Est-ce que les documents déposés en preuve, notamment les photos, ont une valeur probante suffisante pour que le Tribunal puisse s’y fier? Si oui, dans quelle mesure?
  2.       Est-ce que l’ensemble de la preuve démontre que les locaux et le matériel du restaurant sont impropres?

Contexte

[4]           Les inspectrices Mélanie Renaud et Suzanne Bilodeau se présentent au restaurant Pizzédélic et constatent que les locaux de préparation des aliments sont malpropres.

[5]           Des photos des lieux sont prises par madame Renaud en présence de madame Bilodeau qui la guide. L’objectif visé est de démontrer l’état d’insalubrité des lieux.

[6]           Lors du procès, madame Bilodeau reconnaît les photos prises par madame Renaud et indique qu’elles sont conformes à ses observations du 20 juin 2011.

[7]           Elle reconnaît également que sur le DVD de photos remis à la défense, la mention « fichier modifié » apparaît pour les dates du 21 juin 2011 et du 1er décembre 2014. Elle n’est pas en mesure d’indiquer qui a modifié les photos ni de déterminer les modifications.

Analyse

Est-ce que les documents déposés en preuve, notamment les photos, ont une valeur probante suffisante pour que le Tribunal puisse s’y fier? Si oui, dans quelle mesure?

[8]           Afin de déterminer la valeur probante de cette preuve, il y a lieu de s’assurer qu’elle respecte les conditions d’admissibilité prévues à la LCCJTI[3].

[9]           Lors de l’inspection, les photos des lieux sont prises avec un appareil photo digital 35 mm conventionnel. L’inspectrice, madame Suzanne Bilodeau, sélectionne 25 photos qui, à son avis, sont les plus éloquentes. Ces 25 photos sont ensuite transférées sur le site commun du MAPAQ.

[10]        Un album est ensuite fait par madame Campeau, secrétaire au MAPAQ.  Cet album est en preuve[4] ainsi que la copie de la défense[5]. La défense dépose également une clé USB[6] contenant les mêmes photos en plus de photos et vidéos provenant de monsieur Desjardins.

[11]        Nous sommes donc en présence de photos qui se retrouvent sur des supports différents, soit deux copies papier et un transfert sur la clé USB.

[12]        L’article 5 de la LCCJTI prévoit que la valeur juridique d’un document technologique dépend de son intégrité :

« 5. La valeur juridique d'un document, notamment le fait qu'il puisse produire des effets juridiques et être admis en preuve, n'est ni augmentée ni diminuée pour la seule raison qu'un support ou une technologie spécifique a été choisi.

Le document dont l'intégrité est assurée a la même valeur juridique, qu'il soit sur support papier ou sur un autre support, dans la mesure où, s'il s'agit d'un document technologique, il respecte par ailleurs les mêmes règles de droit.

Le document dont le support ou la technologie ne permettent ni d'affirmer, ni de dénier que l'intégrité en est assurée peut, selon les circonstances, être admis à titre de témoignage ou d'élément matériel de preuve et servir de commencement de preuve, comme prévu à l'article 2865 du Code civil.

Lorsque la loi exige l'emploi d'un document, cette exigence peut être satisfaite par un document technologique dont l'intégrité est assurée. »

[13]        Donc, c’est l’intégrité du document technologique qui détermine son admissibilité et sa force probante. Même si le document est sur plusieurs supports en même temps, l’intégrité de chacun découle du fait que l’information que porte le document est intacte. Ce principe se trouve à l’article 6 de la LCCJTI :

« 6. L'intégrité du document est assurée, lorsqu'il est possible de vérifier que l'information n'en est pas altérée et qu'elle est maintenue dans son intégralité, et que le support qui porte cette information lui procure la stabilité et la pérennité voulue.

L'intégrité du document doit être maintenue au cours de son cycle de vie, soit depuis sa création, en passant par son transfert, sa consultation et sa transmission, jusqu'à sa conservation, y compris son archivage ou sa destruction.

Dans l'appréciation de l'intégrité, il est tenu compte, notamment des mesures de sécurité prises pour protéger le document au cours de son cycle de vie. »

[14]        La LCCJTI prévoit ces deux mécanismes de reproduction de documents. Sur ce point, l’auteur Gilles De Saint-Exupérie écrit :

«  Pour résumer, la reproduction par copie telle qu’entendue par la Loi se rattache selon nous à la définition originelle de la copie, soit à l’idée de multiplication d’un document, d’abondance.  Cette manipulation a pour fonction de multiplier le document et les informations qu’il contient tout en conservant l’original.  La Loi fait d’ailleurs référence au fait d’obtenir une copie, soit implicitement un double du document, un nouvel exemplaire.  […]

Avec la reproduction par transfert, on s’éloigne de l’idée de reproduction-multiplication pour se rapprocher de l’idée de migration, à l’image de la définition de «transfert» faite par le Dictionnaire de vocabulaire juridique.  Transférer signifie «[d]éplacer d’un lieu dans un autre» et l’opération de «transfert» y est définie comme étant une «opération juridique de transmission d’un droit, d’une obligation ou d’une fonction».  En l’espèce il s’agit de pouvoir transférer la fonction d’original, au document reproduit et de détruire l’original. »[7]

[15]        En regard de la LCCJTI, nous sommes en présence de ces deux mécanismes puisque la clé USB contient une copie de l’original et les reproductions sur papier (photos) constituent un transfert d’un support à un autre.

[16]        L’analyse de la valeur probante des documents peut donc se faire sur la base des copies déposées. Pour ce faire, il faut considérer chacune des photos comme un  document à part entière. L’article 15 de la LCCJTI réfère à cette possibilité :

« 15. Pour assurer l'intégrité de la copie d'un document technologique, le procédé employé doit présenter des garanties suffisamment sérieuses pour établir le fait qu'elle comporte la même information que le document source.

Il est tenu compte dans l'appréciation de l'intégrité de la copie des circonstances dans lesquelles elle a été faite ainsi que du fait qu'elle a été effectuée de façon systématique et sans lacunes ou conformément à un procédé qui s'appuie sur des normes ou standards techniques approuvés par un organisme reconnu visé à l'article 68.

Cependant, lorsqu'il y a lieu d'établir que le document constitue une copie, celle-ci doit, au plan de la forme, présenter les caractéristiques qui permettent de reconnaître qu'il s'agit d'une copie, soit par l'indication du lieu et de la date où elle a été effectuée ou du fait qu'il s'agit d'une copie, soit par tout autre moyen.

La copie effectuée par une entreprise au sens du Code civil ou par l'État bénéficie d'une présomption d'intégrité en faveur des tiers. »

[caractère gras ajouté]

[17]        Comme l’indique le dernier alinéa de l’article 15, il y a une présomption d’intégrité lorsque la copie est effectuée par l’État, c’est-à-dire une présomption selon laquelle l’information qu’elle porte n’a pas été altérée. Cette présomption s’applique en l’espèce puisque les documents proviennent du MAPAQ.

[18]        De ce fait, le fardeau de la preuve est renversé au défendeur qui doit mettre en doute l’intégrité du document relativement à l’information qu’il contient.

[19]        Pour ce faire, le défendeur prétend que la preuve n’a aucune valeur probante en raison de la mention « fichier modifié ». Cette preuve n’est pas convaincante puisque madame Bilodeau est incapable d’indiquer la moindre différence entres les photos déposées malgré cette mention.

[20]        De plus, le Tribunal constate que les documents déposés sont identiques. Bien que les supports soient différents, les photos sont les mêmes.

[21]        Une autre présomption s’applique ici. Elle concerne les différences de forme et d’apparence du document qui n’ont pas pour effet d’en modifier le contenu. Le défendeur invoque des différences de cadre, l’un étant plus large sur certaines photos. L’article 10 de la LCCJTIindique :

« 10. Le seul fait que des documents porteurs de la même information, mais sur des supports différents, présentent des différences en ce qui a trait à l'emmagasinage ou à la présentation de l'information ou le seul fait de comporter de façon apparente ou sous-jacente de l'information différente relativement au support ou à la sécurité de chacun des documents n'est pas considéré comme portant atteinte à l'intégrité du document.

De même, ne sont pas considérées comme des atteintes à l'intégrité du document, les différences quant à la pagination du document, au caractère tangible ou intangible des pages, à leur format, à leur présentation recto ou verso, à leur accessibilité en tout ou en partie ou aux possibilités de repérage séquentiel ou thématique de l'information. »

[22]        Les documents déposés sont porteurs de la même information mais sur des supports différents. Quant au support sur lequel se trouve l’information, il est présumé intègre en application de l’article 7 de la LCCJTI :

« 7. Il n'y a pas lieu de prouver que le support du document ou que les procédés, systèmes ou technologies utilisés pour communiquer au moyen d'un document permettent d'assurer son intégrité, à moins que celui qui conteste l'admission du document n'établisse, par prépondérance de preuve, qu'il y a eu atteinte à l'intégrité du document. »

[23]        À noter que le défendeur ne s’attaque qu’à la valeur du contenu et non au support sur lequel repose les documents.

[24]        À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que les documents ont une valeur probante suffisante et qu’il peut s’y fier pour analyser la preuve.

[...]


Dernière modification : le 26 avril 2017 à 16 h 40 min.