Extraits pertinents :

[1] Le 27 octobre 2011, monsieur Daniel Gendron (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 4 octobre 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.

[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 5 août 2011 déclarant que le travailleur n’a pas subi une lésion professionnelle et qu’il n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la loi).

Les faits : 

[6] L’employeur gère un immeuble à appartements de 23 étages dont la clientèle est constituée de résidents âgés, d’enseignants et d’étudiants de l’Université Mc Gill.

[9] Le 14 juillet 2011, vers 19 h, le travailleur voit une locataire qui semble terminer un déménagement. Elle est accompagnée d’une autre femme qu’il identifie comme étant sa mère.

[14] Le travailleur s’est offert pour mettre la valise dans le coffre. Lors de la première journée d’audience, le travailleur a expliqué que la valise était très lourde. Sans avoir vu le contenu, il présume qu’elle était remplie de livres et qu’elle pesait entre 50 et 60 livres.

[15] Pour ce faire, le travailleur a pivoté, a fait une flexion, il a pris la valise de la main droite, il a ajouté la main gauche en raison du poids de celle-ci et il l’a déposée « de peine et de misère » dans le coffre. En soulevant la valise, le travailleur a ressenti une résistance en la mettant dans le coffre de la voiture. Il déclare qu’il a ressenti de la douleur au niveau lombaire.

[16] Sous réserve de l’objection faite par le représentant du travailleur quant à l’admissibilité de l’enregistrement audiovisuel que l’employeur demande d’introduire en preuve lors du contre-interrogatoire du travailleur, ce dernier a apporté, lors de la deuxième journée d’audience, des précisions quant à la description qu’il avait déjà faite de l’évènement allégué.

[17] Ainsi, lors de la deuxième journée d’audience, le travailleur précise qu’il avait déposé dans le coffre du véhicule une valise « noire » dont la dimension était d’environ de 30 pouces de large par 25 pouces de hauteur par 14 pouces d’épaisseur. qui n’était pas la valise quadrillée qui pouvait être vue sur l’enregistrement audiovisuel et qui avait été mise par l’une des femmes sur le siège arrière de la voiture parce qu’il n’y avait plus de place dans le coffre arrière compte tenu qu’il était déjà occupé par la table et la valise noire qu’il avait lui-même déposée plus tôt.

[19] D’ailleurs, le travailleur a soulevé une objection quant à l’admissibilité en preuve de l’enregistrement audiovisuel. Il soutient que l’enregistrement audiovisuel n’est pas intégral parce que, selon lui, la séquence démontrant la valise « noire » a été coupée.

[20] En contre-interrogatoire, lors de la deuxième journée d’audience, le travailleur a admis que les deux segments d’enregistrement audiovisuel contiennent les évènements qui se sont déroulés le 14 juillet 2011.

23] Le lendemain matin, le 15 juillet 2011, le travailleur a communiqué avec monsieur Michel Therrien, le surintendant de l’immeuble. Le travailleur lui a d’abord laissé un message l’informant qu’il ne pouvait entrer au travail cette journée-là. Il l’a rappelé un peu plus tard pour lui expliquer la situation et qu’il serait absent en raison de son mal de dos.

[24] Lors de la première journée d’audience, le travailleur a fait écouter les enregistrements qu’il avait réalisés le 15 juillet 2011. Le premier enregistrement est un message qu’il a laissé sur la boîte vocale de monsieur Therrien l’informant qu’il ne pouvait travailler, car il s’était blessé la veille et qu’il devait consulter un médecin.

[25] Le travailleur a également fait écouter un deuxième enregistrement d’une conversation téléphonique avec monsieur Therrien. Cet appel est de nature conflictuelle, les deux hommes s’interrompent. Monsieur Therrien tente de parler au travailleur, mais ce dernier lui demande s’il a eu le message.

[26] Le 16 juillet 2011, le travailleur consulte un médecin qui pose le diagnostic d’exacerbation d’une lombalgie.

[27] Le 18 juillet 2011, le travailleur a reçu un appel de monsieur Therrien l’informant qu’il était congédié et de ne plus retourner au travail.

30] Le 4 août 2011, l’agente de la CSST rapporte aux notes évolutives une conversation téléphonique qu’elle a eue avec monsieur Gregory Vinet. À cet effet, elle écrit ce qui suit :

ASPECT LÉGAL :
Appel E : M. Gregory Vinet

Discutons du dossier. Nous explique qu’il fait partie des tâches habituelles du T d’aider les gens avec leurs bagages et il serait surpris qu’il ait soulevé une table lourde au point de se blesser car il y a des porteurs de bagages ainsi que du matériel sur roues disponible pour cela. Indique par ailleurs que sur la caméra vidéo on peut voir T quitter a la fin de son quart de travail sur son vélo. T aurait été informé qu’il était congédié en date du 15/7/2011 et a vu le médecin pour la première fois le 16/7/11 stipulant une blessure reliée au travail, c’est à ce moment que l’E aurait été informé d’un probable événement le 14/7/2011. [sic]

[…]

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[60] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi le 14 juillet 2011 une lésion professionnelle dont le diagnostic est celui de lombosciatalgie gauche.

[61] Toutefois, le tribunal doit préalablement trancher une objection soulevée lors de la première journée d’audience. Le travailleur s’oppose à l’admissibilité en preuve d’une clé USB contenant l’enregistrement audiovisuel du quart de travail du 14 juillet 2011 du travailleur, lequel enregistrement audiovisuel ne lui avait pas été transmis avant l’audience ni annoncé et parce que la date ainsi que l’heure n’y apparaissent pas.

[65] En vertu des articles 1 et 2 du Règlement sur la preuve et la procédure de la Commission des lésions professionnelles, le tribunal n’est pas lié par les règles de procédure et de preuve civiles, et ce, afin de privilégier un traitement plus simple et plus souple de l’administration de la preuve.

[67] En matière civile, les règles applicables à la présentation d’un élément matériel permettant au tribunal de faire ses propres constatations sont prévues aux articles 2854 et suivants du Code civil du Québec.

2854. La présentation d'un élément matériel constitue un moyen de preuve qui permet au juge de faire directement ses propres constatations. Cet élément matériel peut consister en un objet, de même qu'en la représentation sensorielle de cet objet, d'un fait ou d'un lieu.

1991, c. 64, a. 2854.

2855. La présentation d'un élément matériel, pour avoir force probante, doit au préalable faire l'objet d'une preuve distincte qui en établisse l'authenticité. Cependant, lorsque l'élément matériel est un document technologique au sens de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information (chapitre C-1.1), cette preuve d'authenticité n'est requise que dans le cas visé au troisième alinéa de l'article 5 de cette loi.

1991, c. 64, a. 2855; 2001, c. 32, a. 79.

2856. Le tribunal peut tirer de la présentation d'un élément matériel toute conclusion qu'il estime raisonnable.

1991, c. 64, a. 2856

[68] Par ailleurs, l’admissibilité d’un élément matériel doit faire l’objet d’une preuve d’authenticité distincte préalable telle que le prévoit l’article 2855 du Code civil du Québec. De plus, le législateur a adopté en 2001 la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information définissant les règles visant à permettre l’introduction en preuve de documents contenus sur un support technologique.

[69] Bien que la Commission des lésions professionnelles ne soit pas liée par les règles de preuve appliquées par les tribunaux civils, elle peut néanmoins s’en inspirer.

[70] À cet effet, la soussignée souscrit aux propos de la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Bérubé et Doncar Dionne Soter Mécanique inc., qui écrit ce qui suit à ce sujet :

[57] La Cour d’appel dans l’affaire Cadieux et Le Service de gaz naturel Laval inc. développe certains critères en matière de recevabilité d’enregistrement mécanique. On y mentionne l’identité des locuteurs, l’authenticité, l’intégralité et la fiabilité du document qui ne doivent pas être altérés et dont les propos doivent être suffisamment audibles et intelligibles. Bien qu’il soit possible pour le tribunal de s’inspirer de ces balises, il faut toutefois les utiliser avec circonspection et souplesse puisque ce jugement traite d’une infraction en matière criminelle alors qu’un prévenu à droit à la présomption d’innocence, qu’il est en droit de ne pas s’auto incriminer et que le fardeau de la démonstration des éléments essentiels de l’infraction appartient à la partie poursuivante hors de tout doute raisonnable. Ces différents principes ne trouvent pas écho en matière administrative.

[71] Tel que le rappelle la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Gestion Hunt Groupe Synergie inc. et Pimparé, c’est à la partie qui veut introduire en preuve des enregistrements audiovisuels d’établir qu’ils sont authentiques, intégraux, inaltérés et fiables. Dans cette affaire, le tribunal déclara inadmissibles les enregistrements audiovisuels de filature au motif que la CSST, qui souhaitait les déposer introduire en preuve, ne l’avait pas convaincu qu’ils étaient authentiques, intégraux, inaltérés et fiables puisque l’enquêteur n’avait pu témoigner sur le fait que ces enregistrements étaient intégraux et qu’ils n’avaient pas fait l’objet de montage ou de coupure.

[72] À cet effet, il importe de s’assurer que les enregistrements audiovisuels n’ont pas été retouchés ni modifiés, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas été altérés et qu’ils sont fiables.

[73] Comme le prévoit l’article 2868 du Code civil du Québec, un élément de preuve matériel vise à prouver un objet, un fait ou un lieu qu’il représente.

2868. La preuve par la présentation d'un élément matériel est admise conformément aux règles de recevabilité prévues pour prouver l'objet, le fait ou le lieu qu'il représente.

[74] Ainsi, le tribunal doit être convaincu que les enregistrements que l’employeur souhaite introduire en preuve sont authentiques, intégraux et fiables.

[75] Mentionnons d’abord qu’un ajournement a été accordé au travailleur afin de lui permettre de visionner l’enregistrement audiovisuel et de le commenter.

[76] En l’espèce, l’employeur a produit une clé USB contenant deux segments de 4 heures d’enregistrement audiovisuel correspondant à la durée du quart de travail effectué par le travailleur le 14 juillet 2011.

[77] Certes, il est vrai que le technicien qui a effectué le transfert de l’enregistrement de la caméra de surveillance située dans le hall d’entrée de l’immeuble sur un support informatique n’a pas témoigné à l’audience. Cet élément n’est pas déterminant en soi, le tribunal considère qu’il doit analyser l’ensemble de la preuve pour déterminer si l’enregistrement audiovisuel a été altéré et s’il est fiable.

[78] Par ailleurs, le travailleur a confirmé en contre-interrogatoire que ce qui était contenu sur l’enregistrement audiovisuel avait été filmé le 14 juillet 2011.

[79] De surcroît, ce n’est qu’après le visionnement de l’enregistrement audiovisuel démontrant la locataire transporter la valise à carreaux jusqu’à la voiture et la placer sur le siège arrière que le travailleur a déclaré en contre preuve qu’il y avait une deuxième valise qui était « noire » qu’il a placée lui-même dans le coffre de la voiture. En aucun temps, lors de la première journée d’audience, le travailleur n’a évoqué la présence d’une deuxième valise. D’ailleurs, pourquoi le travailleur n’a-t-il pas précisé, lors de la première journée d’audience, le fait que la locataire de l’immeuble avait aussi transporté une table en plus d’une valise sans préciser qu’il y avait deux valises.

[80] Ainsi, ce n’est que lors de la deuxième journée d’audience que le travailleur a précisé que la locataire avait été obligée de placer la valise à carreaux sur la banquette arrière de la voiture compte tenu que la valise « noire », qu’il avait déposée dans le coffre, prenait toute la place. Or, le travailleur semblait avoir oublié qu’une table avait déjà été placée dans le coffre de la voiture, c’est vraisemblablement la raison pour laquelle la locataire avait été contrainte de placer la valise à carreaux sur la banquette arrière.

[81] Les précisions apportées par le travailleur lors de la deuxième journée d’audience quant à l’existence d’une deuxième valise « noire » amènent le tribunal à douter du bien-fondé et de la vraisemblance de l’allégation voulant que l’enregistrement audiovisuel aurait été altéré de manière à couper toute trace de l’existence de la deuxième valise « noire » et surtout l’extrait démontrant le travailleur soulever cette deuxième valise et la déposer dans le coffre de la voiture.

[82] De plus, le travailleur n’a pas identifié d’éléments sur l’enregistrement audiovisuel permettant de soulever des doutes quant à son intégralité ou qu’il aurait été altéré de manière à en couper des extraits préjudiciables à l’employeur.

[86] Pendant le délibéré, la soussignée a visionné à plusieurs reprises l’enregistrement audiovisuel et n’a pu identifier quelconque élément lui permettant de croire qu’il avait vraisemblablement été altéré de manière à couper le segment qui aurait démontré l’existence d’une deuxième valise « noire » et que le travailleur aurait manipulée, transportée ou soulevée pour la placer dans le coffre de la voiture.

[87] Le tribunal est d’avis que s’il devait rejeter la preuve de l’enregistrement audiovisuel correspondant au quart de travail du 14 juillet 2011, cela aurait pour effet de déconsidérer l’administration de la justice en écartant un élément de preuve pertinent alors qu’il est à la recherche de la vérité.

[88] À cet effet, le tribunal considère qu’il ne suffit pas de soulever une objection alléguant que l’enregistrement audiovisuel a été altéré et qu’il est incomplet pour qu’il soit irrecevable en preuve. Celui qui soulève une telle objection doit identifier certains éléments sur l’enregistrement audiovisuel permettant de soulever un doute quant à son intégralité ou sa fiabilité pour faire échec à sa recevabilité. Autrement, il suffirait de soulever une objection sans qu’elle soit appuyée par des éléments de preuve.

[89] Après examen et analyse de l’ensemble de la preuve entourant l’enregistrement audiovisuel déposé en preuve correspondant à l’enregistrement de la caméra de surveillance placée dans le vestibule de l’immeuble et de son transfert sur la clé USB, le tribunal rejette l’objection du travailleur et déclare cet élément de preuve admissible.

[…]

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête du travailleur, monsieur Daniel Gendron;

CONFIRME la décision rendue le 5 août 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur, monsieur Daniel Gendron, n’a pas subi de lésion professionnelle;

DÉCLARE que le travailleur, monsieur Daniel Gendron, n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

                       Renée M. Goyette


Dernière modification : le 10 février 2014 à 11 h 06 min.