Table des matières

1 – Justifications autour du transfert

A - Transfert et notions similaires

B -  Transfert et documentation

C -  Transfert et distinction avec la copie

2 – Reconnaissance du transfert

3 – Modalités autour du transfert

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[1] Un peu comme pour la copie [Copie], nous souhaitons envisager avec la notion de transfert la reconnaissance que la Loi en a fait (B) ainsi que les modalités qui l’entourent (C). Mais au préalable, ce néologisme exige quelques explications relativement à sa pertinence (A).

1 – Justifications autour du transfert

[2] Dans ce paragraphe introductif, nous souhaitons surtout évoquer une question principale : pourquoi ? Un pourquoi qui se décompose en fait en plusieurs questions autour de l’interaction entre transfert et copie. En premier lieu, nous nous interrogeons sur les origines de cette forme de reproduction. Dans un deuxième temps, et toujours sur le même thème, nous tenterons de justifier l’introduction dans la Loi (article 17 et suivants) et le C.c.Q. (2841 C.c.Q.) d’une reproduction différente de celle, traditionnelle, qu’est la copie avec une exigence distincte : la documentation. Enfin, en troisième lieu, il s’agit de se demander pourquoi en pratique cette forme de reproduction est si différente de la copie.

A - Transfert et notions similaires

[3] Pour répondre à la première question, il nous apparaît impérieux de regarder tout d’abord dans le monde des sciences de l’information où la notion est depuis longtemps connue. Néanmoins, elle y est traitée plus souvent qu’autrement sous des appellations différentes et notamment sous celles de « migration » et de  « conversion ». Plus exactement, en lisant plusieurs normes qui traitent de la préservation des données en général, de l’archivage, il semble que le transfert soit une appellation assez générale qui comprend les deux autres. En effet, la migration semble s’attacher particulièrement au changement de support. Dans une norme française relative à la gestion de l’intégrité des documents et de l’archivage électronique, en lien avec d’autres textes précités, la migration est question de changement de support :

« opération qui consiste à transférer le contenu de certains types de supports vers d’autres types, notamment afin d’anticiper l’obsolescence du support concerné » (Nos soulignements).

La conversion est quant à elle davantage reliée à des modifications de format ; de ce que la Loi évoque sous le terme de « technologie » [Technologie].

« opération qui consiste à convertir le document dans un format différent de celui dans lequel il était précédemment encodé. Elle doit préserver la fidélité du document ». (Nos soulignements)

Bien sûr, l’unanimité ne semble pas de mise ; néanmoins, cette dualité de situations semble acquise, chacune d’elles étant souvent traitées non pas différemment mais distinctement au sein des normes. Deux termes qui correspondent aussi assez fidèlement, nous le verrons, aux deux situations que prend soin de décrire l’article 2841 C.c.Q.

[4] Enfin, pour éclairer cette notion qui est encore une fois nouvelle dans le domaine du droit, il importe de savoir pourquoi un transfert est généralement requis au sein d’une institution. Là encore, les justifications autour de cette opération viennent des normes techniques et notamment de la norme OAIS qui identifia clairement trois raisons qui permettent d’expliquer pourquoi un transfert pourrait être fait : la première est l’efficacité redoutable que les technologies offrent très souvent en terme de coût. Conserver des données est de moins en moins dispendieux. L’exemple très souvent cité est bien évidemment les étages de documents papier qui peuvent être libérés en étant numérisés sur un support presque anodin en terme d’espace ; que ce soit un seul ordinateur, voire de l’infonuagique (Cloud Computing). Cette source de motivation est bien réelle, et ce, même si d’autres coûts apparaissent à d’autres postes, notamment pour la documentation. Plus convaincant selon moi, la migration peut être justifiée par une hausse de la qualité du service. Que ce soit pour des raisons d’une meilleure accessibilité ou tout simplement eu égard aux atouts qu’un fichier numérique présente, le changement de support (par exemple du papier vers le numérique) ou de technologie (d’une technologie « x » à une technologie « y ») est d’abord et avant tout justifié pour les atouts que la migration est susceptible d’offrir. Enfin, le transfert se justifie pour des raisons de préservation dans la longue durée. Tout support dispose d’une date de péremption. Si le support papier est malgré tout, sous réserve de modalités de conservation idoines, d’une durée de conservation relativement longue, certains supports numériques ne dépassent pas une ou deux décennies [Institut canadien de l’information]. Le transfert peut donc s’imposer parfois tout simplement pour satisfaire à une obligation légale de conservation, celle-ci valant évidemment pour le document en tant que tel [Article 6] mais également pour le matériel utilisé. Notons que si cette distinction semble irriter en droit québécois [MARSEILLE + LESCOP,  2008], d’autres, en France, montrent comment cette notion au départ oublié a du par la suite être spécifiquement envisagée [BANAT-BERGER + CANTEAUT, 2013].

B - Transfert et documentation

[5] Le deuxième constat que l’on peut porter en analysant ces normes, cette « voix de l’industrie », et ce en dépit des travers que l’on peut leur attacher, c’est que la solution pour gérer les transferts est toujours la même : la documentation. Une solution qui n’est pas étrangère au droit ; une solution dont nous ne cessons de vanter ; une solution qui est unanimement consacrée dans le monde des sciences de l’information. Là encore, les normes sont non équivoques : la norme française précitée le prévoit spécifiquement pour les hypothèses de migration de support. Mais plus généralement, c’est la solution qui s’exprime par l’obligation de rédiger des politiques, des procédures, les premières étant généralement les documents les plus généraux et les seconds les plus applicatifs. Mais nous ne reviendrons pas sur cette notion déterminante.

iii) Transfert et distinction avec la copie

[6] Le constat que les sciences de l’information nous permettent de faire également est que le transfert n’est pas la copie. Si nous avons vu que le premier est lié à un changement de format, de technologie, la technologie pouvant être consécutive à un changement de support, la seconde

est généralement associée à l’identité du support. La norme ISO 15489-2 prend d’ailleurs le soin de mentionner qu’il existe trois formes de reproduction ; ou deux si l’on assimile la migration et la conversion comme faisant partie du transfert :

« Preservation strategies can include copying, conversion and migration of records. » (Nos soulignements)

Évidemment, le fait que deux régimes distincts s’appliquent pour les deux formes de reproduction n’est pas source à simplicité [MARSEILLE + LESCOP, 2008]. En effet, il y a d’une part pour la copie le critère substantiel de « garanties suffisamment sérieuses » de l’article 15 et de certification que l’on trouve à 2841 C.c.Q. et, d’autre part, pour le transfert, l’exigence plus procédurale de documentation, en conformité avec l’article 17 de la Loi et 2841 C.c.Q. Même si cette situation de dualité n’est pas idéale, nous sommes prêts à l’apprivoiser, et ce, pour les quatre raisons suivantes.

[7] En premier lieu, elle nous semble correspondre à la différence factuelle que nous avons évoquée plus tôt. Le transfert est différent car il va occasionner une « perte » de données [MARSEILLE + LESCOP,  2008]; de métadonnées. En deuxième lieu, la différence n’est peut-être pas si grande que cela dans la mesure où il est aisé de prétendre que la certification, surtout du fait de la grande liberté d’exécution qui la caractérise désormais, peut être assimilée à une certaine forme de documentation [GAUTRAIS + GINGRAS, 2010]. En troisième lieu, la Loi qui a introduit cette dualité de régime n’a pas voulu bouleverser les modalités relatives à la copie certifiée telles qu’elles prévalaient relativement au document sur support papier. La copie certifiée demeure, et ce, même si nous avons vu qu’il peut désormais y avoir des copies numériques. Enfin, en quatrième lieu, nous voudrions faire état d’une jurisprudence française qui face à une forme de reproduction d’un document, a trouvé que l’on n’était pas dans une hypothèse de copie.

[8] Dans le cadre d’une comparaison avec le droit français, le préalable qu’il importe de signaler est que le transfert n’a pas été introduit dans la loi et précisément le C.c.f. Ce dernier en effet ne dispose que du seul article 1348 qui traite de la copie qui, de façon assez proche de notre article 15, évoque l’obligation d’avoir une copie à la fois « fidèle » et « durable » [article 1348 C. civ.]. La copie est donc la seule forme de reproduction introduite dans le droit positif français. Ceci dit, les juges français furent confrontés à des situations qui s’apparentent à ce que nous dénommons le transfert. En l’espèce, dans une affaire traitée devant la Cour de cassation en mars 2011, une preuve est présentée en l’absence de l’original, détruit. Les juges reconnaissent que ce n’est pas une « vraie » copie dans la mesure où la forme du document est manifestement différente. Il ne peut donc y avoir « fidélité » dans l’apparence du document. En revanche, et reprenant le propos de la partie en cause, « un reflet informatique du contenu du courrier » est disponible avec ce document. Les juges vont donc admettre en preuve ce qu’ils appelleront finalement « une réplique informatique », et ce, même si on ne sait pas exactement, au regard de l’arrêt, en quoi elle consistait (une copie d’écran, une composition de différents documents, une « trace » d’un envoi d’un courriel, etc.). Qu’importe, la Cour de cassation reconnaît autre chose qu’une copie ; une autre forme de reproduction, avec des critères distincts.

2 – Reconnaissance du transfert

[9] La seconde manière de faire une reproduction est donc, selon la Loi, le transfert. Avec cette notion, on s'éloigne de l'idée de « multiplication » que l’on peut trouver dans la copie et, davantage, on se rapproche de celle de migration, à l'image de la définition de « transfert » faite par le dictionnaire de vocabulaire juridique [CORNU G., 2011]. Ainsi, à « transférer », on évoque le fait de se « [d]éplacer d'un lieu dans un autre » ou l'opération de « transfert » y est définie comme étant une « opération juridique de transmission d'un droit, d'une obligation ou d'une fonction ». Bien que la notion de transfert que l’on trouve dans la Loi n’est pas une notion juridique au départ, on peut sans doute utiliser cette définition pour considérer que, sous certaines conditions, cette manipulation permet de transférer la « valeur juridique » du document original et de détruire ce dernier, contrairement à la manipulation de la copie qui ne vient que se substituer à un document source, pour des fins de plus grande facilité ou d’efficacité. Le transfert est donc une opération qui permet d’attribuer une « valeur juridique » [GAUTRAIS V., 2012] à un document dès lors que son passage d'une technologie à une autre est documentée. Pour corroborer ce point, une définition peut être trouvée à l’article 17 al.1 qui prévoit :

« L'information d'un document qui doit être conservé pour constituer une preuve, qu'il s'agisse d'un original ou d'une copie, peut faire l'objet d'un transfert vers un support faisant appel à une technologie différente. »

[10] Deux commentaires peuvent être fait à cette étape. D’abord, l’article 17 n’évoque que l’hypothèse de la preuve qui est effectivement la raison principale pour laquelle un document transféré doit être conservé. Ceci dit, on pourrait imaginer qu’un document transféré puisse avoir à remplir un certain nombre d’exigences formelles qui rentrent, selon nous, dans la définition de ce qu’est la notion de « valeur juridique ». Ensuite, alors que la copie, dans la définition proposée dans le précédent paragraphe, met l’accent sur le support, le transfert appuie davantage sur la notion de technologie.

[11] Tout comme pour la copie, il existe donc deux hypothèses qu’il importe de distinguer au sein de la notion de transfert. En premier lieu, un transfert peut impliquer qu’aucun changement de support ne soit constitué, mais que la technologie diffère. À titre d’exemple, il s’agit de la situation ou une personne désire « transformer », transférer devra t-on dire, un document en format « .doc » en format « .pdf » afin de le conserver sur le même disque dur de son ordinateur portable. Il n’y a donc pas de changement de support, le disque dur étant le même pour les deux documents. En revanche, la technologie va être différente et cela va notamment se concrétiser avec, parfois, un changement dans la forme du document avec des espaces qui vont être générés automatiquement, mais parfois aussi, aucun changement ne sera apparent. En revanche, la « construction » même du document va être sensiblement distincte selon la technologie employée ; selon le logiciel que l’on utilise [PAULIAC, 2010].

  • un fichier « .pdf » transféré dans un autre en « .doc » ;
  • EX: une vidéo en fichier «.mpg» transférée par la suite dans un format « .mpeg ».

En second lieu, le transfert peut également survenir suite au changement du support ; un changement de support qui est tel qu’il a une incidence directe sur la technologie en cause. Car rappelons-nous, c’est la technologie qui est l’élément central dans la qualification du transfert. Là encore, c’est avec des illustrations que l’on est le mieux à même de comprendre cette hypothèse. La situation la plus commune est celle, classique, où un document papier est numérisé pour, par exemple, détruire le document source. De l’autre côté, et là encore il s’agit d’une hypothèse éminemment courante, ce second type de transfert correspond au document numérique qui est imprimé. De même, l’enregistrement sur une clé USB en format PDF d’une page Internet constitue un transfert, tout comme l’impression d’un courriel sur une feuille de papier. Voici maintenant des exemples de ce second type de transfert :

  • un fichier en format « .doc » est imprimé sur une feuille de papier [GUILMAIN, 2012], même si cela ne fait pas l’unanimité [PHILLIPS, 2010] ;
  • une page Internet en « .html » ou un courriel sont imprimés pour être présentés en Cour. (Cette situation survient à plusieurs reprises dans la jurisprudence) [Cintech Agroalimentaire, division inspection inc. c. Thibodeau, # 20 ; Vandal c. Salvas, # 11.]
  • une feuille de papier est numérisée pour être sauvegardée dans un fichier « .pdf » sur le disque dur d’un ordinateur.

En fait, cette double situation qui rentre sous l’appellation de transfert selon l’article 2841 C.c.Q. est exactement se qui ressort de la définition de « migration » que la norme ISO 15489-1 apporte à la notion :

« act of moving records from one system to another, while maintaining the records' authenticity, integrity, reliability and useability ».

3 – Modalités autour du transfert

[12] Nous l’avons déjà mentionné, le régime du transfert présente une différence sensible d’avec celui de la copie. En effet, si cette dernière réfère à un critère substantiel, l’article 17 de la Loi et 2841 C.c.Q. évoque la mise en place d’une mesure plus procédurale, la documentation. Ceci dit, la différence est plus conceptuelle que véritable, la certification étant comme la documentation une preuve annexe qui peut être élaborée avec une grande souplesse. À cet égard, il faut noter que si ce type de reproduction requiert une documentation, celle-ci n’a pas toujours besoin d’être très élaborée [DE RICO + JAAR, 2008]. Il est d’ailleurs possible de prendre exemple avec les formulaires appropriés à cet effet [formulaire de documentation].

[13] L’article 2841 al. 2, tel que rédigé dans la Loi, et comme pour la copie certifiée, est venu étendre assez nettement la recevabilité en preuve de documents qui ne sont pas formellement des originaux. En effet, le transfert d’un document original, dès lors qu’il est dûment documenté, peut se substituer au document reproduit. Déjà, avec l’avènement du C.c.Q., une même tendance à une plus grande admissibilité devait être constatée par rapport à la Loi sur la preuve photographique de documents [ROYER + LAVALLÉE, 2008]. Assurément, cette nouvelle mouture constitue une dérogation sérieuse à la règle de la meilleure preuve, et ce, tant pour les documents papier que pour les documents technologiques.

[14] Sous réserve du respect de leur condition respective, à savoir la certification et la documentation, la copie et le transfert peuvent équivaloir la qualité d’un original, et ce, en conformité avec l’expression « peuvent légalement tenir lieu » de l’article 2841 C.c.Q. Une expression qui se retrouve d’ailleurs aussi à l’article 2860 al. 3 C.c.Q., un lien semblant en effet directement tissé entre 2841 C.c.Q. et cette dernière disposition. En revanche, il faut noter que si cette reconnaissance est explicite pour la copie qui « tient lieu » d’original, l’article 2860 C.c.Q. ne fait aucune référence expresse à l’hypothèse du transfert. Cette omission est difficile à expliquer eu égard au parallélisme entre copie et transfert. Peut-être, elle pourrait se comprendre par le fait qu’en certains cas, et notamment celui de la destruction de l’original, le transfert se substitue tout simplement à lui. Notons aussi que la capacité du transfert dûment documenté à remplacer l’original est explicite en revanche à l’article 17 al. 1 de la Loi [article 17 al. 1].

[15] Tout comme pour la copie, l’article 2842 al.2 C.c.Q. vient préciser brièvement les modalités relatives à la documentation. En fait, il ne fait que renvoyer à l’article 17 de la Loi qui développe quelque peu tant sur l’exigence de la documentation que sur les modalités relatives à son élaboration la manière de faire. Le troisième alinéa élabore en effet et exige quelques renseignements obligatoires tels que le format d’origine, le procédé utilisé et ses garanties, quelques données plus techniques relatives à l’intégrité [article 17 al. 2]. Cette liste est évidemment indicative et pourra être plus complète. Dans les hypothèses plus sophistiquées, et comme pour la certification de la copie, le lien avec une personne soit en charge du transfert soit de la documentation sera déterminant. Si nous avons dit précédemment que la documentation n’a pas besoin d’être élaborée, la jurisprudence devra déterminer néanmoins quel est le seuil suffisant lui permettant de croire à l’intégrité de l’information ainsi transférée. Bien peu de décisions ont débattu de la question de front. La chose n’est d’ailleurs pas étrange car bien peu de décisions ont parfaitement relevé la distinction, certes nouvelle, entre copie et transfert [Sécurité des Deux-Rives ltée c. Groupe Meridian construction restauration inc., 2013 QCCQ 1301 ; Lefebvre Frères ltée c. Giraldeau, 2009 QCCS 404 ; Intercontinental Corporate Technology Services Ltd. c. Bombardier inc., 2008 QCCS 5086].

Pour en savoir plus : Émilie Mouchard, «Passage du «.doc» vers «.docx» : copie ou transfert ?»


Dernière modification : le 11 novembre 2013 à 11 h 19 min.