Le testament olographe est rigoureusement assujetti à des règles de forme qui, si elle furent insérées dans le C.c.B-C., ont par la suite été reprises à l’article 726 C.c.Q. :

« Le testament olographe doit être entièrement écrit par le testateur et signé par lui, autrement que par un moyen technique. » [C.c.Q., art. 726]

Ceci étant dit, il y a aussi l’article 714 C.c.Q. qui fut introduit par le C.c.Q. pour au contraire faire preuve d’une plus grande ouverture qui avait été mise en place par la jurisprudence précédente :

« Le testament olographe ou devant témoins qui ne satisfait pas pleinement aux conditions requises par sa forme vaut néanmoins s’il y satisfait pour l’essentiel et s’il contient de façon certaine et non équivoque les dernières volontés du défunt.»

Ces deux dispositions s’affrontent ; de certains de laisser entendre qu’elles se contredisent [BEAULNE, 2002, #25 et 30]. Sans être exhaustif sur la question, la jurisprudence oscille entre une vision plus permissive autorisée par cette dernière disposition [Archambault c. Dénommé, 2013 QCCS 1407] et au contraire, une autre plus rigoureuse [Bellemore (Succession de)], considérant qu’il importe de tenir compte de la gravité de l’acte en cause [Paradis c. Roberge, 1999 QCCA 13339]. Relativement à la dernière hypothèse, on peut notamment citer la récente décision de la Cour d’appel dans Elliott c. Lamb qui refuse de valider un testament olographe sur la seule base du fait que celui-ci a été majoritairement écrit avec un traitement de texte :

« [2] le seul apport manuscrit sur les deux pages que comporte le document présenté pour vérification consiste dans l'apposition de la date et de la signature sur la deuxième page de ce document. Tout le reste consiste dans une reproduction mécanique d'un texte créé par ordinateur. » [Elliott c. Lamb, 2012 QCCA 173]

[1] Cette situation factuelle est fréquente ; elle constitue sans doute l’hypothèse qui donna lieu au plus grand nombre de vérification par les tribunaux et c’est sur celle-ci que nous allons surtout nous appesantir. Personnellement, et sans se positionner quant à la « justice » associée à cette manière d’interpréter, ni sur la capacité de communication que possède un traitement de texte plutôt qu’une page manuscrite, nous considérons que la seconde devrait prévaloir, et ce, conformément à une longue tradition d’auteurs

« qui reprochent aux tribunaux leur propension à accorder trop d'importance à la volonté du défunt, au détriment des exigences de forme ». [Gariépy (Succession de) c. Beauchemin, #21]

Un reproche qui s’adresse surtout aux juges de premières instances ; de ceux qui entendent les témoignages et qui sont les plus enclins à être « impressionnés » (au sens photographique du terme) par la volonté rapportée des testateurs.

[2] L’approche à préconiser pour en arriver là est classique et se dégage d’abord et avant tout de la doctrine et de la jurisprudence et moindrement de l’étymologie du terme « olographe » qui ne laisse pourtant que peu de doutes [Auger c. Comité de retraite de l'Université de Montréal, 2001 QCCS 1223]. Dans Gariepy par exemple, on fait état que la balance entre ces deux dispositions du C.c.Q. doit s’analyser au regard des trois critères cumulatifs qui ont été dégagés dans Paradis c. Roberge [Paradis c. Groleau-Roberge, 1999 QCCA 13339] puis par le professeur Brière [BRIÈRE, 2002] afin de s’affranchir de 726 C.c.Q. et d’utiliser la souplesse de 714 C.c.Q. ; trois critères qui découlent en fait de la lettre même de l’article 714 :

• Il faut un vice de forme ;
• Il faut que la formalité manquante soit non essentielle ;
• Il faut enfin que la volonté du testateur soit non équivoque.

Relativement au vice de forme, il n’y a pas tellement à dire dans la mesure où il ne semble généralement pas poser problème dans les cas qui sont présentés en jurisprudence. L’article 726 C.c.Q. établit assez clairement que deux conditions formelles s’imposent pour un testament olographe, à savoir la rédaction de la main du testateur et sa signature. Plus précisément, il est vrai que la référence « à la main » a disparu comparativement à ce qui prévalait dans l’ancien article 850 C.c.B-C. mais la formule actuelle est plutôt « négative » en prescrivant qu’aucun « moyen technique » ne peut être utilisé. Selon la Cour supérieure dans Paradis c. Groleau-
tolérance vis-à-vis de ce que certains personnes handicapées sont capables de faire ; aucunement pour supposer davantage de permissivité sur le plan technologique. Aussi, il semble ne pas faire de doute que le rejet de tout moyen technique vaut tant pour la rédaction que pour la signature.

[3] Le second critère (le troisième dans la liste précitée) est évidemment la volonté non équivoque du de cujus. Nous l’avons dit, ce critère est généralement déterminant dans l’analyse des juges qui sont enclins à faire prévaloir la volonté réelle sur le respect d’une exigence formelle. Au-delà de cette inclinaison, il n’y a en revanche rien à dire quant à l’appréciation qui en est faite par les juges, ceux-ci étant souverains en la matière, cette appréciation factuelle n’étant jamais remise en cause par les cours d’appel.

[4] En fait, l’essentiel du débat porte sur le dernier critère (le deuxième dans la liste précédente) qui exige, pour que 714 C.c.Q. puisse s’appliquer, que le vice de forme porte sur un élément non essentiel. La disposition considère plus précisément que l’on peut s’extraire du rigorisme d’une règle de forme – tel que l’article 726 C.c.Q. – dès lors que l’essentiel de la formalité est consacré. Cette question est la plus importante, préalable à l’analyse de la volonté du testateur [Gariépy (Succession de) c. Beauchemin, #23], et demande à être objectivée par le juge. Mais comment faire ?

[5] Dans l’arrêt Gariepy, en se basant sur les écrits du juge Kasirer [KASIRER, 1997, #18], cette quête d’objectivation va prend appui sur l’identification des objectifs de la formalité [Gariépy (Succession de) c. Beauchemin, #31]. Une démarche qui est d’ailleurs similaire dans St-Jean Major c. Archambault, lorsqu’il est dit :

« 33. (...) l'article 714 est une application du principe suivant lequel on ne saurait invoquer qu'une formalité n'a pas été accomplie lorsque le but pour lequel la formalité était exigée a été complètement atteint. » (Nos soulignements) [2004 QCCA 13654]

Autrement dit, et pour faire le lien avec une expression qui nous est chère, il importe d’analyser ses fonctions ; d’analyser si les fonctions de la formalité sont équivalentes à celles que la disposition souhaitait voir appliquer. Une fois n’est pas coutume, la vision classique s’harmonise donc parfaitement avec le néologisme d’équivalence fonctionnelle qui fut développée en droit des technologies .

[6] Aussi, quelle est la fonction de l’écriture et de la signature autrement que « technique » ? Pour reprendre un auteur que nous avons précédemment utilisé, et justement repris dans l’article du juge Kasirer cité dans Gariepy, il existe trois fonctions fondamentales : la preuve, la protection (cautionary Function) et l’efficacité (channeling function) [FULLER, 1941]. En l’espèce, si le testament a bien évidemment un objectif de preuve, la raison d’être principale des formalités presque rétrogrades du testament olographe est d’abord et avant tout de s‘assurer de la prise de conscience du signataire qui conclu un acte d’une telle importance. Il s’agit donc d’une démarche « rituelle » [KASIRER, 1997], « assurantielle » [BELLEY, 1996, #353], qui cherche à s’assurer que le testateur a pleinement souhaité ce qu’il écrit, qu’il l’a fait en connaissance de cause et sans avoir subi aucune pression de la part d’un tiers.

[7] Il ne fait aucun doute que l’écriture par traitement de texte est plus rapide, plus efficace, plus lisible très souvent et généralement plus facile à faire [Archambault c. Dénommé, 2013 QCCS 1407, #59]. Mais ceci n’a aucune importance. En fait, si. C’est justement à cause de cette facilité que l’on se doit d’être vigilant quant au respect de la fonction de protection qui est attachée à cette formalité. C’est justement parce que le législateur n’évaluait que mal, surtout en 1994, l’état de la différence que présente l’écriture « technique » en comparaison de celle manuscrite, qu’il a expressément exclue la première, sans doute avec une certaine sagesse.

[8] Aussi, l’interprétation basée sur les fonctions de la formalité en cause nous amène à croire qu’il faille interpréter avec rigueur l’article 714 C.c.Q., et ce, pour au moins trois raisons. En premier lieu, la fonction protectrice souffre généralement d’une interprétation beaucoup plus rigide qu’une fonction probatoire. Si le droit québécois, sous l’influence de la common law, a toujours eu une interprétation sur les formalités beaucoup plus libérales que la jurisprudence que l’on peut trouver en Europe, comme en France [GAUTRAIS, 2012, #247], ceci ne vaut généralement que pour le formalisme de preuve tel que celui que l’on trouve parfois en matière de signature. En deuxième lieu, sur le plan factuel, et comme mentionné précédemment, il nous apparaît clair qu’il n’y a pas d’équivalence entre rédiger sur « word » et le faire sur papier. En troisième lieu, on peut encore une fois se servir de l’arrêt Gariepy [Gariépy (Succession de) c. Beauchemin], et ce, même si le vice de forme portait en l’occurrence sur l’absence de signature. Les juges ne manquent en effet pas de distinguer l’hypothèse où la signature est, pour une raison ou une autre, viciée, de celle où elle tout simplement absente. Dans cette dernière hypothèse, la situation est passablement plus grave et l’on se trouve alors dans une hypothèse où le manquement formel ne peut plus être envisagé comme non essentiel [Gariépy (Succession de) c. Beauchemin, #45]. Ainsi, 714 C.c.Q. pourrait s’appliquer dans l’hypothèse où seulement une partie du testament a été écrit au traitement de texte. En revanche, lorsque c’est l’intégralité de celui-ci sauf la signature (qui est une autre formalité) et la date (qui est un élément assez anodin), il est difficile de croire que l’on puisse faire preuve d’une certaine mansuétude.

[9] Cette rigueur apparaît donc de mise. Le document comme acte juridique, est associé à un formalisme rigoureux afin que la solennité associée à l’acte puisse être consacrée et, en bout de ligne, que la volonté manifestée du de cujus soit protégée. La fonction assurantielle du formalisme associé à l’acte en tant que tel est particulièrement présente dans le cas du testament. Dans Gingras c. Gingras, en 1948, le juge Taschereau cite l’auteur Beudant qui écrit ceci :

« 261. Importance de la forme. - De même qu'en matière de donations, les formes sont exigées, pour le testament, à de nullité (article 1001). Comme la donation, en effet, le testament, envisagé en, tant que mode de disposition de biens, est de nature à faire craindre les suggestions intéressées, les abus d'influence, la captation. Plus encore que la donation, le testament est suspect, à cet égard, car il est fait généralement à l'approche de la mort, c'est-à-dire à l'heure où l'affaiblissement physique et moral expose davantage aux entreprises de la cupidité. Par suite, la nécessité s'impose d'autant plus de veiller à assurer l'indépendance du testateur. La plupart des règles de forme s'expliquent par cette considération; elles sont imposées comme protection de la liberté du testateur, comme garantie de l'indépendance de ses décisions. » [[1948] SCR 339]

On peut se désoler de ce rigorisme. Quoi que ! Dans l’hypothèse où il faudrait changer la donne, alors, sans aucun doute, faudrait-il demander une intervention du législateur.


Dernière modification : le 27 janvier 2014 à 11 h 30 min.