Étudiants du cours DRT6903 8 novembre 2013 LCCJTI.ca, Sécurité

Par Claire Farnoux, étudiante dans le cadre du cours DRT 6903 (UdeM).

 

L’adresse IP ne constitue pas une preuve suffisante de l’auteur d’une suppression de données sur Wikipedia, a décidé la Cour d’appel de Paris le 3 octobre 2013. Il est intéressant de comparer cette décision avec un jugement relativement récent de la Cour du Québec qui avait également trait, quoique dans des circonstances différentes, à la valeur problématique de l’adresse IP en tant que preuve.

Le Tribunal de commerce accepte la preuve établie par l’adresse IP figurant sur la page Wikipédia :

La société Rentabiliweb (faisant affaire dans le micropaiement) a assigné la société Hi-media devant le Tribunal de commerce de Paris sur le fondement de l’article 1382 du Code civil français, pour dénigrement fautif. Elle se plaignait en effet de ce que la société Hi-media aurait entrepris des manœuvres sur un ensemble de sites web tendant à la discréditer, notamment en supprimant la référence à la société Rentabiliweb sur certaines fiches des sites Wipikedia et Boku (plate-forme de paiement par téléphone mobile).

Pour soutenir ses dires, la société Rentabiliweb avait produit l’historique des modifications apportées à la page Wikipedia dédiée au micropaiement le 8 juillet 2008. Dans celui-ci figurait l’adresse IP correspondant à l’ordinateur à l’origine de la suppression du référencement dont Rentabiliweb prétendait qu’elle provenait de Hi-Media.

Cette dernière prétendait quant à elle que la société Rentabiliweb se serait constituée une preuve à elle-même et avançait la possibilité du piratage de son adresse IP dans la mesure où la société Rentability web ne justifiait pas du processus utilisé pour parvenir à cette identification.

Le tribunal de commerce considère que :

« la jurisprudence ne s’oppose pas à la recherche des IP dans la mesure où cette connaissance ne donne pas accès à la personne qui utilise l’ordinateur visé. Dans la mesure où celui-ci était installé dans les locaux d’Hi-Media, le tribunal considère que Rentabiliweb apporte bien la preuve que c’est une personne agissant sous l’autorité de Hi-Media qui est l’auteur de la suppression ».

Il partage par ailleurs les torts entre les deux sociétés.

Un jugement infirmé par la Cour d’appel de Paris :

La société Hi-media a interjeté appel de cette décision devant la Cour d’appel de Paris,qui a infirmé le jugement. Selon la Cour, la demanderesse a bien subi un préjudice du fait de la la suppression du référencement sur Wipikédia et Boku, préjudice dont elle est fondée à en rechercher l’auteur. Cependant « la seule mention d’une adresse IP correspondant à un ordinateur de la société Hi-Média sur des documents non authentifiés » est insuffisante pour démontrer la réalités des faits alléguésElle approuve également l’argumentation de Hi-média, qui explique que le piratage d’une adresse IP est une manœuvre aisée et amoindrit donc considérablement la production d’une adresse IP comme preuve d’identification de l’auteur.

L’authenticité des documents produits :

On peut conclure de la décision de la cour que si l’authenticité des documents produits par la société Rentabiliweb avait été mieux établie, l’adresse IP aurait pu constituer une preuve valide de l’identité de l’auteur de la suppression des données sur les différents sites. On peut alors se demander ce qui constituerait, aux yeux de la Cour d’appel, un document authentifié. Elle reproche au premier document de n’être qu’un document(…) intitulé « Fiche de modification Wipikédia » , sur lequel il est  seulement indiqué « Le 9 juillet 2008 à 17H15 Rentabiliweb a été volontairement supprimé de Wipikédia par l’ip 84.14.140.23 », « sans que cette pièce soit authentifiée en ce qui concerne sa teneur et son origine ». Elle semble considérer qu’une capture d’écran ne constitue pas non plus un document authenthifié : «  la pièce 7 produite par la société Rentabiliweb intitulée « modification de Grunchbase », relative à la fiche Boku est une impression qui semble être celle du site crunchbase.com, sans que puisse être vérifiée l’authenticité des informations y figurant ».

Une trop grande sévérité de la Cour ?

On peut également supposer que La Cour d’appel serait parvenue à une solution différente si Rentabiliweb avait expliqué comment elle identifiait l’adresse IP à la société Hi-média, comme le relève Me Toporkoff : « Il aurait suffi de s’adresser à l’hébergeur du site de Hi-Media, et il est donc surprenant [que Rentabiliweb] ne l’ait pas fait. ». Il explique par ailleurs que l’arrêt fait preuve d’une sévérité excessive car « si la Cour a raison de considérer que les hypothèses de piratage de l’adresse IP sont « possibles », elle va trop loin en les considérant comme « plausibles » compte tenu du contexte de concurrence entre les deux entreprises ».

Cour du Québec: la seule adresse IP ne peut valoir comme preuve d’identification de l’auteur d’un courriel

En mai 2013, une affaire à poussé la Cour du Québec à se poser des questions similaires sur la validité de l’adresse IP comme pouvant constituer à elle seule, et à l’exception d’autres éléments, une preuve suffisante de l’identité de l’auteur d’un courriel.

 Dans cette affaire, aux termes d’une entente de règlement conclue à la suite d’un congédiement sans motif sérieux, le défendeur (M. Plamondon) s’était engagé à ne pas nuire à la demanderesse. Quelques mois plus tard, un employé de cette dernière a reçu un courriel dont le contenu l’a incité à présenter une démission non désirée par l’employeur, et qui d’après la défenderesse, lui a porté préjudice. Pour établir que M. Plamondon était bien l’auteur du courrier électronique fautif, la demanderesse avait produit l’adresse IP associée au courriel. Le tribunal retient que bien que M. Plamondon aurait pu être l’auteur du courriel, la simple production de l’adresse IP en constitue un preuve insuffisante car celle-ci, rappelle le tribunal, peut être tronquée ou piratée*.

Par ailleurs, la défenderesse ne présente pas de preuve matérielle laissée sur le disque dur de l’ordinateur de M. Plamondon et aucun élément de preuve ne permettait, d’après le tribunal, de conclure à la mauvaise foi d’Yves Plamondon dans toutes ses relations avec a défenderesse entre 2002 et le 16 janvier 2009.

On note qu’ici la Cour ne remet pas en cause l’authenticité des documents produits, et que la décision aurait pu être favorable à la demanderesse si elle avait pu prouver un comportement établissant la mauvaise foi de M. Plamondon. Les juges québécois semblent donc plus portés que les juges français à accepter la « preuve par l’adresse IP », pourvu qu’elle soit accompagnée d’un autre moyen de preuve : dans l’affaire Rentabiliweb, le contexte de concurrence et de tension entre les dirigeants des sociétés en cause transparaissait assez nettement.

* En effet, « un tiers aurait pu envoyer le message du 16 janvier 2009 en utilisant la connexion internet d’Yves Plamondon à une distance de 300 à 500 pieds puisque son ordinateur était muni d’un vieux routeur ou en affichant son adresse IP par le biais d’une connexion à une autre adresse IP de Vidéotron non utilisée. «