Extraits pertinents:

Recevabilité de l’enregistrement

[39] D’abord, dans la mesure où le demandeur considère que cette conversation téléphonique contredit le témoignage de Mme Côté sur la question de l’existence des documents qu’il recherche, soit l’objet du présent litige, la Commission considère qu’elle est pertinente.

[40] Toutefois, seuls les extraits entendus lors de l’audience à partir de l’ordinateur portable du demandeur sont admis et jugés pertinents, compte tenu de l’utilisation que souhaite en faire le demandeur. De plus, l’entreprise n’a pas pu prendre connaissance du reste de la conversation enregistrée sur le DVD déposé par le demandeur et, au besoin, le contester ou administrer une preuve contraire. En conséquence, il n’est pas nécessaire de déterminer l’admissibilité en preuve du DVD au regard de l’objection relative à son intégrité.

[41] Reste toutefois l’objection de l’entreprise voulant que l’extrait de la conversation entendu lors de l’audience à partir de l’ordinateur portable ne soit pas admissible à la lumière des dispositions de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information.

[42] Il importe d’abord de rappeler que la Commission, à titre de tribunal administratif, est maître de sa procédure. Elle peut accepter tout mode de preuve qu’elle croit le mieux servir les fins de la justice[4]. Il est reconnu qu’en matière de justice administrative, un tribunal doit mener les débats avec souplesse, de façon à faire apparaître le droit et à en assurer la sanction. La Commission peut s’inspirer des règles de preuve et de procédure civiles sans y être formellement liée.

[43] Le demandeur a expliqué qu’il a enregistré la conversation téléphonique à l’aide du logiciel QuickTime, en reliant un dispositif à son téléphone et à son ordinateur portable.

[44] Par la suite, il s’est départi de cet ordinateur pour le remplacer par un nouveau de même marque, en avril 2012. Il a copié l’ensemble du contenu de son portable sur son nouvel ordinateur à l’aide du logiciel Toast Titanium. Les propriétés du fichier contenant l’enregistrement de la conversation téléphonique sur son nouvel ordinateur indiquent que le document original est daté de 1969.

[45] L’entreprise soumet que le demandeur n’a fourni aucune preuve quant aux mesures de sécurité prises pour protéger le document au cours de son cycle de vie et, par conséquent, n’a pas démontré son intégrité. Le demandeur n’a soumis aucune preuve préalable concernant les composantes du document ou les normes et standards techniques permettant d’assurer l’intégrité du document. L’entreprise ajoute que la copie de cet enregistrement faite de son ordinateur portable à un autre ne respecte pas les règles applicables permettant d’admettre en preuve ce document technologique qui constitue, à son avis, un transfert d’information vers un autre support.

[46] Soulignons d’abord qu’en vertu de l’article 7 de la LCCJTI, il n’y a pas lieu de prouver que le support du document permet d’assurer son intégrité, à moins que celui qui conteste son admissibilité n’établisse, par prépondérance de preuve, qu’il y a eu atteinte à son intégrité. Le demandeur n’avait donc pas besoin de faire une preuve particulière à moins que, comme en l’espèce, l’entreprise ne s’oppose au dépôt du document et tente de démontrer qu’il y a eu atteinte à son intégrité.

[47] Ensuite, la Commission ne croit pas que le fichier entendu lors de l’audience soit issu d’un transfert d’information vers un autre support faisant appel à une technologie différente au sens de l’article 17 de la LCCJTI. En effet, l’article 2841 du Code civil du Québec prévoit :

2841. La reproduction d'un document peut être faite soit par l'obtention d'une copie sur un même support ou sur un support qui ne fait pas appel à une technologie différente, soit par le transfert de l'information que porte le document vers un support faisant appel à une technologie différente. […]
(Nos soulignements)

[48] Ainsi, puisque l’enregistrement audio a été reproduit sur un même support (ordinateur portable) qui ne fait pas appel à une technologie différente, il s’agit plutôt d’une copie.

[49] L’article 15 de la LCCJTI prévoit les conditions à respecter afin d’assurer l’intégrité de la copie d’un document technologique :

15. Pour assurer l'intégrité de la copie d'un document technologique, le procédé employé doit présenter des garanties suffisamment sérieuses pour établir le fait qu'elle comporte la même information que le document source.

 

Il est tenu compte dans l'appréciation de l'intégrité de la copie des circonstances dans lesquelles elle a été faite ainsi que du fait qu'elle a été effectuée de façon systématique et sans lacunes ou conformément à un procédé qui s'appuie sur des normes ou standards techniques approuvés par un organisme reconnu visé à l'article 68.

 

Cependant, lorsqu'il y a lieu d'établir que le document constitue une copie, celle-ci doit, au plan de la forme, présenter les caractéristiques qui permettent de reconnaître qu'il s'agit d'une copie, soit par l'indication du lieu et de la date où elle a été effectuée ou du fait qu'il s'agit d'une copie, soit par tout autre moyen.

 

La copie effectuée par une entreprise au sens du Code civil ou par l'État bénéficie d'une présomption d'intégrité en faveur des tiers.

[50] En l’espèce, rien ne permet de croire que la copie du document ne comporte pas la même information que le document source. Le problème de datation du document n’est pas suffisant en soi pour remettre en question l’intégrité du document qui a été copié de manière systématique avec les autres fichiers contenus sur l’ancien ordinateur portable du demandeur. Au surplus, les deux interlocuteurs ayant participé à cette conversation téléphonique étaient présents à l’audience et n’ont pas mis en doute que l’extrait entendu correspond à leur conversation originale.

[51] De plus, l’élément que le demandeur souhaite présenter à titre de preuve est l’enregistrement d’une conversation téléphonique : il prétend que Mme Côté qu’il a interrogée à l’audience a fait une déclaration antérieure dans laquelle elle précise avoir consulté les documents qu’il recherche. L’article 2874 C.c.Q. prévoit spécifiquement :

2874. La déclaration qui a été enregistrée sur ruban magnétique ou par une autre technique d'enregistrement à laquelle on peut se fier peut être prouvée par ce moyen, à la condition qu'une preuve distincte en établisse l'authenticité.

 

Cependant, lorsque l'enregistrement est un document technologique au sens de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information (chapitre C-1.1), cette preuve d'authenticité n'est requise que dans le cas visé au troisième alinéa de l'article 5 de cette loi.
(Nos soulignements)

[52] L’article 5 de la LCCJTI prévoit :

5. La valeur juridique d'un document, notamment le fait qu'il puisse produire des effets juridiques et être admis en preuve, n'est ni augmentée ni diminuée pour la seule raison qu'un support ou une technologie spécifique a été choisi.

 

Le document dont l'intégrité est assurée a la même valeur juridique, qu'il soit sur support papier ou sur un autre support, dans la mesure où, s'il s'agit d'un document technologique, il respecte par ailleurs les mêmes règles de droit.

 

Le document dont le support ou la technologie ne permettent ni d'affirmer, ni de dénier que l'intégrité en est assurée peut, selon les circonstances, être admis à titre de témoignage ou d'élément matériel de preuve et servir de commencement de preuve, comme prévu à l'article 2865 du Code civil.

 

Lorsque la loi exige l'emploi d'un document, cette exigence peut être satisfaite par un document technologique dont l'intégrité est assurée.
(Nos soulignements)

[53] En l’espèce, Mme Côté reconnaît avoir eu la conversation téléphonique avec le demandeur. De plus, les deux interlocuteurs ont affirmé qu’il s’agissait de leur voix respective dans l’extrait de l’enregistrement entendu en audience et aucun d’entre eux n’a mis en doute la fiabilité ou l’authenticité des propos tenus dans cet extrait.

[54] Ainsi, tenant compte de la souplesse de mise dans la conduite de l’audience devant la Commission, de l’utilisation circonscrite que souhaite faire le demandeur de cet élément de preuve et de la présence des deux interlocuteurs qui ont confirmé tant leur identité que leurs propos, la Commission admet en preuve l’extrait de la conversation téléphonique entendu lors de l’audience.


Dernière modification : le 5 juin 2013 à 10 h 10 min.