Extraits pertinents :

[1] Le 7 décembre 2015, Parc Omega inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une contestation par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 2 décembre 2015 à la suite d’une révision administrative.

[6] Lors de l’audience du 19 octobre 2016, alors qu’elle s’apprête à contre-interroger madame Nicole Roy, un témoin de l’employeur, la représentante de la travailleuse demande à déposer des messages Facebook dont madame Roy est l’auteure, mais qui ont été interceptés par la travailleuse sur le compte Facebook de madame Roy. La représentante de l’employeur s’objecte au dépôt de ces documents, soutenant que cette preuve est irrecevable.

[8] La présente décision est donc rendue en conséquence de cette audience incidente sans que le Tribunal n’ait pris connaissance desdits messages Facebook, et l’audience sur le fond est ajournée à une date ultérieure.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[11] La travailleuse occupe un poste de préposée à l’entretien ménager des hébergements de l’employeur, depuis août 2013.

[12] Le 20 septembre 2015, la travailleuse produit une réclamation à la CSST pour un accident du travail survenu dans des circonstances ainsi décrites :
Le 3 septembre dernier, j’ai fait une chute d’environ 3 mètres car une pierre a cédé sous mon poids… J’ai subi des blessures multiples, lors de l’impact, mes reins ont écraser directement contre le sol, j’ai des douleurs qui part de la nuque jusqu’au bas du dos. J’ai constamment des maux de tête.

[14] L’employeur conteste la survenance d’un tel événement et l’existence même d’une lésion professionnelle. Au cours de l’audience du 19 octobre 2016, il produit un témoin, madame Nicole Roy, chez qui la travailleuse habitait le 3 septembre 2015.

[15] Ce témoin déclare que, le matin du 3 septembre 2015, la travailleuse, fâchée contre son employeur pour une question d’heures de travail réduites, annonce avant de quitter pour travailler, qu’elle aurait un accident ce jour-là et que l’employeur paierait, plus précisément qu’elle se « garrocherait en bas d’un Prospecteur [chalet] ». Plus tard en soirée, la travailleuse confie à madame Roy comment elle s’y est pris; après avoir fait le ménage dans un chalet, où elle aurait tenté de briser des lampes tellement elle était en colère, elle aurait délogé une pierre du sentier avec son pied et se serait délibérément tirée en bas de la pente boisée qui mène au chalet dont elle sortait. Elle s’en serait sortie seulement avec une ancienne blessure, ravivée temporairement, au genou gauche; son genou est d’ailleurs demeuré enflé quelques jours, observe madame Roy. Par la suite, la travailleuse actait selon madame Roy; elle mimait des problèmes qu’elle n’avait pas.

[17] Face à une allégation d’intrusion dans sa vie privée par madame Roy, ainsi que l’objection de l’employeur à l’admissibilité en preuve de ces documents, le Tribunal décide de tenir un voir-dire, i.e. une audience spécifiquement prévue pour entendre la preuve des circonstances entourant l’interception par la travailleuse des trois conversations sur Facebook entre madame Roy et trois autres personnes, suivie de l’argumentation des parties. Cette audience a lieu le 9 février 2017.

[24] Madame Roy, auteure des messages Facebook, ainsi que la représentante de l’employeur s’objectent au dépôt desdits messages en alléguant qu’il y a eu violation d’un droit fondamental, garanti par la Charte des droits et libertés de la personne[6], soit le droit à la vie privée de madame Roy et celui des destinataires de ses messages.

[29] D’une part, la travailleuse explique à l’audience que madame Roy, sa meilleure amie à l’époque, utilisait sa tablette avec son accord. Lorsque la travailleuse a quitté la résidence de madame Roy pour emménager chez une autre amie à la fin d’octobre 2015, elle a réalisé, en ouvrant internet sur sa tablette, que le compte Facebook de madame Roy était resté ouvert et que cette dernière parlait d’elle, selon les courts extraits qui lui sont apparus de diverses conversations de madame Roy avec d’autres personnes. La travailleuse, cédant à sa curiosité, a ouvert ces conversations, les a lues et s’en est offusquée car les propos tenus étaient négatifs à son égard; elle décide donc d’en faire une capture d’écran et de continuer de suivre ces conversations, à l’insu de tous. Elle a pu ainsi lire tout ce que madame Roy rapportait à son égard pendant environ un mois à un mois et demi; elle a fermé le compte de madame Roy sur sa tablette en décembre 2015, dit-elle.

[33] Un des arguments de la représentante de la travailleuse, quant à l’absence de preuve de l’intégralité desdites conversations, doit être rejeté; en effet, il va à l’encontre de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information[7], dont les dispositions pertinentes sont les suivantes :

1. La présente loi a pour objet d'assurer :

1° la sécurité juridique des communications effectuées par les personnes, les associations, les sociétés ou l'État au moyen de documents quels qu'en soient les supports;

2° la cohérence des règles de droit et leur application aux communications effectuées au moyen de documents qui sont sur des supports faisant appel aux technologies de l'information, qu'elles soient électronique, magnétique, optique, sans fil ou autres ou faisant appel à une combinaison de technologies ;

3° l'équivalence fonctionnelle des documents et leur valeur juridique, quels que soient les supports des documents, ainsi que l'interchangeabilité des supports et des technologies qui les portent ;

4° le lien entre une personne, une association, une société ou l'État et un document technologique, par tout moyen qui permet de les relier, dont la signature, ou qui permet de les identifier et, au besoin, de les localiser, dont la certification ;

5° la concertation en vue de l'harmonisation des systèmes, des normes et des standards techniques permettant la communication au moyen de documents technologiques et l'interopérabilité des supports et des technologies de l'information.

5. La valeur juridique d'un document, notamment le fait qu'il puisse produire des effets juridiques et être admis en preuve, n'est ni augmentée ni diminuée pour la seule raison qu'un support ou une technologie spécifique a été choisi.

Le document dont l'intégrité est assurée a la même valeur juridique, qu'il soit sur support papier ou sur un autre support, dans la mesure où, s'il s'agit d'un document technologique, il respecte par ailleurs les mêmes règles de droit.

Le document dont le support ou la technologie ne permettent ni d'affirmer, ni de dénier que l'intégrité en est assurée peut, selon les circonstances, être admis à titre de témoignage ou d'élément matériel de preuve et servir de commencement de preuve, comme prévu à l'article 2865 du Code civil.
Lorsque la loi exige l'emploi d'un document, cette exigence peut être satisfaite par un document technologique dont l'intégrité est assurée.

7. Il n’y a pas lieu de prouver que le support du document ou que les procédés, systèmes ou technologies utilisés pour communiquer au moyen d’un document permettent d’assurer son intégrité, à moins que celui qui conteste l’admission du document n’établisse, par prépondérance de preuve, qu’il y a eu atteinte à l’intégrité du document.

[34] Selon cette dernière disposition, la preuve d’une conversation Facebook est présumée intègre et c’est à l’employeur, qui conteste l’admissibilité du document, qu’il revenait d’établir que les conversations Facebook ont été élaguées ou modifiées, ce qu’il n’a pas fait.

[35] En ce qui concerne l’argument principal de l’employeur, l’atteinte à la vie privée, le Tribunal considère qu’une telle atteinte n’existe pas dans les situations où une expectative de vie privée ne peut être entretenue et il s’agit en l’espèce d’une telle situation.

[37] La représentante de l’employeur semble confondre une interception illégale avec une interception qu’elle juge malhonnête. Or, selon la preuve entendue, la travailleuse n’a utilisé aucun stratagème ni commis aucune infraction pour avoir accès au compte Facebook de madame Roy.

[38] Il ne revient pas au Tribunal de juger de la moralité ou non de cette interception, comme il l’a rappelé aux parties à l’audience.

[42] Dans ce contexte, le dépôt de conversations tenues sur Facebook, dans le contexte mis en preuve, ne partage rien de commun avec le dépôt de l’enregistrement de conversations téléphoniques ou celui d’une vidéo de filature; la jurisprudence déposée à cet égard par l’employeur et la travailleuse n’est donc d’aucune utilité en l’espèce.

[43] Par contre, la Commission des lésions professionnelles s’est déjà penchée sur l’admissibilité en preuve de messages tirés du compte Facebook d’une tierce personne; il s’agit de l’affaire Landry[9] précitée. En révisant les cas, rares, où une preuve Facebook a été produite, la Commission des lésions professionnelles constate que l’admissibilité d’une telle preuve n’y a jamais alors été contestée. Après analyse, la Commission des lésions professionnelles considère, avec justesse, que les messages sur Facebook ne constituent qu’un commentaire personnel de son auteur, sans faire partie du domaine privé puisque Facebook est accessible par plusieurs personnes :

[20] Le représentant de l’employeur est d’avis que les discussions que la travailleuse a tirées d’un compte Facebook d’une tierce personne constituent une violation du droit à la vie privée des auteurs qui échangent alors dans le cadre d’une relation privée, ce qui n’est pas permis par la Charte ni par l’article 36 du C.c.Q.. Comparant ces discussions à des conversations téléphoniques privées, il se réfère aux jugements de la Cour d’appel dans Mascouche (Ville de) c. Houle et dans Srivastava c. The Hindu Mission of Canada (Québec) inc. . Dans cette dernière affaire, le juge Robert écrit : […]

[33] Les jugements ou décisions sur l’admissibilité en preuve d’extraits provenant de sites comme Facebook sont rares. En droit du travail, plus particulièrement en matière disciplinaire, l’admissibilité de cette preuve ne semble faire aucun doute. Sur ce point spécifique de l’admissibilité d’une preuve Facebook, aucune décision n’est portée à l’attention du tribunal par les parties.

[34] La Commission des lésions professionnelles a retracé certaines décisions (liste non exhaustive) rendues dans des cas où une preuve Facebook a été produite, sans que l’admissibilité d’une telle preuve ne soit contestée :[…]

[35] Dans chacune de ces décisions, la Commission des lésions professionnelles considère donc la preuve Facebook déposée laquelle preuve est déterminante pour l’évaluation de la crédibilité d’un travailleur, pour réfuter un témoignage ou pour décider du diagnostic à retenir.

[…]

[69] La Commission des lésions professionnelles retient que chaque commentaire écrit sur Facebook est fait à titre personnel et ne peut engager aucune autre personne que celle qui émet ce commentaire. Il faut distinguer cependant le caractère personnel d’un commentaire du caractère privé de ce commentaire.

[70] Une personne qui détient un compte Facebook permet à ses amis et aux amis de ses amis de prendre connaissance de ses commentaires. Cette personne peut contrôler la liste de ses amis, mais il devient plus difficile de contrôler l’accès à son profil aux amis de ses amis, liste qui peut s’allonger presque à l’infini. Nous sommes donc loin du caractère privé du profil de cette personne et des commentaires qu’elle émet.

[71] La Commission des lésions professionnelles retient que ce qui se retrouve sur un compte Facebook ne fait pas partie du domaine privé compte tenu de la multitude de personnes qui peuvent avoir accès à ce compte. La liste de ses amis peut être longue et chaque liste de ses amis peut être tout aussi longue. La preuve Facebook déposée par la travailleuse ne constitue donc pas une atteinte à la vie privée de tierces personnes.

[72] La Commission des lésions professionnelles rejette donc la requête incidente de l’employeur et déclare recevable la preuve Facebook déposée par la travailleuse. La pertinence et la force probante de cette preuve seront discutées lorsque la Commission des lésions professionnelles devra décider du fond de la requête de la travailleuse.

[44] Ainsi, en l’absence d’une expectative de vie privée de la part de l’auteure des conversations Facebook, en l’occurrence madame Roy, ces conversations sont recevables en preuve, au même titre que son témoignage.

45] Ceci étant dit, le Tribunal ne se prononce pas sur la valeur probante et la pertinence de ces conversations, lesquelles seront déterminées lors de l’analyse de la preuve au fond dans la décision à être rendue à cet égard.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

REJETTE la requête incidente de Parc Oméga inc., l’employeur;

DÉCLARE admissible la preuve Facebook déposée par madame Ivall, la travailleuse, soit des conversations Facebook entre madame Nicole Roy et mesdames Lalonde, Proulx et Lavictoire, déposées sous pli scellé et cotées B, F et G;

CONVOQUE les parties pour la poursuite de l’audience au fond le 21 mars 2017.


Dernière modification : le 8 mars 2017 à 15 h 17 min.