Extraits pertinents :

[1] Les défendeurs présentent un moyen d’irrecevabilité fondé sur l’article 168 du Code de procédure civile (C.p.c.). Ils soutiennent que les deux avis transmis par la demanderesse le 15 février 2016 à l’adresse courriel nouvelles.lapresse.ca ne rencontrent pas les exigences de l’article 3 de la Loi sur la Presse (« Loi ») et devront être réputés non envoyés.

[2] Le 8 mars 2016, la demanderesse intente un recours en dommages-intérêts contre La Presse et deux de ses journalistes, monsieur Vailles et madame Lévesque, à la suite de la publication de cinq articles qu’elle estime diffamatoires à son égard.

[3] Lesdits articles, publiés les 11, 13, 15, 16 et 24 février 2016, portent sur des transactions intervenues entre la demanderesse et son conjoint durant le procès pénal de ce dernier, par lesquelles les parties adoptent le régime matrimonial de la séparation de biens et le conjoint cède sa part de la maison familiale à la demanderesse.

[6] Le 10 mars 2016, le procureur des défendeurs requiert des informations sur la manière dont l’avis préalable exigé à l’article 3 de la Loi sur la Presse, communiqué comme pièce P-24, a été envoyé aux défendeurs[2]. De plus, il demande une copie des pièces. L’avis aurait été transmis par courriel à l’adresse nouvelles@lapresse.ca[3].

[8] Selon la déclaration sous serment de la parajuriste des procureurs en demande, datée du 19 janvier 2017, elle aurait transmis les deux avis à l’adresse courriel nouvelles@lapresse.ca, le 15 février 2016. Selon elle, l’adresse courriel se trouve à l’onglet « nos coordonnées » et « nous joindre » sur le site Internet de La Presse.

[11] Les défendeurs demandent le rejet de la demande introductive d’instance compte tenu du défaut de la demanderesse d’avoir transmis l’avis prescrit par l’article 3 de la Loi quant aux articles publiés les 16 et 24 février 2016.

[14] La demanderesse plaide que l’article 3 n’exige pas de forme particulière pour l’avis préalable et que les défendeurs, ayant admis la réception desdits avis, ne peuvent maintenant invoquer leur propre négligence dans le traitement de courriels à l’interne comme moyen d’irrecevabilité. Elle soulève également la tardivité de la demande de rejet.

[16] Finalement, la demanderesse soumet, à titre d’argument subsidiaire, que son recours en dommages pour atteinte à la vie privée n’est pas visé par les articles 2 et 3 de la Loi. Selon la demanderesse, l’article 2 de la Loi doit être lu en conjonction avec l’article 2929 du Code civil du Québec (C.c.Q) afin de restreindre l’application de la Loi au recours pour atteinte à la réputation.

[17] Les principes juridiques applicables lors de l’examen d’un moyen d’irrecevabilité sont bien connus et ils ont été résumés dans l’arrêt Bohémier c. Barreau du Québec comme suit[7]:

[66] Les principes juridiques liés à l'irrecevabilité sont les suivants :
• Les allégations de la requête introductive d'instance sont tenues pour avérées, ce qui comprend les pièces déposées à son soutien;
• Seuls les faits allégués doivent être tenus pour avérés et non pas la qualification de ces faits par le demandeur;
• Le Tribunal n'a pas à décider des chances de succès du demandeur ni du bien-fondé des faits allégués. Il appartient au juge du fond de décider, après avoir entendu la preuve et les plaidoiries, si les allégations de faits ont été prouvées;
• Le Tribunal doit déclarer l'action recevable si les allégations de la requête introductive d'instance sont susceptibles de donner éventuellement ouverture aux conclusions recherchées;
• La requête en irrecevabilité n'a pas pour but de décider avant procès des prétentions légales des parties. Son seul but est de juger si les conditions de la procédure sont solidaires des faits allégués, ce qui nécessite un examen explicite mais également implicite du droit invoqué;
• On ne peut rejeter une requête en irrecevabilité sous prétexte qu'elle soulève des questions complexes;
• En matière d'irrecevabilité, un principe de prudence s'applique. Dans l'incertitude, il faut éviter de mettre prématurément à un procès;
• En cas de doute, il faut laisser au demandeur la chance d'être entendu au fond.

[19] L’action intentée par une personne qui se croit lésée par un article publié dans le journal est assujettie à la Loi. Les dispositions pertinentes au moyen d’irrecevabilité se lisent ainsi :

3. Aucune telle action ne peut être intentée contre le propriétaire du journal, sans que la partie qui se croit lésée, par elle-même ou par procureur, n’en donne avis préalable de trois jours ouvrables, au bureau du journal, ou au domicile du propriétaire, de manière à permettre à ce journal de rectifier ou de rétracter l’article incriminé.

[21] L’objectif du législateur est de protéger la liberté de la presse. Ainsi, la Loi profite non seulement au propriétaire du journal mais également aux journalistes[10]. Quant aux exigences strictes de la Loi, la Cour d’appel énonce ce qui suit[11] :

Lorsqu’un texte est limpide, il n’y a pas matière à interprétation. Le Législateur a indéniablement voulu protéger la liberté de presse. Dans la poursuite de cet objectif, il a créé une courte prescription. Il a de plus assujetti le droit d’action à une exigence préalable impérative : toute partie qui s’estime lésée ne peut entreprendre un recours contre un journal et ses journalistes à moins de leur avoir donné un avis préalable de trois jours ouvrables afin de leur donner la possibilité de se rétracter.

Cette exigence est draconienne puisqu’elle atteint le droit même de s’adresser aux tribunaux.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[24] Le Tribunal procédera à l’analyse des questions en litige suivantes :
1. Les défendeurs ont-ils dénoncé leur moyen préliminaire en temps utile?
2. La demanderesse est-elle exemptée de transmettre l’avis préalable aux défendeurs selon l’article 9 de la Loi?
3. Les avis transmis à l’adresse courriel nouvelles@lapresse.ca répondent-ils aux exigences de l’article 3 de la Loi?
4. Le recours de la partie lésée, visé par les articles 2 et 3 de la Loi, est-il applicable seulement au recours pour atteinte à la réputation? Si oui, le Tribunal devrait-il accueillir le moyen d’irrecevabilité en partie?

[34] Aucun avis n’a été donné à l’égard des articles publiés les 16 et 24 février 2016. Le débat se limite aux avis transmis le 15 février 2016 à l’égard des articles publiés les 11, 13 et 15 février 2016.

[35] D’entrée de jeu, le Tribunal souligne que les erreurs cléricales à l’égard des articles publiés les 11 et 13 février 2016, mais identifiées comme les 12 et 13 février 2015, ne sont pas des déficiences fatales au recours de la demanderesse[22]. Le contenu de l’avis daté du 15 février 2016 est suffisamment détaillé pour permettre au lecteur d’identifier les articles visés par la mise en demeure. D’ailleurs, les défendeurs ne soulèvent pas de problématique à l’égard de l’article publié le 13 février 2016 mais identifié comme étant le 13 février 2015.

[36] Ceci dit, le cœur du litige concerne la manière dont les avis ont été transmis, soit à l’adresse courriel nouvelles@lapresse.ca.

[37] La Loi ne prescrit pas de forme particulière pour l’avis préalable pourvu qu’il soit « donné au bureau du journal, ou au domicile du propriétaire, de manière à permettre à ce journal de rectifier ou rétracter l’article incriminé ».

[42] En l’instance, les avis sont transmis par courriel à l’adresse nouvelles@lapresse.ca, une adresse que le journal représentait publiquement être un emplacement où il accepte de recevoir les documents qui lui sont destinés. L’adresse se situait sur le site Internet de La Presse à la page « coordonnées » directement sous la phrase suivante : « Vous avez une nouvelle à nous transmettre? Écrivez-nous à nouvelles@lapresse.ca »[27].

[43] Le site Internet de La Presse a été modifié depuis afin de dédier une adresse courriel pour signaler une erreur ou transmettre un commentaire à la direction de l’information[28].

[44] L’article 31 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information précise ce qui suit :

Le document technologique est présumé reçu ou remis lorsqu’il devient accessible à l’adresse que le destinataire indique à quelqu’un être l’emplacement où il accepte de recevoir de lui un document ou celle qu’il représente publiquement être un emplacement où il accepte de recevoir les documents qui lui sont destinés, dans la mesure où cette adresse est active au moment de l’envoi.

[45] Bien que la présomption à l’article 31 ne soit pas irréfragable, les déclarations sous serment des défendeurs admettent que les avis ont été reçus après de nombreuses recherches internes mais n’expliquent pas pourquoi les avis n’ont pas été retracés en temps opportun. Pourtant, l’adresse courriel invite le public à transmettre des nouvelles, ce qui laisse croire que les envois sont lus en temps utile pour des fins de publication.

[46] En matière d'irrecevabilité, un principe de prudence s'applique. Dans l'incertitude, il faut éviter de mettre fin prématurément à un procès. Dans les circonstances, le Tribunal conclut que les exigences de l’article 3 de la Loi sont satisfaites par la transmission des avis par courriel à l’adresse nouvelles@lapresse.ca à l’égard des articles publiés les 11, 13 et 15 février 2016.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[58] ACCUEILLE, en partie, le moyen d’irrecevabilité des défendeurs;

[59] REJETTE le recours de la demanderesse à l’égard des articles publiés le 16 et le 24 février 2016;


Dernière modification : le 27 février 2017 à 12 h 43 min.