Extraits pertinents :

[1] Aymane Tabet (Tabet) sollicite l’exécution d’un contrat intitulé Collaboration Agreement qu’il soumet avoir signé le 25 juillet 2010 avec EquityFeed Corporation (EquityFeed), et notamment le respect d’une clause lui donnant droit à 50 % des revenus générés par un logiciel intitulé Newsfeed. Il requiert la condamnation solidaire d’EquityFeed et de son président, Stephan Touizer (Touizer), à payer des revenus évalués à 696 267,84 $, des dommages matériels au montant de 20 000 $, des dommages punitifs de l’ordre de 40 000 $, ainsi que le remboursement de ses honoraires d’avocats.

[2] EquityFeed et Touizer[1] contestent vivement le recours intenté par Tabet, font valoir que le contrat est fabriqué de toutes pièces et n’a jamais été signé par les parties, que le logiciel sous le nom Newsfeed n’a jamais existé, et demande au Tribunal de déclarer le recours de Tabet abusif et de le condamner à leur rembourser la totalité des honoraires d’avocats qu’ils ont déboursés.

[8] Entre temps, en juillet 2010, selon Tabet[8], Touizer reconnaît sa contribution au logiciel NewsTrader et l’approche pour discuter d’une entente de collaboration. Touizer lui aurait remis, sur un papier autoadhésif (stiky note), l’adresse d’un site Internet avec un nom d’utilisateur et un mot de passe, pour avoir accès à un contrat. Tabet en aurait pris connaissance sur Internet et pour donner son consentement, il se souvient d’avoir cliqué sur une icône semblable à «I agree» ou «I submit». Le document Collaboration Agreement, apparemment signé le 25 juillet 2010[9], prévoit notamment qu’EquityFeed et Tabet s’entendent pour collaborer dans le développement du logiciel, renommé Newsfeed, et se répartir les revenus provenant de son exploitation. Tabet dit avoir sauvegardé le contrat dans son ordinateur portable et en avoir fait une copie papier seulement quelques jours plus tard[10]. Ces évènements et prétentions sont vivement niés et contestés par les défendeurs, qui se disent victimes d’une pure invention du demandeur.

[15] Il est également admis que les programmeurs, employés d’EquityFeed[14], ont fait la programmation complète du logiciel NewsTrader[15]. La contribution distincte que revendique Tabet est décrite dans l’Exhibit A du document Collaboration Agreement, soit des idées et concepts résumés en une page[16]. À cet égard, il ne prétend pas bénéficier de la protection de la Loi sur le droit d’auteur[17]; son recours est essentiellement contractuel.

3. L’ANALYSE

3.1 Le document Collaboration Agreement

3.1.1 La description du document

[17] Tabet soutient que le document Collaboration Agreement est une copie papier d’un document électronique provenant d’un site Internet, sauvegardé sur son ordinateur portable, lequel ordinateur a été détruit depuis[18].

[18] Ainsi, le document se présente comme l’imprimé d’un texte, prenant la forme d’un contrat intitulé Collaboration Agreement, comportant quinze clauses distinctes et en guise de signature, ceci :

Executed with the intent on being legally bound by the following:

Name: Aymane Tabet
Company:
Address: 250 blvd Saint Joseph Est, apt 406
Montreal, QC H2T 1H7

Name: Stephan Touizer
Company: Equityfeed Corporation
Address: 5485 Pare blvd, suite 204
Montreal, QC H4P 1P7

Signed On: July 25th, 2010

[19] L’entête du document indique la date du «7/30/2010» à gauche et au centre, le nom de «Equityfeed Corporation». En pied de page, on retrouve la numérotation des pages à droite et à gauche, l’adresse URL suivante :

https://www.equityfeed.com/collaborationagreement.php?key=07s31...

[20] À la quatrième page, constitue l’Exhibit A qui présente les idées et concepts que Tabet affirme avoir soumis à EquityFeed.

3.1.2 La contestation du document Collaboration Agreement

[21] Les dispositions applicables du C.c.Q. se lisent comme suit :

2826. L’acte sous seing privé est celui qui constate un acte juridique et qui porte la signature des parties; il n’est soumis à aucune autre formalité.

2827. La signature consiste dans l’apposition qu’une personne fait à un acte de son nom ou d’une marque qui lui est personnelle et qu’elle utilise de façon courante, pour manifester son consentement.

2828. Celui qui invoque un acte sous seing privé doit en faire la preuve.

Toutefois, l’acte opposé à celui qui paraît l’avoir signé ou à ses héritiers est tenu pour reconnu s’il n’est pas contesté de la manière prévue au Code de procédure civile (chapitre C-25.01).

2829. L’acte sous seing privé fait preuve, à l’égard de ceux contre qui il est prouvé, de l’acte juridique qu’il renferme et des déclarations des parties qui s’y rapportent directement.

[22] Tabet soumet que le Collaboration Agreement est un acte sous seing privé, qui constate l’acte juridique intervenu entre les parties, porte leurs signatures électroniques et fait preuve des obligations et déclarations qu’il renferme. Il plaide que les défendeurs ont fait défaut de contester le document de la manière prévue par le Code de procédure civile (262 C.p.c. (c. C-25.01), et qu’il en résulte un aveu tacite de sa signature.

[23] Pour sa part, EquityFeed soumet que le document créé par Tabet n’est pas dûment signé par les parties, n’est pas un acte sous seing privé et n’est pas en vigueur en vertu même de la clause 12 du contrat, qui se lit comme suit :

12. Term and Termination
This Agreement shall come into force as of the date of its signature by the parties. This Agreement will remain in effect throughout the term of the copyright and any extensions of the copyright in the Work. This agreement may only be terminated by the written consent of both parties.
[Nos soulignés.]

[25] Dans un premier temps, contrairement à ce que laisse entendre le demandeur, les noms tapés (dactylographiés) sur le document Collaboration Agreement ne correspondent pas à la définition d’une «signature électronique».

[26] Il n’existe aucune trace d’un procédé électronique quelconque, en l’instance, pour assurer l’intégrité et l’authentification du document Collaboration Agreement.

[27] Dans un deuxième temps, la question se pose à savoir si les noms simplement tapés (dactylographiés) dans le document Collaboration Agreement rencontrent les conditions d’une signature de l’article 2827 du C.c.Q. précité.

[28] En l’absence de décision judiciaire précise à ce sujet, il y a lieu de s’intéresser à l’opinion émise par les auteurs de la doctrine.

[29] D’abord, les auteurs Pierre Trudel, Guy Lefebvre et Serge Parisien nous rappellent que la signature remplit essentiellement deux fonctions : l’identification du signataire et l’expression de sa volonté d‘adhérer au contenu de l’acte signé. En d’autres mots, elle ne doit laisser aucun doute sur l’identité du signataire et sa volonté[21]. À l’évidence, l’article 2827 C.c.Q. permet de rencontrer ces objectifs.

[30] Pour sa part, l’auteur Léo Ducharme[22], fait une analyse intéressante des dispositions applicables, dont notamment les extraits suivants sont pertinents :

502. Pour qu’un document technologique soit considéré comme un acte sous seing privé, il faut qu’il ait été l’instrument de l’expression d’un consentement par l’apposition d’une signature. Au niveau des principes, la loi reconnaît que le consentement à un acte juridique contenu dans un document technologique puisse prendre la forme d’une signature, comme il appert du deuxième alinéa de l’article 39 de la Loi [concernant le cadre juridique des technologies de l’information[23]] qui s’énonce ainsi:

Quel que soit le support du document, la signature d’une personne peut servir à l’établissement d’un lien entre elle et un document. La signature peut être apposée au document au moyen de tout procédé qui permet de satisfaire aux exigences de l’article 2827 du Code civil.

503. En vertu de l’article 2827 C.c.Q., la signature consiste dans l’apposition qu’une personne fait à un acte de son nom ou d’une marque qui lui est personnelle et qu’elle utilise de façon courante pour manifester son consentement. À cause de la nature même du support informatique, c’est très exceptionnellement qu’une personne pourra y exprimer son consentement par l’apposition d’une signature manuscrite. La chose n’est toutefois pas impossible. Il y a bien expression d’un consentement par le moyen d’une signature manuscrite, lorsque, par exemple, dans certains établissements, le client qui fait un achat par carte de crédit, est appelé à exprimer son consentement par l’apposition de sa signature, non pas sur une facture papier, mais sur un petit écran relié à un système informatique où l’opération est enregistrée. Mais, selon nous, on ne peut pas considérer comme constituant une signature le simple fait de dactylographier son nom au bas d’un document technologique[24].
[Références omises.]

[31] Le Tribunal partage l’analyse et l’opinion du professeur Ducharme. De toute évidence, le simple nom dactylographié d’une personne, dans un document électronique comme dans un document papier, ne saurait répondre à lui seul aux conditions de l’article 2827 C.c.Q. et remplir la fonction importante d’identification poursuivie par la signature, notamment.

[32] Comme le document Collaboration Agreement ne «paraît» pas avoir été signé par Touizer, au sens de 2827 C.c.Q., le Tribunal conclut que les défendeurs n’avaient pas l’obligation de le contester en suivant les règles de l’article 262 C.c.p.

3.1.3 Le contrat et la commercialisation du logiciel

[43] La fiabilité du document Collaboration Agreement est vivement contestée. S’agissant d’une copie papier d’un document électronique à l’origine, il y a lieu de s’intéresser aux règles particulières applicables à cet égard.

[44] Tant la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information[33] (Loi) que le Code civil du Québec[34] établissent le régime applicable à l’admissibilité en preuve d’un document technologique et de sa copie papier, notamment pour assurer l’intégrité du document.

[45] Plus particulièrement, l’alinéa 3 de l’article 2860 C.c.Q. confirme que la règle de la meilleure preuve s’applique[35], et qu’à l’égard d’un document technologique, la fonction d’original est remplie par un document qui répond aux exigences des articles 12 de la Loi, lequel prévoit :

12. Un document technologique peut remplir les fonctions d’un original. À cette fin, son intégrité doit être assurée et, lorsque l’une de ces fonctions est d’établir que le document :

1° est la source première d’une reproduction, les composantes du document source doivent être conservées de sorte qu’elles puissent servir de référence ultérieurement ;

2° présente un caractère unique, les composantes du document ou de son support sont structurées au moyen d’un procédé de traitement qui permet d’affirmer le caractère unique du document, notamment par l’inclusion d’une composante exclusive ou distinctive ou par l’exclusion de toute forme de reproduction du document ;

3° est la forme première d’un document relié à une personne, les composantes du document ou de son support sont structurées au moyen d’un procédé de traitement qui permet à la fois d’affirmer le caractère unique du document, d’identifier la personne auquel le document est relié et de maintenir ce lien au cours de tout le cycle de vie du document.

Pour l’application des paragraphes 2° et 3° du premier alinéa, les procédés de traitement doivent s’appuyer sur des normes ou standards techniques approuvés par un organisme reconnu visé à l’article 68.

[46] L’intégrité d’un document résulte de deux éléments : 1) lorsqu’il est possible de vérifier que l’information n’en est pas altérée et qu’elle est maintenue dans son intégralité, et 2) que le support qui porte cette information lui procure la stabilité et la pérennité voulue[36].

[47] En l’espèce, s’agissant d’une copie papier du document technologique, le Tribunal se doit de voir au respect des articles 2841 et 2842 C.c.Q., ainsi que 15 à 17 de la Loi :

2841. La reproduction d’un document peut être faite soit par l’obtention d’une copie sur un même support ou sur un support qui ne fait pas appel à une technologie différente, soit par le transfert de l’information que porte le document vers un support faisant appel à une technologie différente.

Lorsqu’ils reproduisent un document original ou un document technologique qui remplit cette fonction aux termes de l’article 12 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (chapitre C-1.1), la copie, si elle est certifiée, et le document résultant du transfert de l’information, s’il est documenté, peuvent légalement tenir lieu du document reproduit.

La certification est faite, dans le cas d’un document en la possession de l’État, d’une personne morale, d’une société ou d’une association, par une personne en autorité ou responsable de la conservation du document.

2842. La copie certifiée est appuyée, au besoin, d’une déclaration établissant les circonstances et la date de la reproduction, le fait que la copie porte la même information que le document reproduit et l’indication des moyens utilisés pour assurer l’intégrité de la copie. Cette déclaration est faite par la personne responsable de la reproduction ou qui l’a effectuée.

Le document résultant du transfert de l’information est appuyé, au besoin, de la documentation visée à l’article 17 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (chapitre C-1.1).

* * *

15. Pour assurer l’intégrité de la copie d’un document technologique, le procédé employé doit présenter des garanties suffisamment sérieuses pour établir le fait qu’elle comporte la même information que le document source.

Il est tenu compte dans l’appréciation de l’intégrité de la copie des circonstances dans lesquelles elle a été faite ainsi que du fait qu’elle a été effectuée de façon systématique et sans lacunes ou conformément à un procédé qui s’appuie sur des normes ou standards techniques approuvés par un organisme reconnu visé à l’article 68.

Cependant, lorsqu’il y a lieu d’établir que le document constitue une copie, celle-ci doit, au plan de la forme, présenter les caractéristiques qui permettent de reconnaître qu’il s’agit d’une copie, soit par l’indication du lieu et de la date où elle a été effectuée ou du fait qu’il s’agit d’une copie, soit par tout autre moyen.

La copie effectuée par une entreprise au sens du Code civil ou par l’État bénéficie d’une présomption d’intégrité en faveur des tiers.

16. Lorsque la copie d’un document doit être certifiée, cette exigence peut être satisfaite à l’égard d’un document technologique au moyen d’un procédé de comparaison permettant de reconnaître que l’information de la copie est identique à celle du document source.

17. L’information d’un document qui doit être conservé pour constituer une preuve, qu’il s’agisse d’un original ou d’une copie, peut faire l’objet d’un transfert vers un support faisant appel à une technologie différente.

Toutefois, sous réserve de l’article 20, pour que le document source puisse être détruit et remplacé par le document qui résulte du transfert tout en conservant sa valeur juridique, le transfert doit être documenté de sorte qu’il puisse être démontré, au besoin, que le document résultant du transfert comporte la même information que le document source et que son intégrité est assurée. […]

[48] De toute évidence, en l’instance, le document Collaboration Agreement ne respecte ni les exigences du C.c.Q., ni celles de la Loi.

[50] En réalité, Tabet se devait de suivre les exigences de l’article 17 de la Loi avant de détruire son ordinateur portable, et ainsi de préserver sa preuve, de conserver la valeur juridique du document papier et d’assurer son intégrité.

[51] Le Tribunal conclut que le document Collaboration Agreement ne rencontre pas les conditions légales, ne présente pas les garanties suffisantes pour pouvoir s’y fier et assurer sa source et son intégrité.

[52] Par ailleurs, l’alinéa 2 de l’article 2839 C.c.Q. prévoit que «[l]orsque le support ou la technologie utilisé ne permet ni d’affirmer ni de dénier que l’intégrité du document est assurée, celui-ci peut, selon les circonstances, être reçu à titre de témoignage ou d’élément matériel de preuve et servir de commencement de preuve.»

[81] En somme, le Tribunal conclut que le demandeur n’a pas rencontré son fardeau et que l’ensemble de la preuve ne permet pas de conclure que le document Collaboration Agreement émane d’EquityFeed, ou qu’il existe un lien contractuel quelconque entre les parties, et même une commercialisation du logiciel Newsfeed revendiqué par Tabet. Il y a lieu de rejeter le recours principal.

[91] À la lumière de la jurisprudence et de l’ensemble de la preuve et des circonstances du présent dossier, le Tribunal considère qu’il y a eu abus de procédure de la part du demandeur Tabet, et par conséquent, accède à la demande des défendeurs quant aux honoraires extrajudiciaires. Aussi, la somme de 28 375,98 $[53] réclamée dans le contexte du présent litige et d’une audition de trois jours, s’avère justifiée.

[92] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[93] REJETTE la demande introductive d’instance d’Aymane Tabet;

[94] ACCUEILLE la défense modifiée des défendeurs EquityFeed Corporation et Stephan Touizer;

[95] CONDAMNE le demandeur Aymane Tabet à payer à EquityFeed Corporation la somme de 28 375,98 $ pour les honoraires des avocats, avec intérêts au taux légal plus indemnité additionnelle selon l’article 1619 C.c.Q. à compter du présent jugement;

[96] LE TOUT, avec les frais judiciaires en faveur des défendeurs.


Dernière modification : le 13 septembre 2017 à 14 h 45 min.