Extraits pertinents :

[4] Les griefs sous étude portent les numéros 2012-080 et 2012-090 et se lisent respectivement comme suit :

« Objet : Grief syndical 2012-080

Bulletins de paie des ingénieurs
Monsieur,
Le ou vers le 25 septembre dernier, la Direction, par le biais de son bulletin de nouvelles, invitait les employés à s’abonner à la version électronique de leur bulletin de paie. Cette information indiquait que la version électronique est identique à celle remise sous enveloppe à chaque période de paie et que les employés peuvent consulter au besoin les périodes précédentes. Le Syndicat considère que cette information est erronée et conteste le manque significatif d’informations transmises par la Direction relativement aux bulletins de paie, en flagrante violation de ses obligations telles qu’exigées notamment par l’article 25 de la convention collective en vigueur. Cette information est aussi abusive, porte à confusion, lèse les ingénieurs.
Le Syndicat dépose le présent grief et demande :
1. Que la Direction cesse immédiatement cette façon de faire qui va à l’encontre de la convention collective en vigueur;
2. Que la Direction se conforme à ses obligations en vertu de l’article 25 et transmette aux employés les bulletins de paie imprimés à chaque période de paie;
3. Qu’une réparation pleine et entière soit accordée pour tous les préjudices subis y compris des dommages moraux, le tout avec intérêts, le cas échéant.
Le présent grief est déposé sous réserve de tout autre droit et privilège que pourrait avoir le Syndicat dans les circonstances.
Espérant que vous saurez accueillir ce grief, nous vous prions d’agréer, Monsieur, l’expression de nos sentiments distingués. »

[5] À chacun de ces griefs, l’Employeur a répondu que la convention collective avait été respectée et par conséquent, qu’il rejetait le grief.

[80] Ce qui est en cause dans la présente affaire n’est donc pas l’application de l’article 25 de la convention collective, mais l’application de l’article 46 L.N.T. et certaines dispositions de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information.

[82] J’ai lu avec intérêt les autorités dont m’a fait part chacune des parties et j’ai constaté que la jurisprudence est divisée sur le sujet.

[83] En fait, sur la forme que doit revêtir le bulletin de paie, papier ou électronique, parmi les autorités qu’ont déposées les parties, deux décisions arbitrales s’opposent et ces deux décisions ont été rendues à quelques jours d’intervalle seulement, de sorte qu’aucune des deux arbitres en cause n’a pu prendre connaissance de la décision rendue l’autre arbitre et donc d’en discuter.

[84] La première décision est celle rendue par l’arbitre Francine Beaulieu le 2 février 2012 dans l’affaire Commission scolaire des Monts-et-Marées et la seconde celle rendue par l’arbitre Louise Viau le 6 février 2012 dans l’affaire L’Oréal Canada inc.

[89] Aux paragraphes 123 à 129 de sa décision, l’arbitre Beaulieu écrit :

« [123] Quant à l’article 46 de cette loi, il nous apprend que " l’employeur doit remettre au salarié, en même temps que son salaire, un bulletin de paie contenant des informations suffisantes pour lui permettre de vérifier le calcul de son salaire".

[124] De cet article, il faut comprendre que c’est une obligation pour un employeur de remettre au salarié un bulletin de paie et, il est remis, habituellement en même temps que le salaire, donc sur les lieux du travail. Je conviens que les parties se sont entendues pour qu’il y ait virement bancaire pour le salaire. Elles ont cependant convenu, à la clause 6-9.02 de l’entente locale, que le personnel enseignant recevrait un talon de paie détaillant chacune des déductions. De plus, l’article 46 doit toujours recevoir application. L’Employeur doit donc remettre un talon de paie à son personnel. Par ailleurs, dans notre dossier, on comprend que le Syndicat ne conteste pas la remise du relevé de salaire par voie électronique tant qu’elle demeure sur une base volontaire.

[125] La commission des normes du travail donne d’ailleurs cette interprétation de l’article 46 (pièce S , P 4) :

INTERPRÉTATION

(…)

Cet article ne précise pas la forme que doit revêtir le bulletin de paie. Les informations peuvent donc apparaître, par exemple, sur support papier ou par voie électronique. Toutefois, l’obligation de l’employeur est de " remettre "un bulletin de paie au salarié et non pas seulement de rendre ce bulletin accessible. "

[126] Je partage cette interprétation et estime que l’Employeur doit remettre sur support papier ou électronique le relevé de salaire à son personnel enseignant.

[127] La " Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information " va dans le même sens lorsqu’elle précise ceci à l’article 29 :

" Acquisition d’un support.

29. Nul ne peut exiger de quelqu’un qu’il se procure un support ou une technologie spécifique pour transmettre ou recevoir un document, à moins que cela ne soit expressément prévu par la loi ou par une convention. »
Support de réception.
De même, nul n’est tenu d’accepter de recevoir un document sur un autre support que le papier ou au moyen d’une technologie dont il ne dispose pas. "

[128] L’Employeur ne peut ainsi obliger le personnel enseignant à recevoir un document sur un autre support que le papier ou au moyen d’une technologie dont il ne dispose pas. Je comprends que l’Employeur peut mettre à la disposition de son personnel des ordinateurs et des imprimantes, mais ce n’est pas ce que cette loi dit.

[129] De ce qui précède, j’en conclus que l’Employeur ne pouvait agir comme il l’a fait et que la remise du relevé de salaire doit, tant qu’il n’y aura pas de modification de la convention collective ou une entente entre les parties, demeurer sur une base volontaire.

[101] À la lecture de cette dernière disposition, il est vrai que l’employeur peut utiliser le support ou la technologie de son choix pour transmettre à ses employés leur bulletin de paie, mais cela « dans la mesure où ce choix respecte les règles de droit (…) ». Or, cette même loi prévoit ce qui suit aux articles 28, 29 et 31 :

28. Un document peut être transmis, envoyé ou expédié par tout mode de transmission approprié à son support, à moins que la loi n’exige l’emploi exclusif d’un mode spécifique de transmission.

Lorsque la loi prévoit l’utilisation des services de la poste ou du courrier, cette exigence peut être satisfaite en faisant appel à la technologie appropriée au support du document devant être transmis. De même, lorsque la loi prévoit l’utilisation de la poste certifiée ou recommandée, cette exigence peut être satisfaite, dans le cas d’un document technologique, au moyen d’un accusé de réception sur le support approprié signé par le destinataire ou par un autre moyen convenu.

Lorsque la loi prévoit l’envoi ou la réception d’un document à une adresse spécifique, celle-ci se compose, dans le cas d’un document technologique, d’un identifiant propre à l’emplacement où le destinataire peut recevoir communication d’un tel document.

29. Nul ne peut exiger de quelqu’un qu’il se procure un support ou une technologie spécifique pour transmettre ou recevoir un document, à moins que cela ne soit expressément prévu par la loi ou par une convention.

De même, nul n’est tenu d’accepter de recevoir un document sur un autre support que le papier ou au moyen d’une technologie dont il ne dispose pas.

Lorsque quelqu’un demande d’obtenir un produit, un service ou de l’information au sujet de l’un d’eux et que celui-ci est disponible sur plusieurs supports, le choix du support lui appartient.

31. Un document technologique est présumé transmis, envoyé ou expédié lorsque le geste qui marque le début de son parcours vers l’adresse active du destinataire est accompli par l’expéditeur ou sur son ordre et que ce parcours ne peut être contremandé ou, s’il peut l’être, n’a pas été contremandé par lui ou sur son ordre.

Le document technologique est présumé reçu ou remis lorsqu’il devient accessible à l’adresse que le destinataire indique à quelqu’un être l’emplacement où il accepte de recevoir de lui un document ou celle qu’il représente publiquement être un emplacement où il accepte de recevoir les documents qui lui sont destinés, dans la mesure où cette adresse est active au moment de l’envoi. Le document reçu est présumé intelligible, à moins d’un avis contraire envoyé à l’expéditeur dès l’ouverture du document.

Lorsque le moment de l’envoi ou de la réception du document doit être établi, il peut l’être par un bordereau d’envoi ou un accusé de réception ou par la production des renseignements conservés avec le document lorsqu’ils garantissent les date, heure, minute, seconde de l’envoi ou de la réception et l’indication de sa provenance et sa destination ou par un autre moyen convenu qui présente de telles garanties.

[102] En somme, ces dispositions signifient qu’un document technologique, ou électronique, est valide lorsque le destinataire accepte de le recevoir sous cette forme et que le document lui est envoyé à l’adresse électronique à laquelle il accepte de le recevoir.

[103] En ce qui a trait au bulletin de paie, je rappelle que l’article 46 L.N.T. impose à l’employeur de « remettre » à ses employés leur bulletin de paie et non pas de le leur rendre accessibles.

[104] Cela signifie que si l’employeur souhaite remettre à ses employés une version électronique de leur bulletin de paie, il ne peut le leur faire parvenir sous cette forme qu’avec leur consentement et uniquement à l’adresse électronique de leur choix, faute de quoi le document devra leur être transmis sous format papier.

[105] Pour les salariés qui acceptent de recevoir leur bulletin de paie sous forme électronique sur leur page personnelle du site intranet de l’Employeur, le document est donc, selon l’article 31 L.C.C.J.T.I., présumé remis et cette transmission est par conséquent conforme à l’article 46 L.N.T.

[106] Par contre, une telle présomption n’existe pas pour les salariés qui refusent de recevoir leur bulletin de paie sous forme électronique et dès lors, l’envoi du bulletin de paie sous forme électronique devient contraire aux exigences de l’article 46 L.N.T. puisque l’employeur ne leur remet pas leur bulletin de paie mais ne fait que le leur rendre accessible.

POUR TOUS CES MOTIFS, je rends les décisions suivantes :

Relativement au grief numéro 2012-080

[...]

· Considérant également que depuis le 27 juin 2013, l’Employeur rend disponible un bulletin de paie électronique statique rencontrant les exigences de l’article 46 L.N.T.;

· Je rejette le grief.


Dernière modification : le 23 mars 2017 à 12 h 50 min.