Développement

 

 Réduite à sa plus simple expression, la règle de l'article 2860 C.c.Q. impose au plaideur qui invoque un écrit d'en produire l'original au dossier de la cour. Il ne peut pas le conserver par devers lui et se contenter d'en présenter une preuve secondaire, par exemple en produisant une copie ou un témoin qui l'aurait lu. Ainsi, l'écrit original sera soumis à l'inspection de la partie adverse et du tribunal, et son contenu sera établi avec la plus grande certitude possible. Bien sûr, cette règle est sujette à diverses nuances, modalités et exceptions, que nous analysons dans ce fascicule. Elle est toujours connue sous le nom générique de « règle de la meilleure preuve » pour des raisons historiques que nous expliquerons un peu plus loin; considérant sa véritable portée, il serait désormais plus exact de la qualifier de « règle relative à la preuve du contenu d'un écrit » ou de « règle de la nécessité de l'original », l'appellation que nous privilégions dans ce texte.

L'original d'un écrit constitue la preuve la plus directe de son contenu et offre les meilleures garanties d'exactitude à cet égard. En outre, il peut difficilement être altéré sans laisser de trace. Au contraire, la déposition d'un témoin qui l'aurait lu soulève le risque qu'il l'ait « mal lu, ou mal compris, ou s'en souvienne mal, ou ne dise pas ce qu'il sait ». Plus l'écrit est long et complexe, plus ces problèmes sont exacerbés, puisqu'il est pratiquement impossible de se souvenir correctement des termes d'un document le moindrement étoffé. Quant à la production d'une copie, elle est de prime abord plus fiable qu'un témoignage, mais elle comporte elle aussi des risques d'erreurs, d'omissions ou de modifications, intentionnelles ou non, résultant du processus de reproduction. Si l'original est disponible, pourquoi se contenter d'une copie?

Ce qui nous amène au second fondement historique de la règle, soit la prévention de la fraude et du parjure. Comme l'écrit Langelier, si une partie veut prouver le contenu d'un écrit mais qu'elle n'en produit pas l'original, alors qu'il est disponible, « on a raison de soupçonner que c'est parce qu'elle sait qu'[il] est contre elle, ou bien qu'elle a, pour agir ainsi, quelqu'autre motif inavouable ». Cette crainte explique que, pour permettre la preuve secondaire d'un écrit, le tribunal doit être convaincu non seulement que la partie réclamante ne peut produire l'original malgré sa diligence, mais aussi qu'elle est de bonne foi -- c'est-à-dire, selon la décision qui a servi d'inspiration à cette exigence, « que la perte [de l'écrit] n'est pas un subterfuge pour pouvoir prouver plus que ce que l'écrit
contenait [...] ».

Enfin, la règle a une résonance particulière lorsqu'il s'agit de prouver un acte juridique constaté dans un écrit (bien qu'il soit clair qu'elle s'applique autant aux écrits non instrumentaires qu'aux écrits instrumentaires). En effet, si les parties ont pris la peine de rédiger un écrit pour constater un acte juridique, par exemple un contrat, c'était précisément pour s'en préconstituer la preuve et pour que l'acte lui-même puisse être soumis au tribunal en cas de litige. Le contrat n'est pas un fait comme un autre : il constitue «la loi des parties» et les termes précis qu'elles ont utilisés peuvent avoir une importance capitale sur le sort d'un litige, d'où l'importance d'avoir accès à l'original dans ce contexte, pour limiter au possible le débat sur le contenu obligationnel de l'acte juridique, avant même de déterminer s'il a été violé.

Nous présentons les principes relatifs à la règle de la nécessité de l'original telle qu'elle est énoncée à l'article 2860 C.c.Q. Cette disposition s'applique aux matières civiles et commerciales qui relèvent de la compétence législative de l'Assemblée nationale. Les matières qui relèvent de la compétence législative du Parlement fédéral sont soumises aux dispositions de la Loi sur la preuve au Canada, dont l'analyse excéderait la portée de ce fascicule. L'article 2860 C.c.Q. ne s'applique pas non plus aux affaires criminelles et pénales, même de compétence provinciale. Les litiges portés devant les tribunaux administratifs font en principe l'objet d'un régime de preuve autonome de celui prévu au Code civil, ce qui n'exclut pas nécessairement l'application de ce dernier.

Selon l'article 2860 C.c.Q., l'obligation de produire l'original s'impose dès lors qu'une partie cherche à prouver soit le contenu d'un écrit, soit un acte juridique constaté dans un écrit. Elle s'imposera aussi, par extension, lorsqu'il s'agit de prouver un acte ou un fait juridique nécessairement constaté dans un document officiel. Hormis ces cas, il n'existe aucune obligation de produire uniquement la « meilleure preuve » d'un fait en toutes circonstances.

Au risque d'énoncer l'évidence, on notera d'entrée de jeu que l'obligation de produire l'original d'un écrit présuppose son existence. L'article 2860 C.c.Q. n'a pas pour objet d'imposer la rédaction d'un écrit, mais seulement d'accorder préséance à l'original lorsqu'il existe. Souvent, la préexistence de l'original est manifeste des circonstances, par exemple si la preuve secondaire proposée est une copie. Il peut arriver cependant que l'affaire ne soit pas si limpide. Supposons une action en remboursement de prêt fondée sur le seul témoignage du demandeur : si le défendeur s'oppose à ce témoignage en vertu de l'article 2860 C.c.Q. et qu'il n'apparaît pas du dossier que le prêt a été constaté par écrit, alors le défendeur aura le fardeau d'en faire la démonstration, par prépondérance de preuve. À défaut, le tribunal doit rejeter l'objection fondée sur cette disposition. ” [MARSEILLE+LESCOP, 2010, #1-6]

 

 Les documents technologiques sont soumis à l'application des règles générales encadrant la recevabilité d'un élément de preuve, dont la règle de la meilleure preuve énoncée à l'article 2860 C.c.Q. L'adoption de la Loi a donné lieu à l'ajout d'un troisième alinéa à cet article afin de préciser dans quelles circonstances un document technologique pouvait répondre à cette exigence bien connue:

2860 . [...] À l'égard d'un document technologique, la fonction d'original est remplie par un document qui répond aux exigences de l'article 12 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information et celle de copie qui en tient lieu, par la copie d'un document certifié qui satisfait aux exigences de l'article 16 de cette loi.

Ce sont conséquemment les critères énoncés aux articles 12 et 16 de la Loi qui régissent la qualification d'un document technologique à titre d'original ou de copie qui en tient lieu.

 

12 . Un document technologique peut remplir les fonctions d'un original. À cette fin, son intégrité doit être assurée et, lorsque l'une de ces fonctions est d'établir que le document:
1° est la source première d'une reproduction, les composantes du document source doivent être conservées de sorte qu'elles puissent servir de référence ultérieurement;

2° présente un caractère unique, les composantes du document ou de son support sont structurées au moyen d'un procédé de traitement qui permet d'affirmer le caractère unique du document, notamment par l'inclusion d'une composante exclusive ou distinctive ou par l'exclusion de toute forme de reproduction du document;

3° est la forme première d'un document relié à une personne, les composantes du document ou de son support sont structurées au moyen d'un procédé de traitement qui permet à la fois d'affirmer le caractère unique du document, d'identifier la personne auquel le document est relié et de maintenir ce lien au cours de tout le cycle de vie du document.

Pour l'application des paragraphes 2o et 3o du premier alinéa, les procédés de traitement doivent s'appuyer sur des normes ou standards techniques approuvés par un organisme reconnu visé à l'article 68.

 

Le législateur n'y définit donc pas ce qu'est un document technologique original, mais plutôt les critères permettant au document technologique de remplir la fonction d'original.

 

2841 . La reproduction d'un document peut être faite soit par l'obtention d'une copie sur un même support ou sur un support qui ne fait pas appel à une technologie différente, soit par le transfert de l'information que porte le document vers un support faisant appel à une technologie différente.

Lorsqu'ils reproduisent un document original ou un document technologique qui remplit cette fonction aux termes de l'article 12 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information, la copie, si elle est certifiée, et le document résultant du transfert de l'information, s'il est documenté, peuvent légalement tenir lieu du document reproduit.

La certification est faite, dans le cas d'un document en la possession de l'État, d'une personne morale, d'une société ou d'une association, par une personne en autorité ou responsable de la conservation du document.

 

Cet article a pour effet d'établir une distinction entre deux types de reproductions. D'une part, une reproduction sur un support identique à l'original et, d'autre part une reproduction résultant du transfert de l'information depuis le support du document initial vers un support technologique différent. Dans le cas de la copie faite sur un même support, l'article subordonne son admissibilité à une certification, tandis que la production d'un document résultant du transfert de l'information d'un support à un autre, tel qu'une copie numérique d'un document papier faite à l'aide d'un numériseur, devra être accompagnée de la documentation faisant état du processus de transfert de l'information.

 

2842 . La copie certifiée est appuyée, au besoin, d'une déclaration établissant les circonstances et la date de la reproduction, le fait que la copie porte la même information que le document reproduit et l'indication des moyens utilisés pour assurer l'intégrité de la copie. Cette déclaration est faite par la personne responsable de la reproduction ou qui l'a effectuée.

Le document résultant du transfert de l'information est appuyé, au besoin, de la documentation visée à l'article 17 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information.

 

Contrairement à ce que plusieurs prétendent, sans doute pour justifier l'anachronisme de conserver du papier, la « documentation » requise n'exige aucun processus complexe ou lourd administrativement. En effet, l'article 17 de la Loi énonce:

17 . L'information d'un document qui doit être conservé pour constituer une preuve, qu'il s'agisse d'un original ou d'une copie, peut faire l'objet d'un transfert vers un support faisant appel à une technologie différente.

Toutefois, sous réserve de l'article 20, pour que le document source puisse être détruit et remplacé par le document qui résulte du transfert tout en conservant sa valeur juridique, le transfert doit être documenté de sorte qu'il puisse être démontré , au besoin, que le document résultant du transfert comporte la même information que le document source et que son intégrité est assurée.

La documentation comporte au moins la mention du format d'origine du document dont l'information fait l'objet du transfert, du procédé de transfert utilisé ainsi que des garanties qu'il est censé offrir, selon les indications fournies avec le produit, quant à la préservation de l'intégrité, tant du document devant être transféré, s'il n'est pas détruit, que du document résultant du transfert.

La documentation, y compris celle relative à tout transfert antérieur, est conservée durant tout le cycle de vie du document résultant du transfert. La documentation peut être jointe, directement ou par référence, soit au document résultant du transfert, soit à ses éléments structurants ou à son support.

 

Cette dernière phrase nous permet de conclure que, dans plusieurs cas, dont celui de la numérisation, les métadonnées feront foi de « documentation ». Il suffira que ces dernières comportent le modèle du numériseur et que le manuel d'instructions de ce dernier soit conservé. Ainsi, l'exercice permettant de passer au bureau sans papier ne requiert en fin de compte que la personnalisation, généralement fort simple, du numériseur utilisé afin qu'il intègre à l'image du document numérisé cette information. Par ailleurs, dans la majorité des entreprises, ces mêmes numériseurs exigent des usagers qu'ils s'identifient avant tout. Dans de telles circonstances, les informations identifiant cette personne pourront aussi être intégrées aux métadonnées de l'image en plus, entre autres, des dates, heures, durée et succès de la numérisation. On pourrait même prétendre qu'avec de telles informations, le témoignage de la personne ayant effectué la numérisation ou, à la rigueur, son témoignage a posteriori, pourrait remplacer la documentation.  [JAAR+DE RICO, 2008, #11-13]


Dernière modification : le 1 mai 2012 à 9 h 18 min.