Extraits pertinents :

OBJET EN LITIGE :

DEMANDE DE RÉVISION en matière d’accès en vertu de l’article 135 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.

[1] Le 18 décembre 2012, monsieur R... P... (le demandeur) présente une demande d’accès à la Municipalité de Saint-Hubert-de-Rivière-du-Loup (l’organisme) requérant les procès-verbaux en version « Word » des séances publiques du conseil pour la période s’étalant de janvier 2009 à décembre 2012.

[2] Le 16 janvier 2013, l’organisme lui répond que la version réclamée ne constitue pas le texte final et officiel en vertu du Code municipal du Québec. Il ajoute que ce document n’est qu’une ébauche ou un brouillon et que celui-ci n’est pas accessible en vertu du deuxième alinéa de l’article 9 de la Loi sur l’accès. Également, l’organisme indique que la transmission de ce document impliquerait une comparaison de renseignements, ce qu’il n’est pas tenu de faire en vertu de l’article 15 de la Loi sur l’accès.

Faits :

[7] Le demandeur milite pour le Réseau d’information sur les municipalités, organisme voué à la participation citoyenne sur le plan de la vie démocratique. Il sollicite de la part de plusieurs municipalités leurs procès-verbaux liés aux séances du conseil en privilégiant une version électronique. Dans le cas sous étude, il requiert la version confectionnée à l’aide du logiciel « Word ».

[19] Il estime important de rendre ce genre d’information le plus accessible possible. Il s’étonne qu’on lui refuse l’accès à des renseignements à caractère public. Il privilégie le format numérique car cela limite les frais exigibles.

[20] En contre-interrogatoire, il n’est pas en mesure d’attester si le mode utilisé par d’autres municipalités publiant les procès-verbaux sur leur site Internet reproduit un contenu en format « Word » ou « PDF ». Ses connaissances modestes en matière informatique, acquises par le biais de lectures sur le sujet, lui portent à croire que dans les deux cas, il est possible pour un utilisateur de modifier les données. Selon lui, rien ne permet d’assurer l’intégrité du contenu de l’une ou l’autre formule.

Argumentation des parties :

[21] Le procureur de l’organisme soumet principalement que les documents réclamés, dans leur forme spécifiée par le demandeur, sont des brouillons ou des ébauches et que ceux-ci ne sont pas accessibles au sens du deuxième alinéa de l’article 9 de la Loi sur l’accès. Les procès-verbaux, au stade de leur confection initiale en version « Word », ne seraient que des documents préparatoires.

[22] Le procureur plaide, d’autre part, que la transmission de ces documents sous cette forme ne permettrait pas d’assurer l’intégrité de leur contenu au sens des dispositions prévues dans le Code précité ainsi que dans la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information.

[23] Il ajoute que le procès-verbal d’une séance du conseil doit satisfaire certaines normes de validité; celui-ci doit notamment être signé et contenir les annotations en marge, le cas échéant.

[24] Le procureur de l’organisme est d’avis que tout document confectionné antérieurement à la version finale d’un procès-verbal qui ne répondrait pas aux formalités prescrites pour le rendre officiel ne constitue qu’un brouillon ou une ébauche. En l’absence de définition légale de ces termes, il propose de s’en remettre à leur sens commun et usuel pour en délimiter la portée.

[25] De façon subsidiaire, il mentionne que la transmission des documents en format « Word » nécessiterait de les comparer avec les procès-verbaux ayant acquis un caractère officiel, obligation qui n’est aucunement imposée à son client en vertu de la Loi sur l’accès.

[26] Également, le procureur de l’organisme réfère aux articles 2, 5, 6 et 23 de la LCJTI pour ainsi faire valoir que le choix du support d’un document doit respecter les règles de droit en vigueur pour en assurer l’intégrité. Bien que ce choix tienne compte de la demande formulée par le demandeur, il ne doit pas soulever de difficultés pratiques sérieuses.

[27] Or, il soumet que le contenu d’un document en format « Word » peut être facilement modifié par son utilisateur sans laisser de traces de sorte que cette situation soulève des difficultés sérieuses pour son client. Il redoute que le contenu communiqué dans cette version soit altéré.

[29] Quant au demandeur, celui-ci mentionne que les documents réclamés ont un caractère public et requiert davantage de transparence de la part de l’organisme afin de rehausser la confiance des citoyens en leur institution. Il ne requiert que l’actualisation de l’exercice légitime de la démocratie municipale.

Analyse :

[31] La démarche initiée par le demandeur se fonde sur l’article 9 de la Loi sur l’accès, lequel se lit comme suit :

9. Toute personne qui en fait la demande a droit d'accès aux documents d'un organisme public.

Ce droit ne s'étend pas aux notes personnelles inscrites sur un document, ni aux esquisses, ébauches, brouillons, notes préparatoires ou autres documents de même nature.

[32] Le motif principal invoqué par l’organisme au soutien de son refus de communiquer la version « Word » des procès-verbaux des séances du conseil s’appuie sur la prémisse que les documents, sous cette forme, ne seraient que des brouillons ou des ébauches.

[33] Ces termes ne sont pas définis dans la Loi sur l’accès de sorte que le procureur de l’organisme propose de s’en remettre à leur sens commun. Les définitions que nous retrouvons dans le Multidictionnaire de la langue française sont libellées de la façon suivante :

« BROUILLON, ONNE : adj. et n. m. et f.
NOM MASCULIN
Premier jet d’un texte destiné à être mis au propre. Voici le brouillon de ma rédaction. SYN. ébauche.

ÉBAUCHE n.f.
1. Première forme donnée à une œuvre. SYN. amorce. »

[34] Quant aux auteurs Doray et Charette, ceux-ci s’expriment comme suit sur le sujet :

« D. Notes personnelles, esquisses, ébauches, brouillons, etc.

[…]

Dans les nombreuses situations où elle a eu à interpréter l’article 9, alinéa 2, la Commission a établi trois règles permettant d’identifier si le document est visé par cette restriction :

1) le document est-il achevé, sans pour autant avoir atteint une forme définitive?

2) le document est-il conservé ou gardé par l’organisme depuis un certain temps?

3) le document a-t-il été transmis à son destinataire?

Si l’on peut répondre affirmativement à l’une de ces questions, le document n’est vraisemblablement pas visé par l’exception de l’article 9, alinéa 2 et, partant, il est assujetti au régime d’accès de l’article 9, alinéa 1.

[…]

La Commission ne semble pas différencier de manière significative le sens des expressions document préparatoire, esquisses, ébauches et brouillons. Elle utilise plus volontiers le terme «document inachevé». De plus, selon une jurisprudence constante, le fait qu’un document n’ait pas été approuvé par les autorités de l’organisme ne permet pas de conclure qu’il s’agit d’un document préparatoire, d’une esquisse, d’une ébauche ou d’un brouillon. Enfin, le fait qu’un document n’ait pas atteint sa forme définitive n’est pas non plus déterminant pour conclure que le deuxième alinéa de l’article 9 s’applique. » (nos soulignements)

[39] Le document est achevé à la date de sa confection, juste avant son impression, même s’il n’a pas encore acquis un caractère officiel et n’a pas encore été approuvé par les autorités de l’organisme. Les auteurs Doray et Charette mentionnent que le fait que le document n’ait pas atteint sa forme définitive n’est pas déterminant pour conclure qu’il ne contiendrait que des données préliminaires au sens du deuxième alinéa de l’article 9 de la Loi sur l’accès. La Commission souscrit à cette approche.

[40] Par ailleurs, la Commission a pris connaissance des procès-verbaux déposés par l’organisme (O-1 en liasse) et constate que leur contenu est similaire à celui se trouvant sur le document « Word » pour les dates correspondantes à l’exception de la numérotation des pages, des signatures, du sceau comportant les initiales des signataires et de quelques annotations indiquées en marge spécifiant des modifications apportées lors de la tenue de séances ultérieures du conseil. Ces informations n’apparaissent pas sur le format « Word ». Quant au reste, le texte des résolutions et leur numéro associé dans la marge sont identiques.

[42] L’organisme soumet également que la transmission des documents sous la forme réclamée n’assurerait pas l’intégrité de leur contenu au sens des articles 201 et 202 du Code ainsi que des articles 5, 6 et 23 de la LCJTI :

201. Le secrétaire-trésorier assiste aux séances du conseil et dresse le procès-verbal de tous ses actes et délibérations dans un registre tenu pour cet objet et désigné sous le nom de «Livre des délibérations».

Tout procès-verbal de séance du conseil doit être signé par le président, contresigné par le secrétaire-trésorier, et approuvé par le conseil séance tenante ou à la séance suivante, mais le défaut de cette approbation n'empêche pas le procès-verbal de faire preuve.

Chaque fois qu'un règlement ou une résolution est modifié ou abrogé, mention doit en être faite à la marge du livre des délibérations, en face de tel règlement ou résolution, avec la date de la modification ou de l'abrogation.

202. Les copies et extraits, certifiés par le secrétaire-trésorier, de tous livres, registres, archives, documents et papiers conservés dans le bureau de la municipalité, font preuve de leur contenu.

5. La valeur juridique d’un document, notamment le fait qu’il puisse produire des effets juridiques et être admis en preuve, n’est ni augmentée ni diminuée pour la seule raison qu’un support ou une technologie spécifique a été choisi.

Le document dont l’intégrité est assurée a la même valeur juridique, qu’il soit sur support papier ou sur un autre support, dans la mesure où, s’il s’agit d’un document technologique, il respecte par ailleurs les mêmes règles de droit. […]

6. L’intégrité du document est assurée, lorsqu’il est possible de vérifier que l’information n’en est pas altérée et qu’elle est maintenue dans son intégralité, et que le support qui porte cette information lui procure la stabilité et la pérennité voulue. […]

23. Tout document auquel une personne a droit d’accès doit être intelligible, soit directement, soit en faisant appel aux technologies de l’information.

Ce droit peut être satisfait par l’accès à une copie du document ou à un document résultant d’un transfert ou à une copie de ce dernier.

Le choix d’un support ou d’une technologie tient compte de la demande de la personne qui a droit d’accès au document, sauf si ce choix soulève des difficultés pratiques sérieuses, notamment en raison des coûts ou de la nécessité d’effectuer un transfert. (nos soulignements)

[43] Les articles 201 et 202 du Code énoncent les formalités qui doivent être satisfaites pour qu’un procès-verbal soit conforme aux prescriptions de tenue d’un registre intitulé « Livre des délibérations » et fasse preuve de son contenu. Ni dans la demande d’accès soumise par écrit, ni lors de ses représentations verbales lors de la tenue de l’audience le demandeur n’a insisté pour recevoir la version certifiée au sens du Code, comportant notamment les signatures ainsi que les annotations ultérieures, le cas échéant. Ce qui l’intéresse, c’est le texte des résolutions. L’intégralité de ce contenu se trouve dans la version « Word ».

[44] Quant aux articles 5 et 6 de la LCJTI, ceux-ci réfèrent, d’une part, à la valeur juridique d’un document et, d’autre part, aux critères sous-jacents permettant d’en assurer l’intégrité. Ces considérations ne sont pas pertinentes pour les fins de trancher le présent débat. Le demandeur ne requiert pas une version d’un document respectant les exigences pour l’admettre en preuve ou assurant qu’il n’a pas été altéré. Il réclame les procès verbaux tels qu’ils sont rédigés à la date de leur conception, avant leur impression.

[45] En ce qui concerne l’article 23 de la LCJTI, ce dernier édicte qu’un document communiqué à la suite de l’exercice d’un droit d’accès doit être intelligible. Cette disposition prévoit également que le choix du support tient compte de la demande d’accès sauf si ce choix soulève des difficultés pratiques sérieuses.

[46] D’abord, la Commission constate que le contenu du document en litige est intelligible. En fait, le corps du texte est exactement le même que celui reproduit sur la version finale.

[47] Par ailleurs, la Commission ne décèle la présence d’aucune difficulté sérieuse pour l’organisme à fournir au demandeur une version de procès-verbal qui ne contient pas les quelques annotations qui sont susceptibles, non dans tous les cas, de se retrouver sur la version officielle en format « papier ». Cette allégation n’est pas prouvée.

[50] Un requérant souhaitant avoir la version officielle des procès-verbaux à une date donnée devra nécessairement réclamer la version affichant cette qualité, en l’occurrence la version « papier » dans l’état actuel du droit.

[51] Quant à l’argument de l’organisme selon lequel la divulgation de la version « Word » nécessiterait un processus de comparaison avec la version officielle, la Commission ne peut y souscrire compte tenu que le demandeur n’exige pas cette version définitive. Conséquemment, aucun exercice de comparaison n’est requis. L’organisme n’est tenu de communiquer au demandeur que la version « Word » telle qu’elle existe au moment du traitement de la demande d’accès, sans plus.

[54] En ce qui concerne les appréhensions verbalisées par l’organisme quant aux risques d’altération éventuelle du document en question, la Commission est d’avis qu’il s’agit de considérations non pertinentes dans le cadre de l’exercice du droit d’accès. Un document est accessible ou il ne l’est pas et dans l’affirmative, la Commission n’a pas à interroger l’aspect de son utilisation par son détenteur.

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION :

[55] ACCUEILLE la demande de révision du 16 janvier 2013;

[56] ORDONNE à l’organisme de communiquer au demandeur dans un délai de 30 jours de la réception de la présente décision le contenu des procès-verbaux sur format « Word » de ses séances du conseil pour les années 2009 à 2012 inclusivement.

ALAIN MORISSETTE
Juge administratif


Dernière modification : le 13 décembre 2013 à 17 h 50 min.