Extraits pertinents :

[1] Le soussigné a été mandaté le 4 février 2015 par le Ministre du Travail pour entendre le grief en titre.

S-5 : Grief numéro 2014-23 déposé le 5 août 2014 au nom de Madame Choque qui se lit comme suit :

DESCRIPTION DU GRIEF

Je conteste le congédiement en date du 01-08-2014 pour faute grave. Pour les évènements du 21-07-2014 lié à la défectuosité de la roue arrière droite du véhicule #28248

RÉCLAMATION

Je réclame la réintégration de mon poste de conductrice d’autobus en date du 01-08-2014 avec pleine compensation et tous les autres droits et avantages prévus à la convention collective, la compensation de tous les préjudices subis, de quelque nature qu’ils soient, incluant les dommages moraux et exemplaires ainsi que le préjudice fiscal. Le tout rétroactivement et avec intérêts au taux prévu au Code du travail, sans préjudice aux autres droits dévolus.

[59] On produit comme pièce E-13 un DVD sur lequel on retrouve deux vidéos. Les autobus sont équipés de 4 caméras. L’une filme ce qui se passe à l’extérieur devant le véhicule. Une autre est braquée sur le poste du conducteur et la porte avant de l’autobus. La troisième nous montre l’intérieur du véhicule vers l’arrière et la quatrième, posée à l’arrière, nous montre de cet angle l’intérieur du véhicule vers l’avant. On enregistre à la fois l’image et le son.

[60] La première vidéo a été prise le 9 septembre 2015. Le responsable de la mécanique, Monsieur Côté, a fait le même trajet que celui suivi par la Plaignante le 21 juillet 2015, à partir de l’endroit où cette dernière dit avoir commencé à sentir des vibrations sur le volant du véhicule, soit à l’angle des rues Sherbrooke et des Ormeaux. On circule sur Sherbrooke vers l’ouest jusqu’à la station Radisson, on tourne sur la rue des Groseilliers pour revenir prendre la rue Sherbrooke vers l’est, la bretelle d’accès à l’autoroute 25, ladite autoroute et finalement l’autoroute 40 jusqu’à l’endroit où l’autobus numéro 29248 s’était immobilisé dans la sortie 98.

[61] L’autobus conduit par Monsieur Côté le 9 septembre 2015 est en bon ordre de fonctionnement. C’est le même véhicule que celui que conduisait la Plaignante le 21 juillet 2015.

[62] Le visionnement et l’écoute de la première vidéo ne démontrent rien de particulier. On y entend le bruit normal du moteur du véhicule, celui des clignotants, rien d’inhabituel.

[66] Comme conducteur de véhicules lourds, le témoin nous dit que le bruit de crécelle que l’on entend révèle une anomalie évidente provenant des roues. Il ne peut dire de quelle roue mais, pour lui, la défectuosité est facilement décelable. Le bruit que l’on entend est anormal et la conductrice aurait dû communiquer avec la répartition. À la station Radisson, alors que la Plaignante a « pressenti » un problème, elle n’a pas vérifié plus loin que les roues avant. Elle est repartie et a emprunté les autoroutes 25 et 40 alors qu’elle aurait dû demeurer sur place et demander que l’on vienne faire une vérification. C’est ainsi que lui-même aurait agi après avoir fait le tour complet de son autobus.

[67] Monsieur Groulx explique de quelle façon on a procédé pour reproduire fidèlement sur le DVD pièce E-13 ce que l’on voyait et entendait sur la cassette du magnétoscope situé dans l’autobus.

[189] À l’écoute de la vidéo pièce E-13 le témoin constate un bruit très fort, inhabituel, comme il n’en a jamais entendu. Il s’étonne que les clients assis à l’arrière n’aient rien fait. Ces derniers, dit-il, lorsqu’il y a un bruit, le rapportent. Il cite en exemple le rapport de VAD du 13 mai 2014 portant le numéro A-327061, faisant partie de la liasse pièce E-27 qui mentionne : « il y a un "rattle" derrière le conducteur, un client m’informe qu’il sent des coups sur le plancher donc ça doit provenir dessous le Bus. Le bruit se fait entendre au départ […] ».

[228] On produit comme pièces E-28, E-29 et E-30 des photos prises à l’intérieur du véhicule impliqué dans l’incident qui nous occupe. À l’aide de ces photos, Monsieur Groulx nous indique où se situent les quatre caméras installées à l’intérieur de l’autobus. La caméra numéro 1 est située à l’avant, au- dessus du conducteur et c’est le son capté par cette caméra qui, par défaut, est reproduit lorsque l’on visionne la vidéo. C’est donc le son capté par cette caméra que l’on entend sur la vidéo pièce E-13.

[229] On produit comme pièce E-31 une vidéo produite le 2 juin 2016 qui illustre de quelle façon le son peut être capté par chacune des caméras situées dans le véhicule.

[230] Monsieur Groulx n’est pas un expert en son. Il ne sait pas quelle sorte de micro est utilisé dans l’autobus et ne peut pas dire à quel niveau se situe la prise de son. La vidéo pièce E-31 a été tournée le 1er juin 2016 et le témoin a réalisé l’extrait avec l’aide du technicien Dany Boivin le 2 juin 2016. Il n’a pas de formation en cette matière mais a reçu des explications de Monsieur Boivin en 2014 et en 2015.

[231] Le témoin explique la façon dont il a procédé pour reproduire l’extrait pièce E-13. Il ne sait pas le nom du logiciel utilisé. Ce logiciel est sur son ordinateur depuis environ 2012. Au moment où il a reproduit l’extrait pièce E-13, le 21 juillet 2014, le technicien Boivin était absent et il a donc « pris les moyens qu’il pouvait ».

[232] À l’aide de la vidéo pièce E-31, on fait des tests pour démontrer que, selon le niveau de son demandé à l’ordinateur, on entend plus ou moins les bruits captés par l’une ou l’autre des caméras. Lorsqu’il a reproduit l’extrait pièce E-13 le 21 juillet 2014, Monsieur Groulx ne peut pas dire s’il y avait un ajustement possible du volume du son de la caméra. Par ailleurs, pour ne pas déranger la répartition, sa porte de bureau était fermée et il entendait bien.

[233] À la question de savoir s’il est possible que l’on joue avec le volume du son lorsque l’on reproduit comme il l’a fait l’extrait pièce E-13, le témoin répond que c’est possible, mais nie que le son de son ordinateur ait été au maximum lorsqu’il l’a fait puisque, répète-t-il, il ne voulait pas déranger la répartition.

[256] Concernant la vidéo pièce E-13, on rappelle l’article 9.14 de la convention collective dont le texte est reproduit au paragraphe 241 ci-haut. Non seulement on soumet que ladite vidéo ne peut constituer l’essentiel de la preuve contre la Plaignante, mais également que l’on ne saurait l’utiliser en vertu de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information et plus particulièrement des articles 6, 7, 11 et 12 de ladite Loi qui se lisent comme suit :

6. L'intégrité du document est assurée, lorsqu'il est possible de vérifier que l'information n'en est pas altérée et qu'elle est maintenue dans son intégralité, et que le support qui porte cette information lui procure la stabilité et la pérennité voulue.

L'intégrité du document doit être maintenue au cours de son cycle de vie, soit depuis sa création, en passant par son transfert, sa consultation et sa transmission, jusqu'à sa conservation, y compris son archivage ou sa destruction.

Dans l'appréciation de l'intégrité, il est tenu compte, notamment des mesures de sécurité prises pour protéger le document au cours de son cycle de vie.

7. II n'y a pas lieu de prouver que le support du document ou que les procédés, systèmes ou technologies utilisés pour communiquer au moyen d'un document permettent d'assurer son intégrité, à moins que celui qui conteste l'admission du document n'établisse, par prépondérance de preuve, qu'il y a eu atteinte à l'intégrité du document.[…]

11. En cas de divergence entre l'information de documents qui sont sur des supports différents ou faisant appel à des technologies différentes et qui sont censés porter la même information, le document qui prévaut est, à moins d'une preuve contraire, celui dont il est possible de vérifier que l'information n'a pas été altérée et qu'elle a été maintenue dans son intégralité.

12. Un document technologique peut remplir les fonctions d'un original. À cette fin, son intégrité doit être assurée et, lorsque l'une de ces fonctions est d'établir que le document :

1° est la source première d'une reproduction, les composantes du document source doivent être conservées de sorte qu'elles puissent servir de référence ultérieurement ;[…]

Pour ces raisons, dit Madame Grenier, le Tribunal ne devrait pas tenir compte de la vidéo pièce S-13.

[257] La procureure syndicale s’attarde à la façon dont Monsieur Groulx a procédé pour produire l’extrait de vidéo pièce E-13. Elle soumet que l’on aurait dû garder l’original dans son intégralité. Elle soulève des doutes concernant le volume du son avec lequel on pourrait jouer et indique que l’on ne connaît pas la sensibilité des micros utilisés, avec la conséquence que l’on ne peut pas contredire Madame Choque lorsqu’elle affirme n’avoir rien entendu jusqu’au moment précédant l’arrêt final du véhicule, incapable d’avancer. Pour ces raisons la vidéo pièce S-13 devrait être prise avec réserve.

[258] On rappelle finalement qu’aucun passager ne se serait plaint du bruit que l’on peut entendre sur la vidéo

IV- ANALYSE

[265] On a plaidé que l’essentiel de la preuve de l’Employeur reposait sur la vidéo pièce E-13 et que, par conséquent, celui-ci avait agi illégalement, à l’encontre des dispositions de l’article 9.14 de la convention collective déjà cité. Avec égards, suite à mon analyse, il n’en est rien. Bien sûr, le visionnement de la vidéo a peut-être fait en sorte que l’on ne s’éloigne pas trop de la vérité. Cependant, encore une fois, le récit des événements par la Plaignante m’éclaire suffisamment pour évaluer si elle a commis une ou des fautes, si elle a fait preuve de négligence grossière et d’insouciance inacceptable et, surtout, si elle a été franche et honnête dans les différentes versions données à l’Employeur, à ses représentants syndicaux, plus précisément à Monsieur Bernier, et au Tribunal.

Pour ces motifs le Tribunal :

Rejette le grief.


Dernière modification : le 8 mars 2017 à 15 h 31 min.