Extraits pertinents :

[1] Le demandeur et sa compagnie réclament au défendeur Samuel Kloda 1 145 616 $ pour des pertes subies à la bourse concernant des titres dont ils n'auraient pas autorisé l'acquisition. Ils allèguent aussi que les parties auraient conclu une entente selon laquelle le défendeur se serait engagé à lui remettre 400 000 $ pour le dédommager des pertes découlant des transactions non autorisées.

[86] Entre avril et octobre 2008, le demandeur a enregistré plusieurs de ses conversations téléphoniques avec le défendeur. Même si on n'y retrouve aucune preuve directe de la supposée entente du 9 septembre 2008, le demandeur situe néanmoins cet élément matériel au cœur de sa preuve.

[87] Au procès, le défendeur s'est objecté à la preuve de ces enregistrements audio. Le tribunal a procédé sous réserve. Il doit maintenant se prononcer sur cette objection.

[88] La présentation d'un élément matériel constitue un moyen de preuve reconnu par le Code civil. L'article 2854 C.c.Q. édicte :

2854. La présentation d'un élément matériel constitue un moyen de preuve qui permet au juge de faire directement ses propres constatations. Cet élément matériel peut consister en un objet, de même qu'en la représentation sensorielle de cet objet, d'un fait ou d'un lieu.

[89] En réplique à l'objection soulevée, le demandeur plaide que si le défendeur voulait contester l'authenticité et la fiabilité de l'enregistrement audio, il lui appartenait de faire une preuve en ce sens. Le tribunal ne partage pas cette opinion.

[90] Il incombe à la partie qui présente en preuve un élément matériel d'en établir l'admissibilité et la fiabilité. L'article 2855 C.c.Q. édicte :

2855. La présentation d'un élément matériel, pour avoir force probante, doit au préalable faire l'objet d'une preuve distincte qui en établisse l'authenticité. Cependant, lorsque l'élément matériel est un document technologique au sens de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information (chapitre C-1.1), cette preuve d'authenticité n'est requise que dans le cas visé au troisième alinéa de l'article 5 de cette loi.

[91] Le tribunal est d'avis qu'un enregistrement audio ne constitue pas un document technologique. Il s'agit toutefois d'un élément matériel qui doit faire l'objet d'une preuve distincte pour en établir l'authenticité et la force probante.

[92] Au procès, le tribunal a écouté ces enregistrements audio.

[93] Il ressort clairement de cette écoute que les enregistrements sont truffés d'interruptions, de coupures voire d'effacements volontaires ou non.

[94] Le demandeur affirme qu'il a procédé lui-même à ces enregistrements mais il n'a fourni aucune information crédible sur la façon dont il s'y est pris. Il est incapable d'expliquer les nombreuses interruptions et coupures sinon d'affirmer à quelques reprises qu'il « a dû peser sur un mauvais bouton ». De surcroît, le demandeur a parfois peine à situer ces conversations dans le temps.

[95] Il est vrai que certaines phrases prises isolément peuvent paraître incriminantes pour le défendeur mais d'autres extraits pris isolément semblent plutôt donner tort au demandeur. C'est notamment le cas lorsqu'on entend le défendeur dire :

Charles, I will get you back the money. I told you I wanna do trades, guaranteed trades, to get you back the money.

À un autre moment, on entend le défendeur dire :

Bit by bit, will have to do-start doing trades slowly where you're guaranteed profit and get the money back.

[96] Ces deux phrases semblent donner raison au défendeur en ce que le plan consistait à faire des transactions quotidiennes avec des profits peu élevés mais fréquents.

[97] C'est la preuve que ces extraits incomplets et parfois incohérents qui donnent tantôt raison au demandeur tantôt au défendeur, semblent dire tout et son contraire d'où l'obligation d'une preuve autonome de leur fiabilité et de leur authenticité.

[98] Dans la cause de Cadieux c. Service de gaz naturel Laval inc.[43], la Cour d'appel écrit :

Aussi, la production d'un enregistrement mécanique impose à celui qui la recherche, la preuve d'abord de l'identité des locuteurs, ensuite que le document est parfaitement authentique, intégral, inaltéré et fiable et enfin que les propos sont suffisamment audibles et intelligibles. Les conséquences d'une erreur dans l'appréciation du document subséquemment admis en preuve sont si importantes que le juge doit être « entièrement convaincu » pour reprendre les mots du juge Pinard dans Hercy c. Hercy (déjà cité). Cette conviction n'est certes pas régie par la règle du droit criminel; mais le juge devra ici exercer sa discrétion avec une grande rigueur.

Sans proposer de règles ou normes précises, laissant aux plaideurs le soin de faire leur démonstration, la preuve du requérant devrait néanmoins être conduite de manière à entraîner une réponse affirmative aux critères que j'ai énumérés plus tôt. Quant à celui à qui on oppose ce moyen de preuve, il devrait lui être possible, s'il le demande, d'obtenir le document pour l'examiner personnellement ou avec l'aide d'experts. Il appartiendra alors au juge de définir les conditions de cet examen afin d'éviter toute altération.

J'ajoute aussi que même si un document contenant une conversation rencontre les critères que j'ai énumérés, il pourra encore être écarté parce que non probant. Sans examiner la question à fond, puisqu'elle ne se pose pas ici, du moins pas encore, je signale qu'il est concevable qu'une partie n'enregistre qu'un ou quelques entretiens portant sur la même négociation ou, les ayant tous enregistrés, n'utilise que celui lui convenant, détruisant tous les autres. Il pourrait aussi arriver que l'on conçoive l'entretien pour provoquer ce qui pourrait être ensuite interprété comme un aveu. Au surplus, même en excluant ces situations plus exceptionnelles et quelqu'authentique, complet et fiable que soit l'enregistrement, il n'en demeure pas moins que parce que les propos sont secrètement recueillis, la position de l'opérateur-interlocuteur est nettement avantagée. Il peut même inconsciemment moduler son attitude, ayant à l'esprit qu'il pourra un jour être entendu. Aussi, les questions, les réponses, les affirmations, les négations, les silences pourront-ils être dirigés et contrôlés vers son objectif; car il sait qu'il se constitue une arme, ce que son interlocuteur ignore, dont il décidera seul de l'usage en fonction de ses seuls intérêts.

[99] Le demandeur n'ayant pas démontré à la satisfaction du tribunal la fiabilité et l'authenticité de ces enregistrements, l'objection du défendeur est maintenue.

[100] Le tribunal ajoute que même si cette preuve avait été admissible, il n'y aurait accordé aucune valeur probante. D'ailleurs, on n'y trouve aucune preuve directe d'un soi-disant engagement du défendeur pris le 9 septembre 2008 selon laquelle il promettait de dédommager le demandeur en lui versant 50 000 $ mensuellement jusqu'à concurrence de 400 000 $.

[165] POUR CES MOTIFS, le tribunal :

[166] REJETTE l'action de Charles Benisty et 9083-3260 Québec inc.;

[167] LE TOUT, avec dépens y incluant les frais d'expert de 10 347,75 $[64] pour la rédaction du rapport, la préparation du témoignage et la présence de Gilles Ouimet à la Cour.


Dernière modification : le 6 mars 2017 à 14 h 43 min.