Développement

 

[1] La Loi introduit la notion de cycle de vie - à sept occasions [Article 6] [Article 12] [Article 17] [Article 46] [Article 56] [Article 64] [Article 76] - et ce même si il s’agit d’un néologisme étranger au domaine du droit. Davantage, et à l’instar de celle d’intégrité, elle fait référence à des concepts de bibliothéconomie qui existaient déjà dans l’univers du papier [WIKIPEDIA, 2012, 59 révisions]. Néanmoins, il prend un sens tout particulier avec la généralisation du numérique, bouleversant les façons de faire.

« la transformation progressive des documents en documents numériques a également mis à mal la séquence « classique » du cycle de vie. De manière générale, la dématérialisation des documents implique la disparition de fait de l’étape des archives intermédiaires et par conséquent la nécessité d’attribuer un sort final dès la création du document numérique. Par ailleurs, il complexifie largement les différents états du document durant sa période active. » [WIKIPEDIA, 2012, 59 révisions]

Cette notion a ensuite été reprise au sein de plusieurs instances de nature juridique et notamment auprès de la CNUDCI qui l’utilisa pour l’intégrité des documents [ONU, 1996] mais également pour les signatures numériques [ONU, 2001]. Si l’on compare des législations comparables, et notamment le droit français, il faut noter qu’aucune référence expresse n’y ait faite à l’article 1316-1 CCF qui met de l’avant, comme l’article 6, la notion d’intégrité:

«L'écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l'écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité.» [1316-1 CCF]

Ceci dit, il est sans aucun doute possible de croire qu’elle est implicitement consacrée, l’intégrité devant être prouvée de la création du document jusqu’à sa destruction [CAÏDI, 2001, #130]. Un autre auteur affirme en effet ce point de vue, considérant que

« l’exigence d’un écrit sous forme électronique établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité permet d’appréhender l'écrit de la création de l'enregistrement informatique jusqu'à l'expiration de son délai de conservation et parfois sa destruction. Dès lors, la fonction intrinsèque d’intégrité de l’acte sous forme électronique est assurée pendant tout son cycle de vie. » [CAPRIOLI, 2001]

De façon totalement explicite en revanche, la référence au cycle de vie des documents peut être trouvée en ce qui a trait aux signatures numériques et notamment aux certificats numériques [ONU, 2001, #8 et #9]. Dans le Guide qui suit le document, une définition est d’ailleurs donnée, et ce, même si elle ne concerne que le cas spécifique des certificats numériques.

«La notion de « cycle de vie » du certificat doit être interprétée dans un sens large comme couvrant la période allant de la demande ou de la création d’un certificat jusqu’à son expiration ou sa révocation.» [ONU, 2001, #140].

[2] Même si les néologismes sont souvent problématiques en droit, au regard des précédents propos, il nous apparaît que la notion de cycle de vie est susceptible d’aider l’interprète juridique tant elle est en adéquation, d’une part, avec l’environnement numérique et, d’autre part, avec plusieurs autres termes que la Loi a mis de l’avant. Relativement au premier point, et conformément à ce que nous avons dit plus tôt, l’environnement numérique amplifie le besoin de penser la gestion du document dès la création de celui-ci. Il y a en effet une

«nécessité d’attribuer un sort final dès la création du document numérique.» [WIKIPEDIA, 2012, 59 révisions].

En deuxième lieu, un document doit désormais être pensé au regard de son externalisation, et ce, en toute conformité avec la notion de documentation que l’on retrouve à de multiples reprises dans la Loi. [Documentation] Ainsi, la preuve technologique fait en sorte que l’on ne peut plus se contenter de produire en preuve l’impression papier d’un document; aussi faut-il organiser minimalement la façon dont le cycle de vie dudit document est géré. Comme le disait le professeur Katsh:

« Paper contract is an act ; electronic contract is a process. » [KATSH, 1995]

[3] La notion de «cycle de vie» est particulièrement explicitée à l'article 6 qui, après avoir donné une définition de l’intégrité, élabore quant au caractère temporel de cette terminologie [Article 6]. En effet, si l’intégrité doit être maintenue tout au long du cycle de vie du document, cette disposition prend le soin de diviser ce dernier en sept étapes successives, et ce, conformément à une énumération qui semble exhaustive: la première est évidemment l’étape obligatoire de la création du document. La deuxième concerne le transfert tel que définit aux articles 17 et suivants de la Loi. Ainsi, relativement à la preuve de l’intégrité d’un document technologique qui aurait été transféré, il faut donc être en mesure de prouver le transfert lui-même (en l’occurrence en présentant une documentation tel que demandé à l’article 17 al. 2) mais aussi éventuellement les différentes étapes subséquentes du document technologique. À titre d’illustration, si une personne présente en preuve une impression papier (print out) d’un fichier «pdf», il lui faudra certes documenter l’impression; mais la preuve de l’intégrité pourra également être demandée, et ce, sous réserve des modalités de contestation qui prévalent par ailleurs (articles 89 al.4 CPC, 7 de la Loi, etc.) [Article 89 al. 4 CPC] [Article 7]. Un débat existe sur le fait de savoir si un tel document transféré est assujetti à l’article 89 al. 4 [ROYER+LAVALLÉE, 2008, #407]. La troisième étape qui est citée est celle de la consultation. Si cette opération est décrite aux articles 23 à 27 de la Loi, elle n’est pas supposée porter atteinte à l’intégrité du document. Plus exactement, la seule occurrence où l’on évoque cette notion est l’opération de garde prévue à l’article 26 où le prestataire doit s’assurer, notamment, de cette exigence. La quatrième opération qui doit être considérée comme faisant éventuellement partie du cycle de vie du document est la transmission. Elle est quant à elle développée aux articles 28 à 37 de la Loi. Le critère d’intégrité y est en effet développé, notamment à l’article 30, où une documentation doit justement être produite afin d’être en mesure de vérifier si l’intégrité est assurée. La cinquième étape envisagée à l’article 6 al. 2 est le terme assez général de conservation qui est quant à lui décrit aux articles 19 à 22. Dès l’article 19, la Loi dispose que l’intégrité est une condition fondamentale pour que le document puisse avoir une «valeur juridique» et notamment avoir une fonction probatoire. En effet, la personne en charge de la conservation doit

« assurer le maintien de son intégrité et voir à la disponibilité du matériel permettant de le rendre accessible et de l’utiliser aux fins auxquelles il est destiné. »

La sixième étape est la seule qui ne soit pas expressément citée dans la Loi, à savoir, la notion d’archivage. La conservation peut en certains cas être distinguée de la notion d’archivage dans la mesure où il est parfois entendu que cette dernière opération succède à la conservation dès lors que le document en cause ne devient plus actif [ROBERGE, 1992]. Cet auteur affirme en effet ceci:

« Archives (d’une organisation) : ensemble de document dont la valeur administrative en général ou la valeur financière ou légale en particulier est éteinte, qui ont une valeur de recherche ou de témoignage et qui doivent être conservés en permanence. » [ROBERGE, 1992, #261]

La conservation semble donc s’appliquer durant toute la vie « active » du document. L’archivage correspond à la période temporelle au-delà de la conservation [GAUTRAIS+TRUDEL, 2010]. Pourtant, cette vision ne semble pas compatible avec la Loi sur les archives qui entend s’occuper dans le cadre son application des documents « actifs », « semi-actifs » mais aussi « inactifs », conformément à ce qui est défini à son article 2. Là encore, il n’est pas toujours aisé de distinguer ce terme de celui de conservation [BEAUDRY+BOISMENU, 2000], mais si il semble en effet qu’une distinction ait été introduite dans la Loi, l’archivage est assurément une sous-catégorie de la conservation. Enfin, la septième et dernière opération citée dans le cycle de vie du document est la destruction. Cette destruction est notamment prévue, et autorisée, dans la section relative au transfert (article 20) dès lors qu’une documentation dûment complétée est effectuée au préalable. Ceci dit, la destruction est toujours possible dès lors que la durée de vie utile d’un document est terminée.


Dernière modification : le 10 mai 2012 à 15 h 54 min.