Extraits pertinents :

[1] La présente affaire concerne l’utilisation de l’outil de navigation virtuelle Google Street View pour établir la preuve de la présence de panneaux de signalisation routière qui indiquent la limite de vitesse qui devait être respectée par l’appelant à qui l’on reprochait d’avoir circulé à une vitesse supérieure à la limite autorisée.

[2] Les règles d’admissibilité relatives à l’utilisation de ces moyens technologiques pour établir la preuve d’un fait en litige lors d’un procès donnent lieu à une jurisprudence inconstante qu’il convient de tenter de clarifier.

[8] Or, cette utilisation soulève deux problèmes. Le premier concerne l’admissibilité de cette preuve. Le second porte sur l’équité procédurale.

[9] En effet, l'admissibilité des images tirées de Google Street View doit satisfaire les mêmes critères d'admissibilité que les photographies et les enregistrements vidéo.

[10] Le juge des faits peut utiliser une preuve claire, fidèle, convaincante et facilement disponible grâce à la technologie moderne[1]. Cependant, le visionnement à l’aide de Google Street View ou d'une image tirée de cet outil n'est admissible que s'il est établi qu'il s'agit d'une description fidèle et exacte de la scène d'un crime (ou d'une infraction) au moment de la commission de l'infraction, qu'il n'y a pas eu de retouches ou de modifications et qu’un témoin peut attester de ces faits sous serment[2].

[12] En pratique, le contre-interrogatoire de Google Street View se révèle impossible. L’admissibilité de ce moyen de preuve par ouï-dire ne satisfait pas aux exigences de la justice fondamentale[4] à moins que cette preuve ne soit authentifiée selon les règles reconnues.

[14] Or, une fois le témoignage de l'appelant complété, le procès était terminé. Une contre-preuve n'était pas possible. L'utilisation de Google Street View à ce moment a permis à la poursuite de scinder sa preuve ce qui a porté atteinte à l'équité du procès de l'appelant.

[15] Enfin, la connaissance d'office n'autorise pas la consultation de Google Street View afin d'établir la preuve de la signalisation routière, car il s'agit de la preuve d’un fait en litige qui influe directement sur l’issue du procès[5].

[31] Une fois le témoignage de l'appelant terminé, s'amorce alors, à tâtons, séance tenante, le visionnement de la route où l'infraction a été commise par le biais d’un outil de navigation informatique[11].

[32] Bien que le juge d'instance et le procureur de la poursuite réfère tant à MapQuest qu'à Google Maps, la greffière utilise plutôt l'outil de navigation virtuelle Google Street View sur un ordinateur qui se trouve dans la salle d'audience.

[41] Lors de la contre-preuve, le policier authentifie les images visionnées dans Google Street View.

[42] Il commente les photographies présentées par l’appelant et contredit le témoignage de ce dernier.

LE DÉFENDEUR :
Lors de... Lorsque j’ai envoyé mon... Lorsque j’ai plaidé non coupable, j’avais demandé la divulgation de la preuve,
On est arrivé, Monsieur le Juge... enfin, je suis arrivé avec un témoignage avec des faits pertinents. Il y a eu contre-interrogatoire. Et il y a eu visionnement de preuve supplémentaire, devant la Cour.
Or, lorsque j’avais demandé la divulgation de la preuve, ce sont toutes des preuves qui auraient dû m’être présentées avant.

LA COUR :
Bien non, elles n’existaient pas Monsieur.

LE DÉFENDEUR :
Incluant le manuel du ministère des Transports...

LA COUR :
Pas du tout.

LE DÉFENDEUR :
... qui indique bien que, il y a un registre, au ministère des Transports, avec la position des différents panneaux.

LA COUR :
Mais c’est à vous à le demander ça, Monsieur là.

LE DÉFENDEUR :
J’avais demandé la preuve. Ça fait partie de la preuve.

[66] Le devoir d'assistance du juge du procès existe quelle que soit la gravité de l'infraction. L'intensité de cette obligation n'est pas moins grande lorsqu'il s'agit d'une infraction moins sérieuse comme un règlement municipal[32] ou, comme en l’espèce, une infraction de vitesse supérieure à la limite autorisée.

[77] La nouvelle preuve que constituait le visionnement à l’aide de Google Street View, commande la vigilance du juge d’instance lorsqu’il est informé d’une omission aux obligations de communication de la preuve de la poursuite, une situation d’ailleurs reconnue par le juge d’instance lorsqu’il affirme, durant ses échanges avec l’appelant, que cette preuve n’existait pas[42].

[78] En présumant, pour l’instant, de l’admissibilité du visionnement du lieu de l’infraction à l’aide de Google Street View, de même que de celle du témoignage du policier en contre-preuve, la situation nouvelle posée par la présentation de ces preuves, démontrait certainement que le registre établi sous l’égide de l’article 329 CSR constituait, dans ce contexte particulier, une preuve pertinente au sens de l’arrêt O’Connor[43].

[81] Cependant, la communication de la preuve par la poursuite avant le procès a pour but d'aider l'accusé à présenter une défense pleine et entière et, par conséquent, à avoir un procès juste et équitable. Ce principe demeure, peu importe que l'infraction soit criminelle ou réglementaire, simple ou complexe.

[82] Toutefois, l'application de ce principe peut varier en fonction de différents facteurs[47].

[87] Il omet de trancher une demande de remise devenue raisonnable dans les circonstances. Il décide de questions relatives à la communication de la preuve sans vérifier auprès de la poursuite si cette demande avait bien été présentée et décide de la question sans évaluer le bien-fondé de la demande de l’appelant dans le contexte particulier de l’instruction.

[88] Cela justifie, en soi, une nouvelle instruction.

[90] L'admissibilité des images tirées de Google Street View, de Google Earth ou d’outils similaires de navigation virtuelle soulève plusieurs questions[50]. La consultation de la jurisprudence laisse paraître des incertitudes quant aux conditions d’utilisation de ces outils[51].

[91] En l'espèce, quatre règles doivent être examinées : 1) les exigences relatives à l'authentification de ce moyen de preuve matérielle de même que les règles suivantes de la procédure pénale accusatoire et contradictoire : 2) la communication de la preuve, 3) le principe de la « preuve complète » et 4) les critères de la contre-preuve.

[92] L’utilisation de l’outil de navigation virtuelle Google Street View présente les attributs de différents moyens traditionnels de preuve matérielle[52].

[93] Il comporte les propriétés et caractéristiques d’une photographie, celle d’une vidéo ou de la visite des lieux[53]. Le visionnement à l'aide de Google Street View constitue l'équivalent moderne d'une visite des lieux.

[99] En effet, le juge du procès ne peut, pour des raisons d’équité procédurale, consulter une source susceptible de connaissance d’office durant son délibéré sans en aviser les parties[56].

[104] Comme on le constate, l’authentification des images tirées de Google Street View s’avère particulièrement cruciale en raison de la possibilité que les lieux représentés aient changé, ce qui, en l’espèce, ne peut être déterminé.

[105] Dans l'affaire U.S. v. Lizarraga-Tirado[62], la Cour d'appel du neuvième circuit des États-Unis se voit confrontée à une question relative à l'admissibilité des données de géolocalisations tirées de Google Earth et utilisées par des policiers lors de leur témoignage. […]So when faced with an authentication objection, the proponent of Google-Earth-generated evidence would have to establish Google Earth's reliability and accuracy. That burden could be met, for example, with testimony from a Google Earth programmer or a witness who frequently works with and relies on the program.

[107] Cette décision confirme donc que l’authentification d’une preuve tirée de Google Street View s’avère nécessaire[64].

[108] Par ailleurs, comme l’établit la présente affaire, lorsqu’on utilise cet outil de navigation séance tenante, il s’avère difficile pour le tribunal d’appel de savoir avec précision ce qui a été visionné lors de l’instruction. À défaut de produire des images tirées de cet outil et qui sont identifiées par un témoin sous serment durant un tel visionnement, la tâche du tribunal d’appel peut devenir insurmontable.

[140] Même en tenant pour acquis que la poursuite ne pouvait pas prévoir que le défendeur nierait la présence de ces panneaux de signalisation, il faut rappeler que le policier, lors de son témoignage, situe le lieu de leur installation, ce qui ne pouvait justifier la présentation d’une contre-preuve ni le visionnement du lieu de l’infraction par l’intermédiaire de Google Street View.

[144] Le visionnement à l’aide de Google Street View et la contre-preuve ne pouvaient être autorisés par le juge d’instance, car il ne s’agissait pas d’une preuve nouvelle et imprévue.

[145] De plus, le policier avait déjà témoigné au sujet de l’emplacement de la signalisation.

[149] Les interventions du juge d'instance, lors de ses échanges avec l’appelant, font en sorte que l’on peut légitimement douter de sa capacité à trancher la question avec un esprit judiciaire objectif[92]. En effet, sa conclusion quant à la présence des panneaux semble tirée avant même la fin de l’instruction et des observations de l’appelant.

[150] Il avait déjà formulé sa conclusion définitive sur la présence ou l'absence des panneaux dès le visionnement du lieu de l’infraction à l’aide de Google Street View.

[154] Lorsque les irrégularités sont graves au point de rendre le procès inéquitable ou de créer une apparence d’iniquité, seule une nouvelle instruction peut être ordonnée. En effet, une déclaration de culpabilité dans de telles circonstances constitue en général ce qui est considérée comme une erreur judiciaire.

[155] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[156] ORDONNE la tenue d’une nouvelle instruction devant un autre juge;


Dernière modification : le 6 mars 2017 à 16 h 28 min.