1)   Qualification de la preuve et cadre juridique applicable aux documents technologiques

[13]        En l’espèce, le plaignant se sert des données récupérées depuis un serveur web exploité par Facebook révélant des échanges entre lui et des tiers via la messagerie qui y est intégrée. Le but de cette preuve est d’en prouver le contenu, indépendamment du témoignage des participants à cette conversation ou du plaignant, pour le corroborer.

[14]        Il s’agit donc d’une preuve matérielle. Elle pourrait être administrée par un accès direct aux données ou sous forme de fichier contenant les données transférées, mais le plaignant a choisi un format papier. Cela n’en change pas la nature, pas plus que ce le serait pour la présentation d’une photo, il s’agit encore et toujours d’une preuve matérielle sous la forme d’un document technologique.

[15]        Selon l’article 2855 C.c.Q., il incombe à la partie qui souhaite présenter une preuve matérielle d’en démontrer l’authenticité. Le législateur précise cependant ce qui suit lorsqu’il s’agit d’un document technologique :

  1. La présentation d’un élément matériel, pour avoir force probante, doit au préalable faire l’objet d’une preuve distincte qui en établisse l’authenticité. Cependant, lorsque l’élément matériel est un document technologique au sens de laLoi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (chapitre C-1.1), cette preuve d’authenticité n’est requise que dans le cas visé au troisième alinéa de l’article 5 de cette loi.

[16]        Il faut concilier cet énoncé avec les autres dispositions de la L.c.c.j.t.i., notamment avec l’article 7, dont la partie syndicale s’autorise pour invoquer une présomption qui la dispenserait de présenter une preuve distincte d’authenticité et reporterait sur les épaules de l’employeur le fardeau d’en attaquer la fiabilité, d’où la preuve d’expert présentée d’ailleurs. Cette disposition se lit comme suit :

  1. Il n’y a pas lieu de prouver que le support du document ou que les procédés, systèmes ou technologies utilisés pour communiquer au moyen d’un document permettent d’assurer son intégrité, à moins que celui qui conteste l’admission du document n’établisse, par prépondérance de preuve, qu’il y a eu atteinte à l’intégrité du document.

[17]        La portée de cette présomption d’authenticité d’un document technologique fait l’objet d’une controverse que la Cour d’appel a résolue Benisty c. Kloda[3], dans le sens inverse de la conception entretenue par nombre de praticiens et souvent adoptée par les tribunaux[4]. La Cour d’appel conclut en effet que la présomption d’intégrité prévue à cette loi ne s’applique pas en toutes circonstances, mais seulement lorsque le document produit est accompagné de données inhérentes (les métadonnées) permettant d’en vérifier l’authenticité et l’intégrité. À défaut, la partie qui produit le document technologique a le fardeau de la preuve et doit administrer une preuve distincte le démontrant.

Les circonstances nécessitant une preuve distincte d’authenticité et la portée limitée de la présomption d’intégrité prévue à l’article 7 L.c.c.j.t.i.

[18]        Dans Benisty c. Kloda[5], la Cour d’appel rappelle d’abord que la preuve distincte de l’authenticité, exigée par l’article 2855 C.c.Q., est une condition sine qua non pour qu’un tribunal accorde une force probante à un élément de preuve matérielle[6] et que l’article 5 de la L.c.c.j.t.i. accorde au document technologique a la même valeur juridique et le soumet aux mêmes règles qu’un document ordinaire dès que son intégrité est assurée :

SECTION II

VALEUR JURIDIQUE ET INTÉGRITÉ DES DOCUMENTS

  1. La valeur juridique d’un document, notamment le fait qu’il puisse produire des effets juridiques et être admis en preuve, n’est ni augmentée ni diminuée pour la seule raison qu’un support ou une technologie spécifique a été choisi.

Le document dont l’intégrité est assurée a la même valeur juridique, qu’il soit sur support papier ou sur un autre support, dans la mesure où, s’il s’agit d’un document technologique, il respecte par ailleurs les mêmes règles de droit.

Le document dont le support ou la technologie ne permettent ni d’affirmer, ni de dénier que l’intégrité en est assurée peut, selon les circonstances, être admis à titre de témoignage ou d’élément matériel de preuve et servir de commencement de preuve, comme prévu à l’article 2865 du Code civil.

Lorsque la loi exige l’emploi d’un document, cette exigence peut être satisfaite par un document technologique dont l’intégrité est assurée.

(Les soulignements sont ajoutés)

[19]        L’article 6 L.c.c.j.t.i. détermine dans quelles circonstances cette intégrité du document technologique est assurée :

  1. L’intégrité du document est assurée, lorsqu’il est possible de vérifier que l’information n’en est pas altérée et qu’elle est maintenue dans son intégralité, et que le support qui porte cette information lui procure la stabilité et la pérennité voulue.

(…)

[20]        Après avoir rappelé les termes de l’article 7 précité, dont la partie syndicale s’autorise, la Cour d’appel décide que ces dispositions n’établissent pas une présomption automatique d’authenticité des documents technologiques, seulement « celle de la capacité de la technologie »[7] à assurer l’intégrité des données ou de ce que la Cour appelle la « fiabilité technologique »[8]. Elle rappelle que l’intégrité d’un document peut aussi être altérée par la manipulation humaine, d’où que la présomption ait une portée limitée à la technologie.

[21]        Or, les documents technologiques comprennent des données intrinsèques fournissant l’information entourant leur création, leur modification et leur utilisation.[9] Selon la Cour, seuls les documents comportant une documentation inhérente ou intrinsèque attestant de leur authenticité bénéficient de la présomption d’intégrité édictée à l’article 7 L.c.c.j.t.i. :

[100]     Ainsi, l’article 7 L.c.c.j.t.i. ne crée pas de présomption d’intégrité du document, mais seulement une présomption que la technologie utilisée par son support permet d’assurer son intégrité, ce que j’ai appelé la fiabilité technologique. La nuance vient du fait qu’une atteinte à l’intégrité du document peut provenir de différentes sources; on peut penser, à titre d’illustration, que l’information peut être altérée ou manipulée par une personne sans que la technologie soit en cause.

(…)

[102]     (…) Une technologie peut donc être fiable (7 L.c.c.j.t.i.) sans pour autant permettre d’affirmer que l’on puisse en conclure que l’intégrité du document est assurée : cette assurance supplémentaire est offerte par les documents technologiques qui comprennent une documentation inhérente, ou métadonnées, qui font la preuve de l’intégrité du document.

[103]     Autrement dit, la dispense de prouver l’authenticité du document s’applique lorsque le support ou la technologie employé permet de constater que l’intégrité du document est assurée. Il ne s’agit pas ici de fiabilité technologique présumée en vertu de l’article 7 L.c.c.j.t.i., mais du cas particulier des documents technologiques qui comprennent des métadonnées et qui, par conséquent, font la preuve de leur propre intégrité.

(Les soulignements sont ajoutés)

[22]        Lorsque le document technologique ne comporte pas de documentation inhérente, une preuve distincte de son authenticité doit être administrée par la partie qui souhaite le produire, comme l’explique la Cour d’appel dans Benisty c. Kloda:

[104]     Par contre, en l’absence de documentation intrinsèque permettant d’assurer l’intégrité du document, soit le cas prévu par l’article 5, al. 3 L.c.c.j.t.i., la partie qui veut produire tel document devra faire cette preuve distincte traditionnelle de son authenticité :

[469] Selon la seconde proposition de l’article 2874 C.c.Q., l’enregistrement technologique pourrait en certaines circonstances être déposé sans que l’on ait à produire cette preuve d’authenticité. En fait, point besoin de le faire sauf quand la preuve de l’intégrité du document répond à l’hypothèse quelque peu byzantine de l’article 5, al. 3 de la Loi. Cette hypothèse quelle est-elle ? Il s’agit d’une hypothèse où un enregistrement numérique est déposé et que rien ne permette de montrer que ce document n’a pas été altéré.

(…)

Par exemple, un fichier « .mp3 » a servi de support à la déclaration d’une personne mais rien n’est attaché au document pour s’assurer que le document respecte les dires du témoin. Point de métadonnées, point de documentation relative aux modalités de confection dudit enregistrement. Alors, ce n’est que dans ce cas que la preuve d’authenticité « traditionnelle » sera requise.[10]

[23]        Cette preuve, que doit administrer la partie qui invoque le document, doit démontrer de manière convaincante son authenticité et son intégrité pour que le tribunal puisse lui accorder une valeur probante.

L’utilisation d’un document technologique comme commencement de preuve

[24]        L’extrait précité évoque l’hypothèse définie au troisième paragraphe de l’article 5 L.c.c.j.t.i., que l’auteur qualifie de « byzantine ». Il s’agit du document dont le format ne permet pas de dénier ni d’assurer l’intégrité. Cette disposition permet l’utilisation d’un tel document technologique à titre de commencement de preuve, qu’il convient de reproduire de nouveau :

  1. (…)

Le document dont le support ou la technologie ne permettent ni d’affirmer, ni de dénier que l’intégrité en est assurée peut, selon les circonstances, être admis à titre de témoignage ou d’élément matériel de preuve et servir de commencement de preuve, comme prévu à l’article 2865 du Code civil.

(…)

[25]         Or, la Cour d’appel ne discute pas de cette possibilité dans Benisty c. Kloda. Cela mérite quelques commentaires, puisque la partie syndicale propose cet usage comme alternative au défaut de présenter une preuve d’authenticité. De l’avis du Tribunal, la loi ne le permet pas.

[26]        Il faut considérer, pour bien saisir les enseignements de cet arrêt Benisty c. Kloda ainsi que la portée de cette exception législative, que l’admissibilité d’une preuve matérielle à titre de commencement de preuve est bien circonscrite par l’article 2865 C.c.Q:

  1. Le commencement de preuve peut résulter d’un aveu ou d’un écritémanant de la partie adverse, de son témoignage ou de la présentation d’un élément matériel, lorsqu’un tel moyen rend vraisemblable le fait allégué.

(Le soulignement est ajouté)

[27]        Il en découle que l’utilisation d’un commencement de preuve n’est permise que dans des circonstances très limitées, que l’auteure Catherine Piché dans son ouvrage Royer, La preuve civile, 5ième édition[11] décrit ainsi :

  1. -Généralités-La seconde condition nécessaire à l‘existence d’un commencement de preuve est que celui-ci émane de la partie à qui on l’entend l’opposer. Il faut donc exclure tout document qui vient de la partie qui l’invoque ou d’un tiers et auquel on ne peut rattacher la partie adverse, ni directement, ni indirectement.

(Le soulignement est ajouté)

[28]        L’auteure cite plusieurs jugements au soutien de cette proposition, dont Alarie c. Québec (Sous-ministre du Revenu) [12], où le tribunal rejette la preuve d’un registre constitué par le défendeur, que ce dernier invoquait pour corroborer son témoignage et justifier la déduction de frais de déplacements d’affaires rejetée par Revenu Québec.

[29]        Bref, un document émanant de la partie qui veut le produire ne peut être utilisé comme commencement de preuve contre la partie adverse. Du coup, la logique de l’exception prévue au 3ième paragraphe de l’article 5 L.c.c.j.t.i. et de la conclusion de la Cour d’appel dans Benisty c. Kloda s’éclaire. En vertu de cette disposition, le document dont l’intégrité ne peut être affirmée ni déniée est admissible en preuve seulement s’il émane de la partie à laquelle on veut l’opposer. Dans les autres cas, l’authenticité du document doit être démontrée par une preuve convaincante pour permettre son admissibilité.

[30]        Dans Benisty c. Kloda, l’appelant invoquait des enregistrements qu’il avait lui-même constitué. Même s’il se trouvait dans la situation décrite au 3ièmeparagraphe de l’article 5 L.c.c.j.t.i., ses enregistrements ne pouvaient donc servir de commencement de preuve. Il lui fallait, pour s’autoriser du contenu du document technologique, en démontrer l’authenticité et l’intégrité par une preuve distincte.

Les règles relatives à la copie et au transfert des données

[31]        Il reste à traiter de la copie et du transfert. La copie est une reproduction intégrale, c’est-à-dire avec la même technologie, mais sur un autre support: un fichier PDF copié depuis un disque dur qui est enregistré sur une clé USB par exemple, sans aucune altération. Le transfert est différent, il s’agit du passage d’une technologie à une autre et le document technologique est transformé : du format Word à PDF, de fichier Word à copie papier, du HTML à Word, etc.[13]

[32]        Les articles 17 et 18 L.c.c.j.t.i. déterminent les conditions à satisfaire pour que le document copié ou transféré ait la même valeur que le document d’origine et que ce dernier puisse être détruit sans conséquence sur la valeur probante de la preuve disponible:

  1. L’information d’un document qui doit être conservé pour constituer une preuve, qu’il s’agisse d’un original ou d’une copie, peut faire l’objet d’un transfert vers un support faisant appel à une technologie différente.

Toutefois, sous réserve de l’article 20, pour que le document source puisse être détruit et remplacé par le document qui résulte du transfert tout en conservant sa valeur juridique, le transfert doit être documenté de sorte qu’il puisse être démontré, au besoin, que le document résultant du transfert comporte la même information que le document source et que son intégrité est assurée.

(…)

  1. Lorsque le document source est détruit, aucune règle de preuve ne peut être invoquée contre l’admissibilité d’un document résultant d’un transfert effectué et documenté conformément à l’article 17et auquel est jointe la documentation qui y est prévue, pour le seul motif que le document n’est pas dans sa forme originale.

[33]        Faute d’avoir documenté le processus suivi assurant l’intégrité de l’information transférée, il faut démontrer que le document transféré comporte la même information que le document source.

La destruction des données source et la possibilité qu’une partie des conversations produites ait été supprimée

[34]        C’est ici que la destruction des données source peut avoir un impact sur l’admissibilité des documents résultants du transfert ou leur valeur probante.

[35]        Dans Benisty c. Kloda [14], il s’agit d’enregistrements audios réalisés par un magnétophone à cassettes par l’appelant, dont des extraits ont été reproduits par lui sur un CD qu’il voulait introduire en preuve pour établir le contenu.  Les cassettes n’étaient plus disponibles, une transcription en était faite ainsi que celle d’extraits émanant du CD, mais pas par un sténographe officiel. La Cour d’appel refuse de les admettre. Elle détermine qu’il s’agit d’un transfert et, faute de preuve démontrant que le contenu du CD est le même que celui des cassettes, elle décide qu’elle « ne peut utiliser les enregistrements reproduits sur le CD pour apprécier leur authenticité : ils n’ont tout simplement pas la même valeur juridique que ceux contenus sur les cassettes »[15].

[36]        Bien que la destruction des données sources puisse justifier le rejet de la preuve selon certaines décisions, il faut se garder d’en faire une condition de principe pour l’admissibilité des documents. Il s’agit cependant un critère, parmi d’autres, que le Tribunal doit considérer pour décider s’il le document est admissible. Les tribunaux ont d’ailleurs procédé ainsi dans les affaires citées par les parties[16]Les articles 17 et 18 L.c.c.j.t.i. permettent expressément une telle appréciation et le fardeau à satisfaire est ici aussi celui de la prépondérance des probabilités. Les données inhérentes du fichier pourraient être prises en compte, si elles sont fournies.

[37]        L’employeur plaide aussi la possibilité que des parties de conversations soient sciemment détruites, c’est-à-dire que le plaignant peut avoir préalablement effacé des portions des conversations qu’il invoque. À ce compte, de telles preuves ne pourraient jamais être présentées. Une possibilité n’est pas une probabilité. En soi, cela ne justifie pas l’exclusion d’un document comme l’indique la Cour d’appel dans les extraits précités, mais comme il doit le faire pour apprécier le témoignage d’une personne rapportant une conversation dont il pourrait omettre une partie, le Tribunal doit en tenir compte dans l’évaluation de la valeur probante de la preuve présentée si elle est admise.

Le contenu de la preuve distincte d’authenticité du document technologique servant de preuve matérielle

[38]        L’authenticité et l’intégrité sont des concepts différents, mais qui se rejoignent. Selon l’auteure Catherine Piché[17], l’authenticité « implique que sa source apparente est sa source réelle » et qu’il n’a pas été altéré ; l’intégrité est l’assurance que l’information est maintenue dans son intégralité, sans être altérée non plus comme le précise d’ailleurs l’article 6 L.c.c.j.t.i.

[39]        La preuve distincte d’authenticité requise se rapporte d’abord aux modalités de confection du document technologique : il est question ici de la compétence de la personne y ayant procédé, du type de matériel utilisé, du processus suivi.

[40]        Selon l’auteur Gautrais, cité par la Cour d’appel, la partialité de l’auteur de la confection n’est pas un empêchement et la preuve n’a pas toujours besoin d’être très élaborée[18]. La preuve doit aussi porter sur les qualités de l’information reproduite, en deux axes. L’information doit être la plus intègre possible ou intégrale. De plus, elle doit être intelligible et compréhensible.[19]

[41]        Selon la Cour d’appel, le critère de l’intégralité ou de l’intégrité doit toutefois être appliqué sans trop de rigueur, n’étant « pas forcément remise en cause lorsqu’un montage est opéré ou que des coupures sont constatées ». Ainsi, une altération du contenu n’est donc pas nécessairement fatale sur l’admissibilité du document, mais pourra avoir un impact lors de son analyse en regard de sa valeur probante.[20]

La valeur juridique du document technologique dont l’intégrité et l’authenticité est assurée

[42]        Enfin, comme l’indique l’article 5 L.c.c.j.t.i. précité, la preuve présentée sous forme de document technologique (dont l’authenticité et l’intégrité est assurée) a la même valeur juridique que si elle l’était sous une autre forme et elle reste soumise aux mêmes règles de droit. Mentionnons à titre d’exemple, la pertinence, la prohibition du ouï-dire, etc.

2) Le fardeau de la preuve et les formalités à suivre en l’espèce pour démontrer l’authenticité des documents technologiques produits par le plaignant

[43]        Le syndicat présente cette preuve matérielle, il a le fardeau de démontrer son authenticité et son intégrité. Il ne peut cependant faire valoir la présomption d’authenticité prévue à l’article 7 L.c.c.j.t.i.

[44]        Un premier groupe de documents technologiques est constitué, selon le témoignage du plaignant, de captures d’écran de conversations Messengerpuisées de son compte Facebook. Il s’agit d’échanges intervenus par le passé avec des personnes impliquées dans les activités reprochées par l’employeur, certains en 2012, d’autres en 2015, que le plaignant dit avoir captés en continu au fil de leur consultation sur son ordinateur, depuis son compte Facebook. Il a ensuite confectionné des document Word avec ces captures d’écran, les a enregistrés et conservés pour sa défense. Aux fins de son témoignage, il a imprimé les documents.

[45]        Il y a donc deux technologies et trois supports. La première technologie est la version web de Facebook. La seconde est le passage de cette technologie à Word, via les captures d’écran, avec la création de fichiers électroniques contenant ces documents. Ces fichiers sont enfin imprimés et produits sous forme papier, d’où le troisième support.

[46]        Le plaignant affirme avoir supprimé les comptes Facebook et Messenger peu de temps après son arrestation, avec les données, de sorte qu’elles n’existeraient plus, mais les documents qu’il produit contredisent cette affirmation. Quoiqu’il en soit, il n’en fournit pas l’accès. De plus, aucune donnée inhérente permettant d’assurer l’intégrité du produit du transfert et de ce qui est produit n’est fournie puisque les documents sont imprimés. La version électronique aurait fourni les métadonnées et même peut-être, permis la rétro-ingénierie du document[21] ou, au moins, de vérifier si le document a été altéré. La partie syndicale ne l’a pas communiquée.

[47]        En format papier, ces documents technologiques ne bénéficient pas de la présomption d’intégrité prévue à l’article 7 L.c.c.j.t.i. De plus, le plaignant ne peut s’autoriser du troisième paragraphe de l’article 5 L.c.c.j.t.i. pour s’en servir comme commencement de preuve (matérielle), puisqu’ils émanent de lui. La partie syndicale doit donc présenter une preuve distincte et convaincante d’authenticité et d’intégrité pour que le Tribunal puisse accorder une valeur probante aux documents technologiques présentés.

[48]        Les mêmes conclusions s’imposent concernant les captures d’écran de conversations provenant de téléphones intelligents, que le plaignant a aussi transférées dans des fichiers Word qu’il a imprimés.[22] La présomption ne s’applique pas puisque les documents sont produits en format papier et ils ne peuvent servir de commencement de preuve contre l’employeur puisqu’ils n’émanent pas de ce dernier.

3) La preuve relative à l’authenticité des documents reproduisant des conversations Messenger du plaignant avec des tiers n’est pas convaincante même si la preuve d’expert de l’employeur n’est pas acceptée

La preuve syndicale

[49]        La preuve syndicale se résume au témoignage du plaignant qui a expliqué la confection des documents. De l’avis du Tribunal, elle n’est pas suffisante ni convaincante.

[50]        Le plaignant témoigne du processus suivi dans la confection des documents technologiques en litige : il a procédé à des captures d’écran des conversations Messenger montrées en continu sur son ordinateur qu’il a ensuite transférées dans des fichiers Word, qu’il a enregistrés et qu’il a imprimés.

[51]        Il n’y a pas d’enjeux concernant la technologie. Cependant, le transfert de Facebook à Word n’est pas autrement documenté. Que le plaignant en témoigne n’est pas un problème en soi, même s’il est partial, comme le souligne la Cour d’appel dans l’arrêt Benisty c. Kloda, précité. Sa crédibilité sur le processus de conception et de transfert est toutefois durement ébranlée par la preuve contradictoire sur la suppression des données source jumelée à l’absence des métadonnées des fichiers Word.

[52]        Le plaignant explique avoir supprimé ce qu’il affirme avoir été un seul compte, portant successivement son nom et un pseudonyme, dans la foulée de son arrestation en 2013. Il l’aurait fait peu de temps après, une fois puisée l’information qu’il souhaitait préserver pour sa défense[23], suivant ainsi les conseils de son avocate. Il aurait donc fait un tri et choisi ce qui pouvait soutenir sa défense. Les documents qu’il produit en sont le résultat. Il a supprimé le reste.

[53]        Or, le plaignant témoigne par la suite avoir constitué des documents aussi tard qu’en 2018[24], une contradiction évidente avec l’affirmation précédente. Ce sont des versions qu’il n’est pas possible de réconcilier.

[54]        Certes, les documents pourraient provenir de fichiers enregistrés avant la destruction et imprimés plusieurs années après, mais leur contenu ne permet pas une telle conclusion comme le souligne l’employeur. En effet, certains portent des marques des années 2017[25] et 2018[26], accentuant l’invraisemblance d’une suppression des données contemporaine avec l’arrestation du plaignant en 2013. Cela pris en compte, la comparaison de la facture visuelle de ces documents avec d’autres induit la conclusion qu’ils ont plutôt, pour la plupart, été confectionnés peu de temps avant le témoignage annoncé du plaignant en défense.

[55]        En outre, le plaignant n’offre pas la version électronique des fichiers Word qu’il a constitués.

[56]        Comme mentionné plus haut, le Tribunal estime qu’un document technologique peut, dans certaines circonstances, être admissible même si les données sources n’existent plus. Il n’est pas exclu non plus qu’une seule impression soit satisfaisante. Tout dépend des circonstances. Cependant, la partie qui les invoque doit convaincre le Tribunal de l’authenticité et de l’intégrité des documents et sans le bénéfice d’une présomption, ce fardeau devient plus difficile à surmonter.

[57]        Il faut prendre en compte que le format papier n’est pas la meilleure preuve d’un fichier électronique. Les risques de fabrication et d’altération augmentent avec l’évolution de la technologie, d’où l’importance des moyens pour vérifier l’authenticité de ces preuves matérielles. L’impression de données technologiques échangées ou constituées sans la participation de l’autre partie ne lui offre aucun, sinon très peu de moyens pour s’assurer de leur authenticité et de leur intégrité, comme la copie cassette du CD dans Benisty c. Kloda.

[58]        D’ailleurs, la partie syndicale avait exigé le format électronique des données SMS produites par l’employeur justement pour s’assurer de l’authenticité et de l’intégrité de ce que l’employeur voulait verser au dossier et il lui a été remis.

[59]        À son tour, le plaignant ne produit que des impressions de fichiers Word constitués de surcroît de données dont il aurait sciemment détruit l’original, après avoir recueilli ce qui lui est favorable dans ses échanges avec les personnes impliquées dans les méfaits reprochés ou s’y rapportant. La seule preuve d’authenticité et d’intégrité des données imprimées est son témoignage, sa version sur la suppression de son compte source est contradictoire et le format choisi prive l’employeur de tout moyen de vérifier si les captures d’écran ont été modifiées.

[60]        Sur une telle toile de fond, la facture des documents ne peut qu’avoir une importance capitale. Toute apparence de manipulation, les insertions, les coupures, les omissions que les tribunaux peuvent relativiser dans certaines circonstances mineront encore davantage, en l’espèce, cette preuve d’authenticité et d’intégrité déjà chancelante.

[61]        L’employeur a aussi administré une preuve au soutien de ses prétentions, mais elle fait aussi l’objet d’une contestation syndicale. Il faut donc en disposer avant de procéder à l’appréciation du contenu des documents.

Aperçu de la preuve de l’employeur et de l’objet de la contestation syndicale

[62]        L’employeur cite un témoin qu’il demande de qualifier comme expert et qui a signé un rapport communiquant son analyse des documents produits par le plaignant. Il signale des variations ou des éléments apparents sur les documents révélant des indices de manipulation ou contredisant le témoignage du plaignant, il produit des documents technologiques recueillis dans les données accessibles au public des comptes Facebook des amis du plaignant ou sur des pages commerciales et enfin, il analyse les marques d’horodatage des documents pour conclure qu’elles sont irréconciliables avec les fonctionnalités de la plate-forme Facebook, révélant ainsi à son avis qu’ils sont fabriqués.

[63]        Monsieur Carl Dubé est juricomptable de formation, il a été enquêteur pour Revenu Québec, puis policier et spécialiste d’enquêtes sur des infractions commises dans un contexte ou avec des moyens technologiques informatiques. À ce titre, il a suivi des formations en informatique ainsi que sur les réseaux sociaux et acquis des connaissances par son expérience. Il agit maintenant comme consultant et il a témoigné comme expert dans plusieurs litiges devant les tribunaux.

[64]        La partie syndicale conteste la qualité d’expert du témoin et demande vigoureusement le rejet de son rapport au motif qu’il ne contient aucune donnée technique ou spécialisée. Le lecteur aura compris qu’au sujet de l’allégation de fabrication des documents, l’enjeu dépasse largement l’admissibilité des documents syndicaux tels que présentés puisqu’une telle conclusion serait dévastatrice pour la défense syndicale.

[65]        Le témoin a été entendu sous réserve de l’objection syndicale, tant sur sa qualification que sur son rapport.

Le cadre juridique relatif à l’admissibilité du témoignage d’opinion d’un expert

[66]        Les critères pour reconnaître l’expertise d’un témoin et l’autoriser à fournir une opinion susceptible d’éclairer le tribunal sont définis dans l’arrêt de principe c. Mohan[27], auquel les deux parties ont référé dans leurs représentations. Il faut considérer ce qui suit pour décider si le témoignage d’opinion d’un expert est admissible[28] :

1)   La pertinence;

2)   La nécessité d’aider le tribunal;

3)   L’absence de toute règle d’exclusion;

4)   La qualification suffisante de l’expert.

[67]        Dans la présente affaire, les réserves du Tribunal ont trait à la nécessité de l’expertise ainsi que la qualification suffisante de l’expert.

L’expertise n’est pas nécessaire pour faire des observations sur l’apparence des documents ou produire

[68]        L’expertise n’est pas nécessaire sur tous les sujets traités par le témoin Dubé. Au sens de l’arrêt Mohan, ce critère est satisfait si l’opinion de l’expert « fournit des renseignements « qui, selon toute vraisemblance, dépassent l’expérience et la connaissance d’un juge ou d’un jury » (…)[29]. En revanche, il ne l’est pas « [s]i, à partir des faits établis par la preuve, un juge ou un jury peut à lui seul tirer ses propres conclusions (…) ».

[69]        De l’avis du Tribunal, il n’est pas nécessaire de recourir à un expert pour tirer des inférences des informations apparaissant aux documents produits que tout observateur peut repérer et les interpréter en relation avec les déclarations du plaignant. Or, il s’agit d’un volet important du rapport produit. Je cite comme exemple la mention « copyright 2018 » sur un document ou le changement du compte Facebook source d’une page à l’autre d’un document (dont le plaignant a lui-même traité dans sa preuve) ou des différences dans le contenu de documents présentés pour être une reproduction continue d’une même conversation. Ces incohérences peuvent être relevées comme telles en plaidoirie sans produire un expert. Comme le souligne la partie syndicale à juste titre, l’appréciation de la preuve et de la crédibilité du plaignant appartient au Tribunal[30].

[70]        D’autre part, l’expertise n’est pas nécessaire non plus pour le volet « enquête » réalisé par monsieur Dubé dans les données publiques de Facebook, ni sur les fonctionnalités de la plateforme disponibles aux utilisateurs de manière contemporaine.

[71]        Contrairement à la partie syndicale, le Tribunal est d’avis que des compétences spécialisées particulières ne sont pas requises pour produire de l’information publique puisée de comptes Facebook et l’informer des fonctionnalités disponibles aux usagers qui ont été utilisées pour expliquer les recherches et mettre en preuve le résultat. Dans Graat c. R. [31]la Cour suprême autorise un policier à témoigner sur l’ivresse d’un individu au volant, parce que les signes de cet état sont observables sans qu’il soit nécessaire d’être un expert. Ce sont des questions de faits.

[72]        L’utilisation des médias sociaux fait maintenant partie des compétences d’une bonne partie de la population. Certes, l’étendue des connaissances et des habiletés varie selon les individus, comme ce l’est pour la lecture ou les mathématiques. Il est néanmoins notoire que des millions de personnes sont des usagers de ces plateformes ou d’autres similaires.

[73]         Quotidiennement, des documents recueillis depuis Facebook sont produits par des témoins profanes y ayant eu accès comme utilisateurs. Les fonctionnalités contemporaines de ces plateformes, disponibles et vérifiables, sont des faits. D’ailleurs, le plaignant en a relevé lui-même dans son témoignage. Citons pour exemple, la suppression du compte, la possibilité pour un usager de modifier son identité, les diverses manières d’accéder à des conversations Messenger, etc. Je signale qu’à ce sujet, le témoin Dubé confirme ces affirmations.

[74]        Un témoin profane ayant utilisé ces plateformes pour recueillir de la preuve matérielle en faisant une recherche dans les données disponibles publiquement, comme un enquêteur qui observe les activités d’une personne ou fait une vérification dans une banque de données, peut témoigner devant un tribunal de sa démarche et produire la preuve matérielle obtenue, pour autant qu’elle soit pertinente et admissible.

La nécessité de l’expertise l’allégation de fabrication ou d’altération du document

[75]        Il en est autrement des opinions avancées sur la fabrication et l’altération de documents technologiques en litige. Ici, les connaissances spécialisées sont nécessaires et celles de l’expert doivent être suffisantes pour être admis à fournir une opinion au Tribunal.

[76]        Il doit être démontré que l’expert « a acquis des connaissances spéciales ou particulières grâce à des études ou une expérience relatives aux questions visées dans son témoignage ».[32] Il n’est pas exigé que l’expert soit bardé de diplômes ou membre d’un ordre professionnel[33] ou qu’il détienne une certification[34] pour être admis à fournir une opinion au tribunal à ce titre. Il doit cependant établir qu’il possède les connaissances et l’expérience[35] en ce qui a trait aux questions soulevées[36] ou des « connaissances expérimentales particulières »[37] lui permettant d’être « en mesure d’éclairer le tribunal sur une question technique »[38]. La partie qui produit le témoin a le fardeau de démontrer le lien entre les connaissances ou l’expérience et les questions directement en litige.

[77]        Les questions soulevées en l’espèce par l’employeur mettent en cause les fonctionnalités de la plateforme Facebook et sa messagerie intégrée sur une longue période (de 2012 à 2018), le logiciel Word et l’utilisation de logiciels d’édition de documents. Il n’est pas suffisant de posséder de bonnes connaissances informatiques ou de savoir comment utiliser FacebookMessenger ou Word. Le point de vue de l’utilisateur n’est pas suffisant, soit-il expérimenté. Le témoin doit être en mesure d’adopter celui du concepteur, du gestionnaire du système ou de l’analyste informatique puisqu’il est question du comportement systémique de la plateforme et du logiciel et de leurs interactions et en l’espèce, sur plusieurs années dans le passé puisque les faits s’étalent sur plus de six ans.

[78]        Le témoin doit posséder les connaissances spécialisées et particularisées pour témoigner de leur comportement standardisé au fil du temps pour identifier les anomalies pouvant être générées sans intervention humaine, celles qui révèlent plus probablement une altération intentionnelle ainsi que les moyens disponibles pour les détecter.

L’insuffisance des qualifications du témoin expert présenté

[79]        À l’instar de la partie syndicale, le Tribunal est d’avis que le témoin Dubé ne possède pas de connaissances techniques spécialisées suffisantes. De toute manière, il ne pourrait accorder une valeur probante à son témoignage sur plusieurs aspects au cœur de son rapport.

[80]        La présente affaire s’apparente beaucoup à celle rapportée dans Aliments Breton (Canada) inc. c. Oracle Corporation Canada inc[39], où le détenteur d’un M.B.A. et dirigeant d’une équipe de services-conseils orientés vers les technologies de l’information expérimenté dans la gestion de projets, n’a pas été reconnu comme expert parce que ses expériences et connaissances sur les systèmes intégrés de gestion ne portaient pas sur la méthode spécialisée précisément en litige ou étaient trop limitées. Reconnaissant que le témoin dispose d’importantes connaissances et de beaucoup d’expérience, la Cour d’appel retient néanmoins que la Cour supérieure était bien fondée de ne pas considérer son témoignage parce qu’il ne possédait « ni les connaissances spéciales ou particulières relatives aux questions visées par leur témoignage ni l’expérience nécessaire pour faire progresser le débat sur les principaux enjeux soulevés »[40].

[81]        Il en est de même en l’espèce. Le témoin est certes un enquêteur chevronné et un utilisateur avisé des technologies de l’information, des médias sociaux, comme Facebook ou Messenger, ainsi que du logiciel Word. Cependant, le Tribunal est d’avis que ses connaissances techniques ne sont pas suffisamment approfondies et spécialisées sur ces médias sociaux et ce logiciel en particulier pour fournir une opinion probante sur l’incompatibilité de la documentation syndicale avec leur paramètres ou comportements standardisés dans les situations présentées (des documents sont datés de 2012 à 2018) et que l’intervention humaine est l’explication la plus vraisemblable et probable aux composantes observées.

[82]        La preuve révèle que le témoin n’a pas de formation collégiale ou universitaire en informatique. Les formations suivies sont ponctuelles, offertes à des policiers dans le cadre de leurs fonctions plutôt qu’à spécialistes en informatique, aucune documentation spécialisée n’est fournie et elles paraissent axées sur l’utilisation des médias sociaux aux fins d’enquêtes policières. Monsieur Dubé n’est pas en mesure de préciser les compétences ou connaissances spécialisées particulières acquises sur Facebook ou Messenger dans le contexte des formations suivies[41].

[83]        Le témoin ne fait état d’aucune expérience antérieure significative ni d’expertises précédemment rendues sur Facebook ou Messenger ou Word en particulier[42] ou sur l’utilisation de logiciels spécialisés pour faire l’édition ou la modification de documents. Ces plateformes ne sont pas identifiées dans les connaissances particulières mentionnées à son curriculum vitae. Le logiciel Word ou les outils d’édition non plus. Le témoin n’offre aucune information concrète sur sa connaissance des paramètres d’affichages antérieurs (des conversations datent de 2012) ou des fonctionnalités antérieures qu’il indique ne pas l’avoir[43].

[84]        En somme, si le Tribunal reconnait que monsieur Dubé est un enquêteur chevronné et qu’il possède des connaissances spécialisées en informatique, elles sont insuffisantes sur les questions particulières soulevées en l’espèce pour accepter son témoignage comme expert sur l’authenticité et l’intégrité des documents produits.

La trop faible valeur probante de plusieurs opinions au cœur du rapport du témoin Dubé

[85]        Le Tribunal ajoute que même si monsieur Dubé était admis à témoigner comme expert sur l’authenticité et l’intégrité des documents, il ne pourrait accorder de force probante à plusieurs opinions avancées, notamment sur les anomalies relatives à l’horodatage, pierre angulaire de son rapport et de son opinion sur la fabrication des documents[44].

[86]        Une anomalie signalée à quelques occasions est la présence d’un seul espace entre les chiffres et le point-virgule de l’heure du message : l’affichage est 23 :40 au lieu de 23:40. Le témoin reconnaît que le transfert d’une image capturée dans un fichier Word peut en modifier la présentation ou la mise en page. Or, il se fonde sur deux expériences menées aux fins de la confection de son rapport en 2018-2019 pour affirmer que le transfert dans un fichier Word ne produit pas un tel effet et donc, que cette différence révèle la fabrication du document.

[87]        Le Tribunal ne peut attribuer une valeur probante à cette opinion. L’expert doit être en mesure d’éliminer, de manière convaincante, cette dysfonction courante d’un processus de transfert[45]. Deux vérifications menées au même moment et dans les mêmes conditions ne sont pas suffisantes pour tirer des conclusions probantes, d’autant moins que la version du logiciel Word utilisée par le plaignant peut être différente et qu’elle est inconnue.

[88]        Lorsque le témoin Dubé est interrogé sur les paramètres d’affichages de dates et d’heures de messages archivés sur la plate-forme Facebook depuis plusieurs années (sont-ils différents, ont-ils évolué), il répond ne pas être en mesure de se prononcer, qu’il lui faudrait faire de plus amples vérifications, qu’il faudrait demander à Facebook. Or, l’aspect le plus important des opinions avancées porte justement sur ce qu’il estime être des anomalies sur l’horodatage de conversations Messenger de 2012 ou 2015 archivées sur cette plateforme Facebook.

Conclusions sur l’admissibilité de la preuve patronale introduite par le témoin Dubé

[89]        Avec égards, le Tribunal ne reconnaît pas l’expertise du témoin Dubé pour se prononcer sur la fabrication ou l’authenticité des documents technologiques produits par le plaignant et ces aspects de son rapport sont rejetés.

[90]        Monsieur Dubé peut toutefois témoigner de ses travaux comme enquêteur dans les pages publiques de Facebook, incluant sur le processus suivi et la confection des documents technologiques qui en ont résulté. Le Tribunal ne retient pas la prétention syndicale que cette preuve n’est pas admissible du fait qu’elle est présentée par un témoin non reconnu comme expert, un témoin profane pouvant être entendu.

[91]        Les règles d’admissibilité de cette preuve matérielle sont cependant les mêmes que celles applicables aux documents du plaignant. Les documents proviennent de Facebook et ils ont été constitués de captures d’écran enregistrées dans des fichiers Word et présentés en format papier, sans les métadonnées. L’employeur a le même fardeau d’en démontrer l’authenticité et l’intégrité. Il ne bénéficie pas non plus de la présomption édictée à l’article 7 de la L.c.c.j.t.i. Cette preuve ne peut non plus être utilisée comme commencement de preuve contre le plaignant puisque les documents produits n’émanent pas de ce dernier. Elle doit aussi être pertinente pour être admise.

[92]        Enfin, il n’est pas nécessaire de recourir à un témoin expert pour signaler les incohérences observables dans la preuve au dossier. L’employeur les a reprises à son compte en bloc dans ses représentations, cela suffit. Aussi, le Tribunal en disposera dans la poursuite de l’analyse de la preuve et des prétentions soulevées, qu’il convient de reprendre maintenant.

Observations sur la documentation syndicale produite et conclusions sur son admissibilité

[93]        Rappelons la toile de fond. Le fardeau de la preuve incombe à la partie syndicale, qui doit convaincre le Tribunal que les documents sont authentiques et intègres, en ce sens qu’ils reproduisent fidèlement l’information puisée de la plateforme d’origine et ensuite transférée dans des fichiers de traitement de texte. Le plaignant affirme avoir supprimé son compte et les conversations reproduites peu de temps après son arrestation, son témoignage est contredit par la preuve documentaire qu’il veut introduire.  Le transfert n’est pas documenté par une preuve indépendante. Les données inhérentes aux fichiers Word imprimés ne sont pas produites.

[94]        Or, le contenu de plusieurs documents invoqués, loin de rassurer, ajoute aux préoccupations relatives à leur intégrité et dans l’ensemble, la preuve ne permet pas de conclure que les pièces S-50 à S-54 sont authentiques ou reproduisent fidèlement les données source.

[95]        Il faut d’abord considérer la variation dans l’identification du compte dont proviennent les conversations. Dans son témoignage, le plaignant explique que son arrestation a déclenché une invasion dans sa vie privée dont il a voulu se protéger en modifiant l’identification de son compte Facebook. Il déclare qu’à chaque fois qu’il se connectait par la suite, il changeait le nom du compte passant de son nom à un pseudonyme[46] et vice versa. Les pièces S-50 et S-53 enfournissent l’exemple puisque d’une page à l’autre de ces documents, le nom du compte varie.

[96]        D’emblée, cela révèle que les documents reproduisant ce qui est décrit comme une seule conversation n’ont pas été constitués d’un trait ou en continu, mais à la faveur de plusieurs connexions successives.

[97]        Le document S-50 est composé de neuf captures d’écran du compte Facebook du plaignant, montrant une conversation Messenger de 2012 avec l’individu auquel l’employeur lui reproche d’avoir fourni des renseignements confidentiels puisés dans ses banques de données[47]. Il est présenté pour être une reproduction de l’entièreté d’une conversation portant sur l’envoi d’une mise en demeure.

[98]        La date et le début du message reproduit à la seconde page (ce serait le début de la conversation selon le plaignant) ne sont pas visibles : la 1ière image capturée coupe cette information vers le haut.

[99]        Comme le souligne l’employeur, alors qu’aux pages 2 à 7 une mention sur le mur du plaignant est datée du 5 juillet et associée à une photo, à la 8ièmecette mention est datée du 20 septembre et l’image associée est différente. Sur la 9ième page, la dernière du document, la page de fond est identique aux pages 2 à 7. Il en découle que la page 8 a été insérée postérieurement au milieu d’un ensemble précédemment constitué.

[100]     Cette page insérée introduit trois nouveaux éléments dans la conversation : un message vocal de l’interlocuteur, la réponse écrite du plaignant « non no de ton histoire avec [X] [48] » suivi d’un autre message vocal de six secondes de son interlocuteur. L’enregistrement n’est pas fourni, ni sa transcription. Le lecteur ne peut comprendre le commentaire formulé, cette portion n’est pas intelligible.

[101]     Pour les mêmes raisons, le lecteur n’est pas non plus en mesure de conclure que le dernier message vocal identifié est le même que celui de la page précédente et donc, que la réponse fournie ensuite est en lien avec la conversation en cours.

[102]     L’intégrité du document n’est pas assurée et pour une portion, il n’est pas intelligible.

[103]     Le document S-51 est une série de neuf captures d’écran du compte Facebook alors sous le nom du plaignant, montrant une conversation Messenger de 2012 avec un individu auquel l’employeur lui reproche d’avoir fourni des renseignements confidentiels puisés dans ses banques de données[49]. Le plaignant transmet des photos pour tenter d’identifier une personne et récapitule l’information que son interlocuteur lui a transmis.

[104]     Ce document S-51 est présenté pour être une reproduction en continu de l’entièreté d’une conversation portant sur l’envoi d’une mise en demeure. Le début de la conversation est visible, la suite aussi, jusqu’aux quatre photos à la page 7. À cette page, la réponse de l’interlocuteur à cet envoi n’est pas visible, à la page suivante non plus. Le plaignant y répond merci à un commentaire qui n’est pas reproduit, ce qui indique que la conversation est coupée. D’autre part, la couleur bleue des bandes affichées est différente, comme des photos d’amis, ce qui porte à croire à un changement dans les conditions de confection (ordinateur, imprimante, moment).

[105]     L’intégrité du document n’est pas assurée et pour une portion, il n’est pas intelligible.

[106]     Le document S-52 est constitué de quatre captures d’écran d’une conversation de 2012 tirée du compte du plaignant. L’interlocuteur s’enquiert auprès du plaignant de renseignements concernant l’arrestation d’une personne de son entourage et il annonce qu’il va l’appeler au téléphone. Il s’agit d’un message auquel le plaignant répond par un pouce en haut.

[107]     La première page est l’identification de l’interlocuteur. La seconde page est la demande initiale de l’accepter aux fins d’échanger sur Messenger, provenant du plaignant. Les images contextuelles sont identiques : bande principale avec icônes (dont une cloche), photos d’amis. Les pages 3 et 4 reproduisent le même message de l’interlocuteur, repris à partir de l’acceptation d’amis. Le plaignant n’a plus 160 amis, mais 161 et des photos sont différentes, l’icône cloche sur la bande de présentation de la plateforme n’y est pas. Le document parait donc avoir été constitué en plusieurs temps.

[108]     Bien que le texte du message, très court, soit reproduit en tout ou en partie sur les pages 2-3-4 et identique, l’ensemble de la preuve ne permet pas de conclure à l’authenticité ou l’intégrité du document.

[109]     Le document S-53 comporte 24 pages, reproduisant, sur 23, une conversation du plaignant avec une personne par Messenger relativement à une contravention dont l’employeur impute la disparition à un acte délibéré de ce dernier, une somme d’argent et des billets pour un spectacle. Elle est datée de 2013. Il y dans les échanges reproduits plusieurs références à d’autres survenus parallèlement sur SMS, que l’employeur a saisi et reproduit.

[110]     La 1ière page présentant l’interlocutrice et reproduisant la dernière ligne des échanges reproduits est sous le pseudonyme du plaignant et il a 161 amis. À la suivante, la seule présentant ces caractéristiques, le compte est à son nom, il en a 160, la barre d’icônes est différente en ce qu’elle comporte une cloche. La conversation reproduite commence le 24 janvier à 10 :53 par un commentaire disant de « laisser faire pour la contravention », une référence très probable à un échange sur SMS déjà produit traitant du sujet.

[111]     À la 3ième page, on revient au compte identifié sous le pseudonyme pour la conversation jusqu’à la 18ième page, le plaignant a 160 amis. Il en a 161 à la page 19, reproduisant un message paraissant avoir été transmis 24 minutes après le précédent.

[112]     Bien que généralement les échanges sont reproduits par chevauchement permettant d’assurer qu’ils sont continus, ce n’est pas le cas pour plusieurs éléments clés[50].

[113]     Ce document doit être analysé en parallèle avec la pièce S-54 qui reproduit les mêmes échanges sous une autre forme. L’espacement entre le premier et le deuxième message indique que ce n’est pas une reproduction en continu et cette brisure survient au même moment que dans le document S-53 à la page 4, où il n’est pas possible de voir si l’échange suit directement le précédent. C’est pareil pour l’échange commençant à 16h51, où le plaignant envoie une photo[51].

[114]     D’autre part, l’affichage de l’heure change en cours de route. Au début, il est similaire à celui observé à S-53 : 10 :53. À compter de 17h43 comme le signale l’employeur, l’horodatage se présente sous cette nouvelle forme jusqu’à la fin. Enfin, une icône présente à la page 18 de S-53 n’est pas reproduite à S-54 dans un échange présenté comme continu.

[115]     L’absence de données source, de données inhérentes aux fichiers et la facture aussi instable que contradictoire de ces documents S-53 et S-54 ne permettent pas de conclure à leur authenticité et à leur intégrité. Le Tribunal accède donc à la demande de l’employeur de déclarer que ces pièces ne sont pas admissibles en preuve, au motif que la partie syndicale n’en a pas fait la preuve convaincante.

Les captures d’écran d’un échange entre des tiers et provenant d’un téléphone intelligent qui n’est pas celui du plaignant

[116]     Le document S-61 est un imprimé de trois captures d’écran d’un téléphone cellulaire que le plaignant dit appartenir à la personne ayant reçu la contravention discutée aux pièces S-53 et S-54, reproduisant une conversation entre cette personne et un autre policier.

[117]     Il n’est pas nécessaire de se prononcer sur l’intégrité de cette preuve matérielle puisqu’elle n’est pas admissible selon les règles habituelles de preuve.  L’employeur invoque à bon droit la prohibition du ouï-dire, puisque le plaignant n’est pas une partie à cette conversation et que la propriétaire du cellulaire a de surcroît témoigné sans être interrogée à ce sujet. Le Tribunal dispose ainsi cette preuve de la même manière que les autres documents de nature similaire, dont la production n’a pas été autorisée par une décision rendue verbalement à l’audience, pour les mêmes raisons[52].

Les captures d’écran d’une conversation par Messenger entre le plaignant et K.G.

[118]     La pièce S-64 est la reproduction de captures d’écran d’un échange Messenger entre le plaignant et cette même personne ayant reçu la contravention disparue, mais plusieurs mois après les événements. Le plaignant initie la conversation, la dirige et impute la responsabilité de la disparition de la contravention à des tiers et son interlocutrice réagit. Le but évident est d’obtenir des éléments de preuve disculpatoires.

[119]     L’intégrité du document souffre aussi de l’absence de données sources et inhérentes de même que de la crédibilité diminuée du plaignant. Il n’est toutefois pas nécessaire de faire une analyse approfondie du contenu puisque de toute manière, cette preuve n’est pas admissible pour d’autres raisons et le Tribunal ne peut lui accorder de valeur probante.

[120]     Ces déclarations n’émanent pas de l’employeur, mais du plaignant et de son interlocutrice. Le but est de prouver le contenu des déclarations d’un tiers au litige, ici K.G., sans l’entendre. A priori, il s’agit de ouï-dire.

[121]     L’admissibilité de déclarations extrajudiciaires sans entendre le témoin est très encadrée par la loi, vu le danger d’inexactitude et de fausseté. Les deux critères prévus à l’article 2870 C.c.Q. et appliqués par les tribunaux pour admettre une telle déclaration sont la contemporanéité de la déclaration avec les événements et sa spontanéité[53]. En l’espèce, ni l’une ni l’autre de ces exigences n’est satisfaite et la valeur probante de cette déclaration est encore diminuée par le fait que son auteure, ayant comparu à la demande de l’employeur sans que le syndicat ne produise sa déclaration à cette occasion. La déclaration elle-même n’est pas un fait litigieux, l’exception de la res gestae ne s’applique pas et elle ne peut donc être admise à ce titre.

[122]     En somme, il s’agit d’une preuve préconstituée par la partie qui la produit, c’est-à-dire que l’échange est provoqué, mis en scène par le plaignant et consigné pour être invoqué. Si elle était admise, elle n’aurait trop peu de valeur probante pour être prise en compte et opposée à l’employeur[54]. L’objection de l’employeur est donc accueillie.

Les autres documents présentés par la partie syndicale et les documents produits par le témoin Dubé de l’employeur

[123]     Deux autres pièces présentées par le plaignant sont issues de pages Facebook provenant de tiers (S-58 et S-60) ou de Google (S-55) [55]. Elles sont admises, comme celles produites par le témoin Dubé de l’employeur pour notamment démontrer le moment de la parution de photos visibles dans les documents du plaignant et contredire son témoignage sur la suppression des données source.

[124]     Tous ces documents sont disponibles en ligne au public selon la preuve non contredite et leur intégrité n’est pas attaquée. Bien que ni l’une ni l’autre des parties n’ait fourni la version électronique des pièces et que les données inhérentes ne soient pas disponibles, leur contenu peut être vérifié en ligne et aisément contredit.

[125]     L’employeur a d’ailleurs retiré son objection concernant le document S-60, de même facture que le document S-58. Ce dernier est donc admis, ainsi que les pièces jointes à l’Annexe H du rapport E-76 du témoin Dubé. Le Tribunal décidera de leur pertinence et évaluera leur valeur probante au fond.

[126]     POUR CES MOTIFS, le Tribunal :

ACCUEILLE PARTIELLEMENT l’objection syndicale sur le témoignage de monsieur Carl Dubé et la production de son rapport;

AUTORISE le témoin Dubé à produire l’Annexe H et à témoigner sur l’obtention et la confection des documents qui la constituent.

ACCUEILLE les objections de l’employeur sur l’admissibilité des pièces S-50, S-51, S-52, S-53, S-54, S-61 et S-64.

REJETTE les objections de l’employeur et ADMET les documents S-55, S-58 et S-60.

ADMET les documents se trouvant à l’Annexe H du rapport E-76 du témoin Carl Dubé.


Dernière modification : le 9 septembre 2019 à 16 h 29 min.