Extraits pertinents:

[24] La demanderesse invoque que les règlements du blogue publiés sur le site internet du blogue de « Franc-parler » sur Canoë interdisent tout commentaire diffamant ou irrespectueux et prévoient que Canoë peut retirer du blogue tout message dont le contenu viole leur politique[10]. Les défendeurs peuvent donc exercer un contrôle sur les commentaires publiés. La responsabilité des défendeurs est en conséquence engagée en tant qu'éditeurs et ils sont responsables du préjudice causé à la demanderesse autant que les auteurs des propos diffamatoires.

[...]

C. La diffamation sur internet
[40] La définition donnée au terme « diffamation » ne change pas, peu importe le médium utilisé. Ainsi, les tribunaux ont reconnu que la diffamation en ligne devait être traitée comme toute autre forme de diffamation, qu'elle se fasse par le biais des journaux, de la radio ou de la télévision :

[248] Les mots sont des outils puissants de communication : ils détruisent une réputation en peu de temps alors que, parfois, il a fallu des années pour la construire. L'Internet est un puissant outil de diffusion : la communication n'a presque plus de frontière. La liberté d'expression est une valeur fondamentale de première importance mais le respect de la dignité et de la réputation de la personne l'est tout autant. Ceux qui parlent ou écrivent et ceux qui diffusent sur Internet doivent le réaliser. [19] [Notre soulignement]

[41] S'il peut être plus ardu de retrouver l'auteur de commentaires diffamants publiés sur internet, d'autres personnes peuvent en être tenues responsables :

Ce n'est pas seulement l'auteur même de la diffamation qui peut être poursuivi, mais également celui qui la diffuse au sens large du terme, par exemple, dans le cas d'un journal ou d'une revue, la maison d'édition, mais aussi l'imprimeur et, dans le cas d'une émission de radio ou de télévision, le poste diffuseur. [20] [Notre soulignement]

[42] Les fonctions exercées par les intervenants du milieu électronique étant quelque peu différentes de celles exercées dans un milieu de travail plus « classique », certains auteurs suggèrent de faire des analogies afin de bien établir le rôle de chacun :

Ainsi, le fournisseur d'accès ou gestionnaire du réseau est notamment comparé à l'éditeur. L'éditeur communique des renseignements à des tiers sachant que ces renseignements seront lus, vus ou entendus, tout comme le fournisseur d'accès. La publication volontaire suppose la connaissance du contenu des renseignements transmis. Dans le contexte d'Internet, la publication peut résulter de la transmission de fichiers, de discussions électroniques ou de la mise à la disposition de renseignements dans des fichiers. La décision de publier appartient à l'éditeur et la responsabilité pour la transmission de renseignements préjudiciables découle de ce pouvoir de contrôle. De la même façon, le fournisseur d'accès qui exerce un degré de contrôle sur les renseignements est réputé agir à titre d'éditeur. Si le contrôle n'est aucunement de nature rédactionnelle mais de nature technique ou s'il ne vise qu'à empêcher un groupe de discussion de déborder du thème auquel il est consacré, l'exploitant du site ne sera toutefois pas automatiquement considéré comme un éditeur puisqu'il n'exerce aucun pouvoir rédactionnel en soi; son contrôle ne joue pas directement sur le contenu diffusé.

[…]

Le fournisseur pourrait aussi agir comme un diffuseur. S'il est libre de diffuser, il sera alors généralement considéré comme un éditeur des déclarations qu'il transmet et il sera assujetti aux mêmes normes de responsabilité que celui-ci. [21] [Notre soulignement]

[43] La responsabilité qui pourra incomber au diffuseur ou à l'éditeur sera variable en fonction du contrôle qu’il exerce sur les informations mises en ligne. D'ailleurs, dans l'une des premières affaires de diffamation sur internet, la Cour suprême de l'État de New York a conclu que le réseau exploitant un babillard électronique exerçait un rôle d'éditeur :

By actively utilizing technology and manpower to delete notes from its computer bulletin boards on the basis of offensiveness and "bad taste", for example, PRODIGY is clearly making decisions as to content, and such decisions constitute editorial control. [22] [Notre soulignement]

[44] En l'espèce, le règlement du blogue prévoit que la défenderesse Canoë et le défendeur Martineau se réservent le droit de retirer dudit blogue tout propos diffamatoire. De plus, l'entente écrite conclue entre Canoë et Martineau indiquait aussi que les deux parties devaient assurer une certaine surveillance du blogue, et ce, plusieurs fois par semaine.

2. La faute de la défenderesse Canoë
[45] La défenderesse Canoë ayant admis sa responsabilité, il reste à évaluer le montant des dommages reliés à sa faute compte tenu des circonstances[23]. Il y a lieu de remarquer que dans sa défense, elle ne nie pas l'absence de préjudice moral, elle trouve seulement que le montant de 150 000 $ est exagéré. Par ailleurs, elle plaide que la réclamation pour les dommages punitifs et honoraires extrajudiciaires est injustifiée[24].

3. La faute du défendeur Martineau
[46] Le contrat conclu initialement entre Martineau et Canoë aurait peut-être permis de retenir sa responsabilité compte tenu de son engagement à assurer une surveillance de son blogue (P-5). Toutefois, lors de son témoignage, Marie-Claude Massie, directrice générale du contenu du portail francophone de Canoë, a indiqué que cette responsabilité avait été par la suite transférée dans son entièreté à la défenderesse Canoë. La demanderesse s'est objectée à cette preuve testimoniale visant à établir la conclusion d'une entente verbale postérieure au contrat P-5.

[47] À cet égard, il faut s’en remettre à l'article 2863 du Code civil du Québec[25] :

2863. Les parties à un acte juridique constaté par un écrit ne peuvent, par témoignage, le contredire ou en changer les termes, à moins qu'il n'y ait un commencement de preuve.

[48] À première vue, il semble exact de dire que la preuve que veulent faire les défendeurs est inadmissible. Toutefois, les parties au litige ne sont pas les parties à l'acte juridique et l'inadmissibilité de la preuve testimoniale ne vaut qu'entre les parties :

[22] Toutefois, la restriction à la preuve testimoniale visée par 2863 C.c.Q. ne concerne que les parties elles-mêmes à l'acte juridique. Or, ANGELA n'est pas partie aux actes juridiques visés.

[23] Sur le sujet, l'auteur Royer, écrit :

« L'article 2863 C.c.Q. précise expressément que cette restriction à la preuve ne concerne que les parties à l'acte juridique. Ainsi, dans un litige entre un contractant et un tiers, ce dernier peut offrir son propre témoignage ou produire comme témoin une autre personne, et même une partie à l'acte juridique, pour contredire ou changer les termes d'un écrit. » [26]

[49] La jurisprudence[27] prévoit d'ailleurs qu'un témoignage est recevable pour établir l'existence d'une entente postérieure et nouvelle :

[11] D’ailleurs, la prohibition énoncée à l’article 2863 du Code civil ne s’applique pas lorsqu’il s’agit de prouver un acte juridique antérieur, concomitant ou postérieur à un acte juridique constaté par écrit. [28]

[50] Une entente additionnelle à l'acte juridique écrit pourrait aussi être démontrée par une preuve testimoniale :

Avant de faire l'analyse de la preuve, le Tribunal doit réaffirmer un principe bien connu et énoncé aux articles 1234 C.c.B.C. et 2863 C.c.Q., à l'effet que les parties à un acte juridique constaté par un écrit, ne peuvent par témoignage, le contredire ou en changer les termes. Cependant, pourrait être recevable, la preuve qui viserait à établir une entente complémentaire. [29]

[51] Conséquemment, l'objection soulevée par la demanderesse est rejetée et il nous faut maintenant apprécier la crédibilité et la vraisemblance du témoignage de madame Massie sur la question.

[52] Dans les faits, rien ne permet de soulever un doute quant à l'intention des défendeurs de décharger Martineau de toute obligation de surveillance de son blogue. Le témoignage de Marie-Claude Massie était crédible et doit être retenu par le tribunal. De fait, il a été démontré que madame Massie a fait parvenir un courriel au service à la clientèle de Canoë les avisant qu'ils avaient, à partir de cette époque, l'entière responsabilité de la vérification du blogue du défendeur Martineau, ce dernier n'assurant plus de contrôle. Ainsi, nous retiendrons que le défendeur Martineau n'était plus, au moment de la publication des propos en litige, responsable d'assurer une surveillance du blogue et se contentait de suggérer des sujets de discussion. La défenderesse Canoë avait donc l'entière responsabilité de la modération des internautes.

[53] Par conséquent, le défendeur Martineau n’a pas commis de faute dans le présent dossier et sa responsabilité n'est pas retenue.


Dernière modification : le 10 août 2012 à 11 h 15 min.