Extraits pertinents:

[...]

ARGUMENTATION DE L’EMPLOYEUR

[18] Le troisième alinéa de l’article 5 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, RLRQ, c. C-1.1, ne dispense pas de faire une preuve sur l’authenticité du document :

            […]

Le document dont le support ou la technologie ne permettent ni d’affirmer, ni de dénier que l’intégrité en est assurée peut, selon les circonstances, être admis à titre de témoignage ou d’élément matériel de preuve et servir de commencement de preuve, comme prévu à l’article 2865 du Code civil.

[19] En l’espèce, la plaignante veut introduire une preuve sans en attester l’authenticité en renversant le fardeau de preuve qui est le sien sur les épaules de l’employeur. En l’absence de l’enregistrement original qui, selon les dires des témoins, était complet, il est impossible de comprendre le contexte. Ainsi, on ne peut savoir si d’autres parties de la réunion pourraient être pertinentes, voire contredire la signification du contenu qu’on lui prête. Or, la question est soulevée au mois d’août 2015, soit bien après l’événement. Il aurait été facile de préserver cette preuve.

[20] En outre, comme le souligne une décision du Conseil canadien des relations du travail (section locale 31 du syndicat des Teamsters c. D.H.L. International Express Ltd, CLRB\CCRT nº 1147, 21 novembre 1995), il serait périlleux d’admettre sans restriction l’enregistrement clandestin de conversations tenues dans le cadre du travail. En effet, des discussions franches et ouvertes dans un climat de confiance et de respect mutuels sont nécessaires au bon fonctionnement des relations de travail entre les parties.

[21] L’employeur rappelle qu’il a déjà fait sa preuve et que ses témoins pouvaient être contre-interrogés sur le sujet, ce qui n’a pas été fait. Somme toute, on veut colorer le débat, ce qui risque de forcer une contre-preuve pour expliquer le contexte.

[...]

[27] Il apparaît à la Commission que la principale objection de l’employeur réside dans le fait que la plaignante a sélectionné la partie de la réunion qui la concernait. Il s’oppose au dépôt en raison de cette absence d’intégralité, de crainte que l’audition des extraits choisis par celle-ci ne « colore » le dossier, sans permettre à l’employeur de placer les déclarations dans leur contexte.

[28] Sur cet aspect bien particulier, la décision de la Cour d’appel dans Roy c. Saulnier, précitée, devient fort utile. Ainsi, le juge Beauregard écrit :

À mon humble avis, le premier juge a fait une application trop absolue de l’arrêt Cadieux. Du simple fait que l’appelant a repiqué sur une cassette les seules conversations téléphoniques de l’intimée qu’il croyait pertinentes et qu’il avait enregistrées sur divers rubans ne rend pas nécessairement inadmissible la production de la cassette repiquée.

Une bande sonore est un moyen de preuve au même titre qu’une photographie ou un écrit. Avant de pouvoir servir elle doit, comme une photographie et comme un écrit, avoir une valeur probante. Cette valeur probante s’apprécie sous l’éclairage de toutes les circonstances ayant entouré la confection de la preuve matérielle. En l’espèce le fait que les conversations entre l’intimée et des tiers ont été repiquées sur une cassette n’est qu’une des circonstances. Le témoignage de l’appelant à l’effet qu’il a simplement laissé de côté les conversations téléphoniques non pertinentes peut, s’il est cru par le juge, rendre non pertinent le fait qu’il y a eu repiquage. Avant de rejeter du revers de la main l’élément de preuve apporté par la cassette repiquée, au moins faut-il connaître le sentiment de l’intimée sur ce que cette cassette fait entendre. On ne peut présumer que l’intimée niera que la cassette reproduit fidèlement les conversations qu’elle a pu avoir avec des tiers et qui sont pertinentes au litige. Il est également possible que les interlocuteurs de l’intimée confirmeront l’authenticité de l’enregistrement de leurs conversations avec l’intimée.

Il ne s’agit pas d’une cause qui est plaidée devant un juge et un jury où il est plus impérieux que le juge décide au départ s’il y a lieu ou s’il n’y a pas lieu de permettre la production d’une pièce. Dans un procès qui se déroule devant un juge seul la recevabilité d’une pièce par le juge n’emporte pas nécessairement que celui-ci trouvera cette pièce probante. Au soir du procès, après avoir entendu toute la preuve, le juge peut très bien décider que telle pièce n’a aucune fiabilité et refuser d’y accorder quelque valeur probante.

Je suis donc d’opinion que la décision du premier juge de refuser la production de la cassette était mal fondée. 

(motifs du juge Beauregard, à la page 2)

(soulignement ajouté)

[29] La plaignante a remis une copie de l’enregistrement à l’employeur. Il peut donc évaluer ce qu’il représente. Dans la mesure où le contenu est audible, ce qui ne semble pas contesté, l’enregistrement fera partie de la preuve de ce qui s’est passé lors de cette rencontre.

[30] En ce qui concerne l’employeur, bien entendu, il pourra, une fois la preuve de la plaignante terminée, faire une contre-preuve, notamment, sur cet élément. S’il le croit nécessaire, il replacera dans leur contexte les déclarations.

[31] Ce n’est qu’une fois l’enquête complétée, à la lumière de toute la preuve, que la Commission évaluera la valeur probante de cet enregistrement.


Dernière modification : le 16 octobre 2015 à 7 h 46 min.