Extraits pertinents :

1 Le poursuivant reproche à la défenderesse d'avoir enfreint l'article 34 de la Loi sur les décrets de convention collective[1], en remettant à l'inspectrice Lise Pelletier un document ayant été sciemment altéré, plus particulièrement en masquant une partie de l'information inscrite sur une annexe d'un contrat conclu avec le sous-traitant 9212-5772 Québec Inc.

2 La défenderesse, Conciergerie Speico Inc ("Speico"), est spécialisée dans les services de conciergerie et d'entretien ménager depuis 1990. Celle-ci utilise les services de sous-traitant pour effectuer l'entretien de certains édifices publics, notamment la compagnie 9212-5772 Québec Inc ("9212").

6 Madame Sandy Lopez, directrice-adjointe aux opérations chez Speico, admet avoir altéré l'annexe. Cependant, elle prétend que 9212 a remis au Comité, par erreur, un projet d'annexe. Ce projet d'annexe n'étant pas définitif, puisqu'il ne comporte aucune signature de Speico, pouvait être altéré.

7 De plus, Speico indique qu'elle n'a jamais eu l'intention spécifique de frauder le Comité en lui transmettant l'annexe puisque celle-ci a été modifiée bien avant la demande du Comité et que les informations masquées ne sont nullement pertinentes. Speico soumet également qu'elle ne tire aucun avantage du fait d'avoir masqué cette information.

12 L'article 34 de la Loi édicte que:

«Quiconque, sciemment, détruit, altère ou falsifie un registre, une liste de paye, le système d'enregistrement ou un document ayant trait à l'application d'un décret, transmet sciemment quelque renseignement ou rapport faux ou inexact, ou attribue à l'emploi d'un salarié une fausse désignation pour payer un salaire inférieur, commet une infraction et est passible d'une amende de pas moins de 200 $ mais n'excédant pas 500 $ pour la première infraction, et d'une amende de pas moins de 500 $ mais n'excédant pas 3 000 $ pour toute récidive.»

13 À la lecture du libellé de la disposition, il ressort clairement qu'il existe diverses façons de commettre l'élément matériel de l'infraction:

1) sciemment détruire, altérer ou falsifier un registre, une liste de paye, le système d'enregistrement ou un document ayant trait à l'application d'un décret;

2) transmettre sciemment quelque renseignement ou rapport faux ou inexact;

3) attribuer à l'emploi d'un salarié une fausse désignation pour payer un salaire inférieur.

14 La première façon concerne la conservation et la protection de l'intégrité de tout document: soit d'une perte (destruction), soit d'une modification (altération), soit d'une création ou d'un ajout (falsification). Ces actes sont interdits afin de permettre aux inspecteurs du Comité de remplir adéquatement leur mandat de surveiller et d'assurer l'observation du Décret sur le personnel d'entretien d'édifices publics de la région de Montréal ("Décret").[7]

18 Pour les motifs ci-après exposés, le Tribunal conclut que cette infraction n'exige qu'une intention générale d'accomplir un des actes prohibés, sans autre intention ou dessein.[9] Ainsi, l'élément intentionnel est présent dès qu'il est démontré qu'un défendeur a délibérément altéré un document ayant trait à l'application d'un décret, sauf dans le cas où son geste serait le résultat d'un accident ou d'une erreur.[10]

2. Distinction entre altérer et falsifier

23 Le Tribunal considère que le législateur québécois fait une nette distinction entre l'altération d'un document et sa falsification.

24 D'abord, comme le souligne le professeur Pierre-André Côté, le principe de l'effet utile en matière d'interprétation des lois enseigne qu'en :

« ... lisant un texte de loi, on doit en outre présumer que chaque terme, chaque phrase, chaque alinéa, chaque paragraphe ont été rédigés délibérément en vue de produire quelque effet. Le législateur est économe de ses paroles : il ne parle pas pour ne rien dire.»[15]

25 De plus, le sens ordinaire du mot "altérer" ne comporte pas l'idée de fausseté, mais bien celle d'une atteinte à l'intégrité d'un document :

"Altérer" : Modifier en mal la forme ou la nature de; détériorer. Changer la vraie valeur, la vraie nature de qqch; dénaturer.[16]

"Altérer" : Provoquer l'altération de. (Modifier, transformer). Changer en mal. (Abîmer, corrompre, gâter).[17]

26 C'est d'ailleurs le sens qui s'infère des articles 6 et 11 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information édictée par le même législateur :

Article 6. «L'intégrité du document est assurée, lorsqu'il est possible de vérifier que l'information n'en est pas altérée et qu'elle est maintenue dans son intégralité, et que le support qui porte cette information lui procure la stabilité et la pérennité voulue.

L'intégrité du document doit être maintenue au cours de son cycle de vie, soit depuis sa création, en passant par son transfert, sa consultation et sa transmission, jusqu'à sa conservation, y compris son archivage ou sa destruction.Dans l'appréciation de l'intégrité, il est tenu compte, notamment des mesures de sécurité prises pour protéger le document au cours de son cycle de vie.»

Article 11. «En cas de divergence entre l'information de documents qui sont sur des supports différents ou faisant appel à des technologies différentes et qui sont censés porter la même information, le document qui prévaut est, à moins d'une preuve contraire, celui dont il est possible de vérifier que l'information n'a pas été altérée et qu'elle a été maintenue dans son intégralité.»

27 C'est également le sens que l'honorable juge Benoît Emery, de la Cour supérieure, donne au mot "altérer" dans l'arrêt 9031-2265 Québec inc. c. Brûlotte, Savoie & Associés :

«[35] Mais pire encore, le défendeur a altéré certaines pièces avant de les remettre au tribunal. En remettant certaines copies de factures qu'il s'était engagé à communiquer, le défendeur a masqué la description du dossier.

[36] Le procureur en demande s'est aperçu du subterfuge lorsqu'à la suite de la signification d'un subpoena à des clients, ceux-ci lui ont fait parvenir leur propre copie des factures qu'ils avaient reçues en 2003 du défendeur Charles Brûlotte. À titre d'illustration, le tribunal réfère à la facture numéro 1002-2003 que Charles Brûlotte a fait parvenir à son nom à Niedner Limitée. Sur l'une des copies de cette facture on retrouve la description du mandat soit "dossier équité salariale" alors que sur l'autre copie, la description du mandat a été effacée. Il en est de même de la facture numéro 1019-2003 où apparaît la description du dossier soit "dossier équité salariale". Sur l'autre copie de cette même facture, Charles Brûlotte a fait disparaître la description du mandat.»[19]

28 Le Tribunal ne peut accepter la proposition de Speico à l'effet que l'altération et la falsification d'un document ne vise qu'une seule et même réalité. En effet, cette proposition ne tient pas compte de la présomption contre la suppression des termes applicables en interprétation des lois, tel que le souligne l'auteur Pierre-André Côté :

«Si la loi est bien rédigée, il faut tenir pour suspecte une interprétation qui conduirait soit à ajouter des termes ou des dispositions, soit à priver d'utilité ou de sens des termes ou des dispositions. Comme le rappelait récemment la Cour d'appel d'Ontario: "En général, un tribunal doit présumer que le législateur exprime ce qu'il veut dire et veut dire ce qu'il exprime.[15]»

[...]

POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

DÉCLARE la défenderesse coupable de l'infraction reprochée.


Dernière modification : le 6 mars 2017 à 15 h 20 min.