Développement

 

1. Définition

2. Fonctions de la signature

2.1. La signature comme instrumentum

2.2. La signature comme actum

2.2.1. Tendances libérales quant à l’interprétation de la signature

2.2.2. Souplesse quant à la reconnaissance d’une signature

2.2.3. Souplesse quant à la reconnaissance de ses fonctions

3. Interprétation de la signature

3.1. Signature et constat d’infraction - Affaire Bolduc

3.2. Signature et testament

3.3.Signature et vente immobilière

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1. Définition

[GUIDE FONDATION DU BARREAU, 2005, #21]

[1] Depuis quelques années seulement, 1994 précisément, il est possible de trouver au Québec une définition juridique de ce qu’est la signature. Le CCQ dispose en effet à l’article 2827:

«2827. La signature consiste dans l'apposition qu'une personne fait à un acte de son nom ou d'une marque qui lui est personnelle et qu'elle utilise de façon courante, pour manifester son consentement.» (Nos soulignements)

[2] Cette vision fut ensuite précisée en 2001 par l’article 39 de la Loi :

«39. Quel que soit le support du document, la signature d'une personne peut servir à l'établissement d'un lien entre elle et un document. La signature peut être apposée au document au moyen de tout procédé qui permet de satisfaire aux exigences de l'article 2827 du Code civil.

La signature d'une personne apposée à un document technologique lui est opposable lorsqu'il s'agit d'un document dont l'intégrité est assurée et qu'au moment de la signature et depuis, le lien entre la signature et le document est maintenu.» (Nos soulignements)

[3] Le premier établi les deux fonctions fondamentales de la signature que sont l’identité de la personne (fonction 1) et la manifestation de volonté (fonction 2), et ce, conformément à la notion d’équivalence fonctionnelle [Équivalence fonctionnelle]; le second les corrobore et précise les modalités de la signature en général (au premier alinéa) et de la signature technologique (au second alinéa). Cela dit, à elles seules, ces deux dispositions ne lèvent pas toutes les ambigüités liées au caractère polysémique de la notion [DEVÈZE, 2001, #531].

[4] En effet, il est possible d’analyser la signature de deux manières : en tant qu’instrumentum et en tant qu’ actum. Le premier correspond à une condition nécessaire à l’accomplissement de l’acte ; le second est la manière dont le signataire manifeste son consentement. D’un côté, il y a «l’apposition faite à un acte» et de l’autre il y a la manière de manifester son consentement en utilisant par exemple une signature manuscrite (tel un gribouillis), une « marque », un code ou autre procédé. Pour reprendre l’expression d’un auteur, il y a donc « l’acte signé » et « l’acte de signer » [DEVÈZE, 2001, #531]. Cette dichotomie est intéressante car elle correspond à deux problématiques que l’on retrouve régulièrement dans la jurisprudence.

[5] En premier lieu, il importe de regarder ce à quoi correspond l’acte signé et notamment quelles sont les fonctions attachées à la formalité qu’est la signature. Nous pourrions commencer notre propos en tenant compte du cas très particulier des testaments olographes où la jurisprudence s’est notamment basée sur un article de Lon Fuller qui identifie trois fonctions fondamentales qu’une formalité est susceptible d’avoir : la fonction probatoire ; la fonction de solennité (cautionary) et la fonction d’efficacité (channeling) [FULLER, 1941, #801]. Ainsi, dans les arrêts [Gariépy (Succession de) c. Beauchemin, 2006] et [Kaouk (Succession de) c. Kaouk, 2008] rendus par la Cour d’appel, une pareille approche fonctionnelle fut utilisée, approche qui dans ces deux cas a permis de dégager que l’absence de signature est fatale dans un testament du fait de la fonction de solennité qui est associée à cet acte en particulier. Dans l’arrêt Gariépy (#37) par exemple, l’honorable juge Hilton reprend les propos du professeur Kasirer, maintenant juge, pour mettre l’exergue sur la fonction «rituelle» qui est associée à cet acte.

[6] En second lieu, l’étude de la signature devra également permettre une analyse de la notion au regard de la manière dont se matérialise la manifestation du consentement par le signataire. Ici, on s’arrêtera donc moindrement à l’acte, mais davantage à la qualité du procédé utilisé pour s’identifier et signifier son adhésion au contenu de l’acte, et ce, conformément à l’article 2827 du CCQ. Il s’agira là de vérifier si les deux fonctions identifiées à cette disposition sont accomplies, deux fonctions qui ne sont pas reliées à la spécificité de l’acte en tant que tel mais davantage à l’actum, c’est-à-dire au processus que le signataire a suivi pour que la signature soit réalisée.

[7] Ainsi, l’analyse en la matière nous amène à penser qu’il faille traiter de ces deux questions successivement : dans un premier temps, il importe de regarder quelles sont les fonctions formelles associées à un acte en particulier (instrumentum). Dans un second temps, il faut déterminer si la signature en tant que telle est prouvée (actum), et ce, notamment sur la base de l’article 2827 du CCQ et de l’article 39 de la Loi. Évidemment, plus l’acte doit être formel et plus la preuve du moyen utilisé pour manifester le consentement de l’individu devra être non équivoque.

2. Fonctions de la signature

[8] L’équivalence fonctionnelle [Équivalence fonctionnelle] est un principe fondamental de la Loi. Mais cette quête des fonctions de la signature nous semble double, et ce, conformément à la distinction que nous avons fait plus tôt. Il y a d’abord les fonctions attachées au document signé, à l’instrumentum. Il y a ensuite les fonctions de la marque que constitue aussi la signature, en tant qu’actum.

2.1Fonctions de la signature en tant qu’instrumentum

[9] Lorsqu’une loi, quelle qu’elle soit, exige qu’une signature soit apposée, elle cherche à assurer une formalité qui vise à remplir un objectif; une fonction. Selon Lon Fuller, trois fonctions peuvent être associées à une formalité [FULLER, 1941, #800-801]. Aussi, suivant la trilogie fonctionnelle présentée par cet auteur, l’écrit est d’abord susceptible d’être utilisé comme élément de preuve, ensuite comme élément de solennité, (cautionary) et enfin comme élément d’efficacité (channeling).

[10] Une formalité est souvent vue d’abord et avant tout comme étant un moyen de remplir une exigence de preuve. C’est par exemple le cas à l’article 2640 CCQ où la convention d’arbitrage doit être constatée par écrit ou à l’article 13 (4) de la Loi sur le droit d’auteur qui exige qu’une cession de droit d’auteur soit faite par écrit signé. En revanche, la signature qui est parfois exigée dans certaines lois ne nous apparaît pas toujours déterminante pour prouver ni le contenu de l’acte ni l’identité du signataire. Une auteure, Isabelle Dauriac, mentionne à cet effet que :

«la fonction d’identification n’est pas une fonction probatoire mais une fonction symbolique. » [DAURIAC, 1997, #182]

[11] Si l’on prend l’exemple du constat d’infraction, ce sont donc le nom, le matricule et la qualité de l’agent de la paix – et éventuellement le code associé à la machine émettrice du constat d’infraction – qui permettent de s’assurer de l’identité de la personne. Notons à cet effet, que dans la pratique plus ancienne, de simples « gribouillis » ou même des croix ont été admis à titre de signature valide, le fait de ne pas reconnaître le nom du signataire n’étant pas jugé prépondérant.

[12] L’auteure Dauriac, dans la précédente citation, mentionne que la signature est susceptible d’avoir une fonction symbolique. Très souvent donc, une loi va exiger une formalité en particulier afin de s’assurer qu’une partie a pleinement conscience de l’acte qu’elle est en train de conclure. À titre d’exemple, selon l’article 726 CCQ, le testament doit être écrit de la main du testateur afin de s’assurer au mieux que sa volonté soit satisfaite. De surcroît, selon 714 CCQ, une rigueur interprétative est demandée par le législateur. Il y a donc derrière ces formalités liées à un acte important une volonté de protection [FULLER, 1941], une fonction «assurantielle» [BELLEY, 1996], «rituelle» [KASIRER, 1996].

[13] Enfin, la fonction d’efficacité [GAUTRAIS, 2002] (channeling function) [FULLER, 1941], d’opérationnalité [BELLEY, 1996], nous semble aussi pouvoir être décelée dans certaines formalités imposées par les lois. En effet, une formalité est parfois requise pour conférer une plus grande efficacité à un document ayant une portée juridique. Les principaux exemples sont souvent pris dans le monde commercial (connaissement maritime, chèque, etc.) où, à la vue même de cette formalité, on est en mesure de faire un lien avec une certaine signification. Par exemple, l’unicité qui est notamment demandée pour certains effets de commerce a pour objet de permettre la négociabilité. Dans d’autres hypothèses, cette fonction ne semble pas avoir un rôle déterminant.

2.2 Fonctions de la signature en tant qu’actum

 

[14] Nous entendons traiter de cette question en évoquant d’abord les tendances d’interprétation assez souples qui existent en matière de signature (2.1.1). Cette manière de percevoir ce concept amène d’ailleurs généralement la jurisprudence à faire preuve d’ouverture quant à la façon dont la signature, en tant qu’actum, se matérialise (2.1.2). Enfin, une même approche libérale prévaut en ce qui a trait à ses deux fonctions fondamentales énumérées à l’article 2827 C.c.Q. (2.1.3).

2.2.1Tendances libérales quant à l’interprétation de la signature

[15] Historiquement, le droit québécois a toujours fait preuve d’une grande souplesse dans l’interprétation faite par les tribunaux de la signature [GAUTRAIS, 1993, #60]. Cette approche libérale est d’ailleurs constante dans la jurisprudence, ancienne comme récente, et ce, même dans des hypothèses où le formalisme associé à l’acte était généralement considéré comme étant plus lourd. Ainsi, dans l’affaire Kaouk précitée, il a été considéré que

« [32] (…) l'exigence d'une « signature » doit être interprétée libéralement par les tribunaux » (dissidence).

Sur le même sujet, la Cour d’appel a considéré :

« [45] Je suis d'avis que l'article 714 C.c.Q. permet de vérifier un testament qui contient des lacunes au niveau de la signature, le terme « signature » étant interprété libéralement par les tribunaux. » [Gariépy (Succession de) c. Beauchemin, 2004, #45]

[16] Également, l’évaluation d’une signature se doit d’être envisagée au regard du contexte dans lequel celle-ci fut établie. Par exemple, la Cour suprême a considéré dans le cadre d’un obiter rendu dans un arrêt en droit pénal :

« [30] Étant donné ma conclusion au sujet des exigences établies par le par. 742.6 (4), il n’est pas nécessaire de décider si le nom dactylographié du policier constitue une signature au sens de cette disposition. Je soulignerais tout simplement que, lorsque cette question se pose, il convient d’y répondre, d’une part, en tenant compte du contexte, et notamment de l’importance de l’attestation personnelle, et, d’autre part, en faisant preuve de la souplesse nécessaire pour permettre le recours à la technologie en constante évolution.» [R. c. McIvor, 2008, #30]

Une même ouverture fut préconisée dans un cas de droit civil où

« (…) compte tenu du contexte et de l’ensemble des circonstances décrit par les témoignages, ne suffit pas à jeter un doute sur la validité de cette signature et sur les conséquences qui doivent en découler ». [Centre du camion Gamache Inc. c. Bolduc, 2000]

[17] Relativement à cette distinction entre le droit civil et le droit criminel, et outre le fait selon lequel le Code de procédure pénale réfère expressément à la Loi à son article 61, il est assurément une influence « latente » [MORRISSETTE, 1993] de la common law sur le droit civil quant à l’interprétation à apporter aux règles de preuve. Si le droit civil continental est régulièrement considéré pour le rigorisme de son formalisme, la jurisprudence de common law sut faire preuve d’un pragmatisme souvent remarqué quant à l’interprétation à donner aux technologies de l’information ; un constat qui fut d’ailleurs relevé tant en droit criminel [VALLET, 2010, #334] que relativement au droit des signatures électroniques. Sur ce dernier point, l’on peut citer le paragraphe écrit par Chris Reed, professeur anglais spécialisé en droit des nouvelles technologies, selon lequel :

« English law has for centuries taken the view that a signature is a mere matter of evidence, rather than a formal act prescribed by law, and will therefore accept either of these e-signature methods as valid. However, in civil law jurisdictions signatures often have a formal significance which derives from the physical action of writing one’s name on paper. Because this physical action cannot be replicated online, those jurisdictions experienced substantial difficulty in accepting the validity of e-signatures. » (Les notes de bas de page ont été enlevées) [REED, 2010, #906]

2.2.2 Souplesse quant à la reconnaissance d’une signature

[18] La souplesse découle en premier lieu du CCQ lui même, qui à l’article 2827 reconnaît à la fois que la signature peut se manifester soit part l’ « apposition qu’une personne fait à un acte de son nom » soit de l’utilisation « d’une marque qui lui est personnelle » et utilisée de « façon courante ». Deux grandes manières de signer semblent donc exister. Cette souplesse est renforcée par la Loi dont l’article 39 évoque que la signature

« peut être apposée au moyen de tout procédé qui permet de satisfaire aux exigences de l’article 2827 du Code civil ». [Article 39]

[19] Le droit positif québécois admet donc que dans un environnement électronique, il existe une grande variété de moyens pour signer [GAUTRAIS, 2003, #111]; variété qui était bien moindre dans le domaine du papier, le nom et accessoirement la marque pouvant être utilisés. Au-delà de ces articles de loi, nous croyons donc que le droit a toujours fait preuve de souplesse dans l’interprétation de la signature et ceci se vérifie pleinement dans les formes d’expression qui sont susceptibles de se manifester dans la jurisprudence :

EXEMPLE 1 : un code d’employé de l’agent de police peut être envisagé pour remplir l’exigence de la signature comme ce fut reconnu dans Montréal (Ville) c. Danny Fraser :

« 40. Tel qu'expliqué par le procureur de la Ville de Montréal, le code d'employé qui apparaît entre parenthèse après le nom de l'employé qui a matérialisé le constat et le rapport d'infraction correspond à la signature électronique dudit employé qui est autorisé à matérialiser les dits documents. »

Une même approche fut suivie, en Ontario cette fois, dans City of London c. Caza.

EXEMPLE 2 : le prénom et le nom d’une personne dactylographié au bas d’un courriel peut aussi être analysé comme satisfaisant aux exigences de la signature.

Cela fut en effet reconnu dans Arpin c. Grenier:

« [5] Le 16 octobre 2000, un texte est publié sur un forum de discussion appelé Planète Québec, portant la signature électronique du défendeur liée à celle de la compagnie demanderesse (…) Bernard Gilles Grenier – bernard.g.grenier@sittelltech.com »[Arpin c. Grenier, 2004, #5]

Une position identique fut mise de l’avant dans Leoppky v. Meston, une décision de la Cour du banc de la Reine de l’Alberta.

Plus généralement, la souplesse est aussi de mise dans Foley c. La Reine :

« 32. (…) Dans l'affaire Morton v. Copeland, 16 C.B. 517, 24 L.J.C.P. 169, 139 E.R. 861 (1855), l'expression [TRADUCTION] "consentement par écrit de l'auteur ou du propriétaire" a été examinée. Le juge Maule, avec lequel les trois autres membres de la cour étaient d'accord, a déclaré aux pages 868 et 869 :

[TRADUCTION]

(…) La nécessité de la signature découle dans chaque cas de l'exigence expresse de la loi. La signature ne signifie pas nécessairement la rédaction du prénom et du nom de famille d'une personne, mais de toute marque qui détermine qu'il s'agit du fait de la partie. Je ne peux me rappeler un document qui doit selon la loi de notre pays être entièrement écrit par la personne qui doit être liée par lui, un document olographe. Dans la loi actuellement examinée, rien n'est dit à propos de la personne qui doit écrire le document, la loi semble simplement conçue de manière à exclure ce genre de doute et d'incertitude qui découle des circonstances entourant une chose qui n'est pas du tout attestée par écrit. »

Dans Girouard c. Druet 2011 NBBR 204, une même interprétation permissive fut reprise relativement à un acte devant satisfaire à la règle du Statute of Frauds lors d’une transaction immobilière effectuée par échange de courriels. En revanche, pour des raisons qui ne sont pas liées à la signature en tant que telle, la décision fut cassée en appel dans Druet c. Girouard 2012 NBCA 40 (anglais en pdf) et les formalités considérées comme non accomplies.

[20] Pour revenir sur la jurisprudence québécoise, il importe enfin de faire un constat sur le fait que même si l’article 2827 CCQ réfère à la notion de «marque qui lui est personnelle et qu'elle utilise de façon courante», la jurisprudence ne semble pas très exigeante quant au respect de cette condition [Bolduc c. Montréal (Ville de), 2010, #20]. Ceci dit, il est possible de remarquer que la jurisprudence n’a que très peu interprétée cette expression. Lors de l’adoption du CCQ, il semblait y avoir une certaine opposition entre les juristes «techno-centrés» qui étaient très à l’aise avec cette disposition [TRUDEL+LEFEBVRE+PARISIEN, 1993, #65] alors que d’autres, en droit de la preuve, qui considéraient davantage que cette exigence étaient susceptible de restreinte l’admission de certaines formes de signatures qui avaient été reconnues dans le passé.

« Le législateur québécois a préféré donner une définition plus restrictive de la signature. Il est douteux que la signature au moyen d'une simple croix soit encore admise. Une croix n'est pas une marque personnelle distinctive, même lorsqu'elle est utilisée de façon courante. » [ROYER+LAVALLÉE, 2008]

Trois points peuvent être ajoutés à cet égard. D’abord, notons que la plupart des auteurs reconnaissent le besoin d’une définition large qui puisse s’appliquer à une grande éventualité de situations nouvelles. À cet égard, et se basant sur la jurisprudence française, Isabelle Dauriac explicite cette souplesse quant à la signature qui n'a pas besoin d'être unique et propre à un auteur:

« Le signe inhabituel pouvant constituer une signature régulière, le caractère habituel du signe choisi ne peut évidemment plus être considéré comme la condition nécessaire à la régularité de la signature. Parmi les signatures régulières, certaines reproduiront un signe habituel, d'autre un signe inhabituel. Il ne s'agit donc pas d'une forme obligatoire. » [DAURIAC, 1997, #70]

Bien sûr la comparaison avec le droit français a ses limites dans la mesure où le CCF ne détermine pas, à la différence du CCQ, le caractère d'habitude dans la définition même de la signature. Néanmoins, ensuite, et depuis ces débats, la jurisprudence n’a, au meilleure de notre connaissance, jamais évoquée cette éventualité. Sans doute que ce mode de signature correspond à une époque différente de celle du web. Enfin, une comparaison peut néanmoins être faite avec le fait de cliquer sur un icône. Au même titre que la croix, est-ce que cette action, bien impersonnelle, est susceptible d’être assimilée à une signature?

2.2.3 Souplesse quant à la reconnaissance de ses fonctions

[21] Cette approche libérale, tenant compte du contexte, est d’ailleurs parfaitement de mise à l’article 2827 CCQ qui a très majoritairement été considéré comme étant particulièrement réceptif aux nouvelles technologies, celui-ci ne s’attachant pas à une technologie ou un support en particulier mais à deux fonctions fondamentales d’ailleurs reconnues par une «doctrine unanime» [TRUDEL+LEFEBVRE+PARISIEN, 1993, #62]: l’identification du signataire et la manifestation du consentement. Deux fonctions qui sont aussi presque universellement reconnues dans la plupart des législations nationales statuant sur les documents électroniques, et ce, notamment sous l’inspiration des travaux de la CNUDCI (Commission des Nations Unies au Développement du commerce international) qui allèrent en ce sens [ONU, 2005, #9(3)] [ONU, 2001, #2(a)] [ONU, 1996, #7(a)]. Également, la Loi, à son article 39, réitère cette souplesse quant à l’identité du signataire en prenant le soin de mentionner que « quel que soit le support du document », « tout procédé » peut être utilisé pour faire office de signature dès lors qu’il existe «un lien entre elle et un document».

[22] une analyse empreinte de souplesse s’impose donc relativement à la satisfaction de ces deux conditions cumulatives. Relativement à l’identité du signataire, et comme vu précédemment, il faut constater que la signature n’est souvent pas l’outil de prédilection pour assurer cette exigence [DAURIAC, 1997, #182]. En effet, à titre d’exemple, les signatures de chèques d’un montant qui n’est pas très élevé, en pratique, ne sont pas comparées avec le specimen dont la banque détient un exemplaire. Également, il est de multiples situations où l’identité du signataire dépend davantage du contexte. Par exemple, dans le cas du constat d’infraction, la présence du policier, en uniforme, est sans doute une preuve de son identité passablement plus fiable que celle d’un éventuel gribouillis posé sur le constat lui-même. Certes, quelqu’un pourrait se faire passer pour lui mais la simple utilisation d’un constat d’infraction par une personne non autorisée pourrait être assimilée à une usurpation d’identité [SENÉCAL, 2010]. La même approche nous apparaît devoir être suivie en ce qui a trait à la manifestation de volonté, et ce, en fonction bien évidemment des fonctions formelles associées à l’instrumentum. Il est aussi possible de déduire une signature en fonction du comportement d’un cocontractant qui peut donc, par le fait de son action, manifester sa volonté.

[23] Ceci dit, cette liberté qui est désormais offerte au signataire pour manifester sa volonté ne veut pas dire qu’il n’est pas obligé de prouver au tribunal que les fonctions de la signature sont satisfaites: la liberté de prouver ne veut pas dire absence de preuve. Simplement une quête doit être entreprise afin de vérifier si les objectifs, les fonctions, de 2827 sont satisfaits; une quête qui est également très similaire à l’approche téléologique fréquemment utilisée par les juges. L’honorable juge Pierrette Rayle prend d’ailleurs le soin de mentionner que l’article 2827 du Code civil du Québec correspond à une pareille démarche :

« [29] L'article 2827 C.c.Q. décrit la signification téléologique de la signature. » [Kaouk (Succession de) c. Kaouk, 2008, #29]

C’est ce que nous allons voir désormais avec quelques exemples.

3. Interprétation de la notion de signature face à certains cas particuliers

[24] Cette partie vise à faire état de certaines problématiques particulières où la notion de signature a été interprétée par les tribunaux, et notamment, suite à un changement technologique qui nous amène à reconsidérer la donne. Les situations suivantes seront présentées:

  • Un constat d’infraction est-il valide s’il n’est pas formellement signé?
  • Un testament olographe est-il valide lorsqu’il a été tapé dans un traitement de texte?
  • Est-il possible de faire une vente immobilière par un échange de courriels?

 

3.1 Interprétation de la signature dans un constat d’infraction

[25] La jurisprudence québécoise a donné lieu à trois décisions successives relativement à la validité d’un constat d’infraction qui, selon les plaignants, aurait été délivré sans être signé.

Le 05 février 2009, un constat d’infraction fut émis par l’agent de la paix Pascal Gagnon au motif que Monsieur Marc-André Bolduc, l’appelant, roulait à une vitesse excessive. Le présent litige porte sur le fait que ledit constat d’infraction, objet d’un transfert [Transfert] entre une machine numérique et le document sur support papier remis à l’appelant, ne comporte pas l’espace requis pour recevoir la signature de l’agent de la paix, tel que demandé à l’article 34 (8) h) du Règlement sur la forme des constats d’infraction (ci-après nommé Règlement).

« 34. Le recto des feuillets ou les données des pages-écran correspondantes du constat d'infraction délivré pour les infractions relatives au contrôle du transport routier, à la sécurité routière et au stationnement d'un véhicule ou pour les infractions dont une municipalité est chargée de la poursuite comportent les rubriques, mots-clés, textes et espaces permettant d'inscrire les mentions suivantes: (...)

8° dans la section relative à l'attestation des faits et à la signification du constat d'infraction ou dans des sections distinctes s'y rapportant: (...)

h) la signature de la personne qui atteste les faits et de la personne qui effectue la signification ou, selon le cas, leur signature respective apposée au moyen d'un procédé électronique ou le code de validation de leur signature ainsi apposée; dans le cas où l'attestation et la signification sont effectuées par la même personne, l'indication de ce fait et la signature de cette personne pour l'attestation des faits et pour la signification ou, selon le cas, sa signature apposée au moyen d'un procédé électronique ou le code de validation de sa signature ainsi apposée; »

[26] Sans pleinement s’attacher aux fonctions de la signature, la Cour municipale en 2009 va donner raison à la poursuite considérant que le constat d’infraction, en dépit de l’absence de signature à proprement parler, ne contrevient pas aux dispositions du Règlement.

« [33] Le Tribunal ne peut pas conclure que le présent constat d’infraction ne rencontre pas les prescriptions de la loi et des règlements. » [Montréal (Ville) c. Bolduc, 2009, #33]

En 2010, la Cour supérieure alla dans la même direction mais cette fois en s’attachant davantage à la signature en tant que tel.

« [20] En effet, l'agent Pascal ne s'est pas contenté d'inscrire que son nom (sa signature). Il est allé plus loin et a ajouté des éléments qui font que sa signature est unique. L'ajout de son numéro de matricule et de son numéro d'unité a rendu sa signature distinctive en ce qu'elle permet au défendeur d'individualiser, sans doute possible, l'agent qui a attesté les faits mentionnés au constat d'infraction. L'ajout du matricule et du numéro d'unité constitue le «code de validation» de sa signature. En effet, il n'y a qu'une personne qui peut, au SPVM, signer un document, Gagnon Pascal, matricule [...], unité [...].

[21] Il faut également garder à l'esprit l'objet de la loi. Cette signature est requise afin de permettre au défendeur de s'assurer de l'identité de la personne qui lui décerne le constat d'infraction et qui a constaté les faits qui y sont relatés afin de pouvoir l'assigner s'il le désire. En l'espèce, l'information est complète et permet au défendeur d'identifier la personne à assigner. » [Montréal (Ville) c. Bolduc, 2010, #20-21]

Enfin, en 2011, la Cour d’appel confirma la validité du constat d’infraction mais sans véritablement tenter de définir la signature. En effet, les juges considèrent uniquement que le nom, la qualité et la matricule du signataire suffisaient ensemble à équivaloir à une signature faite en bonne et due forme.

« [19] Lorsque la signature d'un agent ne fait pas voir son nom, sa qualité et son matricule, les deux cases du formulaire prévu par le Règlement doivent être remplies. Au cas contraire, il est inutile d'exiger que les informations déjà données par la signature le soient une seconde fois. » [Montréal (Ville) c. Bolduc, 2011, #19]

[27] Au-delà de cette approche fort pragmatique, il importe, conformément à ce que nous avons préalablement développé, de regarder, d’une part, qu’elles sont les raisons qui sont derrière une telle formalité, conformément aux critères de Lon Fuller et, d’autre part, si les fonctions associées à une signature sont respectées. En premier lieu, il ne nous semble pas que la raison de preuve soit absolument cruciale. Plus exactement, pour des fins probatoires, la formalité de la signature est par exemple associée à celle qu’est l’ « écrit » en « double » tel qu’exigé à l’article 34 (8) d) du Règlement. En deuxième lieu, l’aspect lié à la protection, à la prise de conscience, assurantiel, que nous avons vu plus tôt [#12], ne semble pas déterminant dans cette affaire. C’est l’agent la paix qui signe et non pas la personne recevant le constat. Il n’y a donc pas de besoin particulier de s’assurer que ce dernier soit protégé dans la remise du constat d’infraction. Enfin, en troisième lieu, nous ne croyons pas que la fonction d’efficacité préalablement développée [#13] soit déterminante en pareilles circonstances. Il n’y a donc pas de raisons particulières pour justifier une interprétation particulièrement restrictive contraire à la manière habituelle de faire.

[28] Face à ce modèle d’analyse, il est possible de s’intéresser désormais aux deux fonctions prévues à l‘article 2827 CCQ. Relativement à la première fonction d’identification du signataire, en l’occurrence de l’agent de la paix, il n’a pas été contesté que cela était bien Pascal Gagnon qui avait remis le constat d’infraction à l’appelant faisant état de l’attestation et de la signification. Au-delà de cette non contestation, il est en effet possible de croire que le matricule ou le numéro associé à l’appareil peut remplir cette fonction aussi bien voire beaucoup mieux qu’une signature manuscrite. En ce qui a trait à la fonction de manifestation de volonté, là encore la remise du constat d’infraction constitue une action qui ne laisse aucun doute quant à la volonté de l’agent de la paix. Ainsi, l’approche fonctionnelle introduite dans le Code civil du Québec et réaffirmé par la Loi nous permet de croire que dans les faits en cause, les deux fonctions identifiées sont réunies. Aussi, la signature dans la présente affaire, et sous réserve d’autres considérations interprétatives, serait susceptible de se manifester de la façon suivante :

  • Le nom et le prénom déjà requis au regard des articles 34 (8) c) et 34 (8) f) associé à la remise du document par l’agent de la paix ;
  • Le matricule tel qu’exigé à l’article 34 (8) c) associé à la remise du document par l’agent de la paix ;
  • L’éventuel mot de passe qui est associé à la machine – voire même sa seule possession – émettrice et responsable du transfert du document associé à la remise du document par l’agent de la paix.

[29] Si les deux questions préalablement présentées nous apparaissent fondamentales afin de définir une signature, il est bien évident que le débat autour de la présente affaire est teinté par le fait que le législateur a pris le soin de légiférer avec un certain degré de précision les exigences formelles qui s’attachent au constat d’infraction. En effet, l’article 34 (8) h) du Règlement prévoit :

« 34. Le recto des feuillets ou les données des pages-écran correspondantes du constat d'infraction délivré pour les infractions relatives au contrôle du transport routier, à la sécurité routière et au stationnement d'un véhicule ou pour les infractions dont une municipalité est chargée de la poursuite comportent les rubriques, mots-clés, textes et espaces permettant d'inscrire les mentions suivantes:

(…)

h) la signature de la personne qui atteste les faits et de la personne qui effectue la signification ou, selon le cas, leur signature respective apposée au moyen d'un procédé électronique ou le code de validation de leur signature ainsi apposée ; dans le cas où l'attestation et la signification sont effectuées par la même personne, l'indication de ce fait et la signature de cette personne pour l'attestation des faits et pour la signification ou, selon le cas, sa signature apposée au moyen d'un procédé électronique ou le code de validation de sa signature ainsi apposée ; » (Nos soulignements)

[30] Le point qui nous apparaît notable dans la présente affaire est que l’article 34 (8) h) du Règlement fait preuve d’une précision assez grande pour identifier les manières selon lesquelles la signature peut se manifester. Trois façons sont en effet proposées : l’on parle d’abord d’une « signature de la personne », ensuite d’un « procédé électronique » et enfin d’un « code de validation de leur signature ».

[31] La première expression, « signature de la personne », est la plus large. Elle représente assurément la signature manuscrite. Néanmoins, rien n’indique que cela ne soit que cette forme. Aussi, nous croyons que sous cette appellation on pourrait référer également à toutes sortes de manifestations qui soient conformes aux précédents propos. Ceci vaut d’abord au regard du droit applicable, et notamment de l’article 39 de la Loi qui réfère à l’expression « tout procédé » par lequel une signature peut se manifester. Cela vaut ensuite en suivant l’approche jurisprudentielle très généralement permissive, tel que cité précédemment.

[32] La deuxième référence à la signature évoque un « procédé électronique » qui est une expression quelque peu maladroite. En effet, ce qualificatif réfère à une technologie particulière qui n’est d’ailleurs pas celle de la machine avec une page-écran qui fut utilisée par l’agent de la paix dans notre affaire ; le document « original » objet du transfert vers un support papier est en effet un document numérique, technologique et non électronique. Cette expression n’est d’ailleurs pas conforme avec l’expression consacrée dans la Loi qui à son article 4 réfère à la notion de « document technologique » afin justement d’inclure toutes les technologies de l’information existantes et à venir.

[33] La troisième formule fait référence à un « code de validation de leur signature ». Au regard des faits de cette affaire, nous ne sommes pas en mesure de savoir si un tel code existait. Notamment, nous ne savons pas si un code relié à la machine – qui opère les transferts – et que l’agent de la paix serait le seul à connaître, existe.

[34] Quoi qu’il en soit, dans la présente affaire, toujours sous réserve d’autres considérations interprétatives, il serait possible de retenir que la signature pourrait soit être reconnue au regard de la première formulation soit au regard de la troisième si un code est associé à la machine émettrice du constat d’infraction dans un format technologique.

3.2 Interprétation de la signature dans un testament

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3.3 Interprétation et vente immobilière

[39] En common law, plusieurs décisions eurent à décider si des échanges de courriels étaient susceptibles de constituer des écrits signés, et ce, en conformité avec la vieille loi anglaise de 1677 que constitue le Statute of Frauds. En 2008, dans Leoppky v. Meston, une décision de la Cour du banc de la Reine de l’Alberta, décida en effet qu’une série de courriels respectait à la fois la formalité de l’écrit et celle de la signature. Relativement à cette dernière, la Cour se basa notamment sur de la jurisprudence anglaise [Re a Debtor (No. 2021 of 1995), [1996] 2 All E.R. 345 (Ch.D.)] afin de mettre l’accent sur la quête des fonctions que la signature se doit de remplir.

« It seems to me that the function of the signature is to indicate, but not necessarily prove, that the document has been considered personally by the creditor and is approved of by him. It may be said that a qualifying proxy form consists of two ingredients. First, it contains the information required to identify the creditor and his voting instructions and, secondly, the signature performing the function set out above.»

Aucune référence ne fut faite en revanche sur la Loi albertaine [Electronic Transactions Act, SA 2001, c E-5.5] qui avait pris le soin de définir la signature, le droit «neuf» n’étant pas si souvent utilisé par la jurisprudence [GAUTRAIS, 2009, #395].

[40] Une autre illustration canadienne que l’on puisse citer sur la question est l’affaire Girouard c. Druet, 2011 NBBR 204 qui va encore considérer ici que les deux formalités requises par le Statute of Frauds sont remplies par l’apposition d’un nom en bas d’un courriel. Aucune justification véritable quant à l’existence de la signature n’est concrètement donnée. Et rapidement, la conclusion est donnée selon laquelle

«[26] Après avoir examiné les courriels, je suis convaincu qu’ils constituent une convention obligatoire.»

[41] En revanche, tout récemment, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick [Druet c. Girouard, 2012 NBCA 40 (anglais en pdf)] a cassé cette première décision mais ce sans véritablement traiter de la question de la signature. Davantage, c’est plutôt sur la nature même du consentement que le revirement s’opéra. Il est d’ailleurs assez étonnant de voir la fuite de répondre à cette question:

«la satisfaction de l’obligation de signature sous une forme électronique dépendra‑t‑elle des circonstances propres à chaque instance? Ainsi, cela changerait-il quelque chose si les parties téléchargeaient de l’Internet une convention type d’achat‑vente et se servaient de ce document pour encadrer leurs négociations, par opposition à un échange rapide de courriels? Dans le cas de la convention type sous forme électronique, le droit considérerait‑il comme une signature valide le seul prénom ou nom de famille de la personne concernée? Par contraste, le droit en viendrait‑il à la même conclusion s’il s’agissait, dans les faits, d’une série d’échanges de courriels? (...). C’est là le genre de questions dont nous reportons l’examen à un autre jour.»

Cette vision, plus restrictive, tranche quel que peu avec les décisions précédemment citées; elle est aussi distincte de celle que l’on trouve dans un tout récent arrêt de la Cour d’appel anglaise, Golden Ocean Group Ltd v Salgaocar Mining Industries PVT Ltd & Anor, [2012] EWCA Civ 265, qui, il est vrai, concerne quant a elle une relation entre des gens d’affaires et non comme dans l’affaire Druet des particuliers.

 


Dernière modification : le 24 juillet 2017 à 11 h 29 min.