Table des matières :

1 – Écrits instrumentaires non signés

A – Admissibilité

i) Conditions liées à la notion d’entreprise

ii) Réception de l’autre écrit par autrui

iii) Avant la conclusion du contrat

iv) Prohibition de la preuve à soi-même

B – Force probante

2 – Écrits non instrumentaires

A – Admissibilité

i) Nature du témoignage

ii) Faits

iii) Contre son auteur

iv) Respect des règles relatives au témoignage

B – Force probante

i) Authenticité

ii) Liberté probatoire

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[1] Les autres écrits sont un moyen de preuve résiduel qui n’est ni un acte authentique ni un acte sous seing privé. À cette définition négative, on inclut dans ce sous-ensemble un peu « fourre-tout » deux grandes catégories de documents : les instrumentaires et ceux qui ne le sont pas ; dit autrement, il y a ceux qui sont préalables ou concomitants à la conclusion de l’acte et ceux qui surviennent postérieurement. Notons que cette dichotomie est parfaitement en accord avec l’élément de distinction qu’il nous semble possible de faire entre un écrit, un témoignage et un élément matériel, comme développé plus tôt . Une distinction qui se base sur le rapport au temps : l’écrit « préconstitue » pour le futur et le témoignage fait état d’une connaissance [DUCHARME, 2005, #435], d’une connaissance passée. En fait, la jurisprudence le montre, tout comme la doctrine, la distinction entre les autres écrits de 2831 C.c.Q. d’un côté et ceux de 2832 C.c.Q., voire 2833 et 2834 C.c.Q., de l’autre, est tout sauf aisée. Le professeur Ducharme ne manque d’ailleurs pas de souligner les décisions qui confondent, selon lui, les documents relevant de l’un et non de l’autre [DUCHARME, 2005, # 421 et 435]. Aussi, pour reprendre l’élément central de sa distinction entre ces deux dispositions, il utilise cette très jolie phrase qui établi que

« [l]'écrit instrumentaire procède de la volonté tandis que l'écrit non instrumentaire procède de la connaissance. » [DUCHARME, 1992, #32]

[2] Avec égard, la vision que nous souhaiterions développer s’exprime un peu différemment : selon nous, l’article 2831 C.c.Q. concerne un écrit au sens complet du terme qui, en plus de différences conditions à satisfaire que nous analyserons, est associé à une idée de préconstitution. De son côté, l’article 2832 C.c.Q. relève du témoignage c’est-à-dire d’une connaissance passée qu’une personne a d’un fait juridique. Préconstitution versus connaissance de faits passés : l’un regarde vers le futur et l’autre vers le passé. Nous les verrons successivement.

1 – Écrits instrumentaires non signés

[3] Comme tous les autres moyens de preuve, il est possible d’avoir des autres écrits technologiques. Le professeur Fabien en témoigne :

« Le document technologique qui sert de support à un acte juridique, sans que les parties ne l’aient signé, peut-il être qualifié d’écrit instrumentaire non signé ? Une réponse affirmative s’impose, malgré l’absence d’une disposition expresse à cet effet. [...] » [FABIEN, 2004, #554]

À titre d’exemple, cela semble d’ailleurs avoir été reconnu par la jurisprudence dans l’affaire Croustilles Yum Yum c. Intexvin Inc. [2004 QCCS 20457, #100 et suiv.], où des données informatiques d’une entreprise semblent acceptées en preuve. Voyons d’abord les conditions relatives à son admissibilité (A) pour ensuite envisager la force probante de tels documents (B).

A – Admissibilité

[4] La première catégorie de ces autres écrits que nous souhaitons envisager dans une perspective technologique est l’article 2831 C.c.Q. . De droit nouveau, il y a néanmoins toujours eu des règles particulières pour les activités commerciales , comme dans d’autres juridictions d’ailleurs [CHASSE, 2007, #141]. Quant à ses conditions d’application relatives à l’admissibilité de ce moyen de preuve, qui sont au nombre de trois [ROYER + LAVALLEE, 2008, #398] ou quatre [DUCHARME, 2005, #420] selon les auteurs, nous décelons un assez grand nombre de difficultés interprétatives qu’il nous importe de traiter l’une à la suite de l’autre. Pour ce faire, et dans la mesure où l’application de cette disposition est tout sauf simple [FABIEN, 2004, #554], prenons pour fin d’illustration un cas pratique assez proche de l’hypothèse qui fut traitée dans l’affaire Sécurité des Deux-Rives [Sécurité des Deux-Rives ltée c. Groupe Meridian construction restauration inc.]: un courriel veut être mis en preuve afin de faire état de son envoi par l’une des parties afin de mettre fin à un contrat d’entreprise qui avait été conclu préalablement entre les cocontractants. Tout en sachant que d’autres dispositions pourraient parfaitement être utilisées, telles que notamment l’article 2826 C.c.Q. ou l’article 2832 C.c.Q. , n’y aurait-il pas moyen en pareil cas d’invoquer aussi l’article 2831 C.c.Q. ? Un autre élément de difficulté auquel les technologies sont susceptibles de nous confronter est que les parties peuvent être face à une « double preuve » : il y aura à prouver le courriel à proprement parler faisant prétendument état de la cessation du contrat et la documentation qui explicitera comment le premier fut géré durant tout son cycle de vie [Cycle de vie]. En utilisant cette illustration, il nous semble que quatre questions sont susceptibles de se poser, particulièrement dans le contexte technologique qui nous intéresse.

i) Conditions liées à la notion d’entreprise

[5] Avec l’article 2831, le C.c.Q. entend faciliter, une fois de plus , la mise en preuve de documents sur lesquels on peut se fier. À cet égard, cette confiance est due sans aucun doute à une contrepartie à satisfaire et selon laquelle cela concerne des documents « habituellement utilisé[s] dans le cours des activités d’une entreprise ». Cet adverbe indique donc que cette permissivité se comprend à condition que cela concerne des documents dont il est possible de constater la répétition, le caractère systématique et le sérieux que l’on est normalement en mesure d’attendre d’une organisation ayant une activité d’entreprise [ROYER, 2003, #1110]. Une activité d’entreprise qui de surcroît doit provenir d’une institution dont le seuil d’organisation est suffisant pour le distinguer d’une autre plus artisanale [C.c.Q., art. 1525 al.3]. Ainsi, ce n’est logiquement pas tous les documents d’entreprise qui seront ainsi admissibles mais seulement ceux qui sont en accord avec l’objet même de celle-ci [DUCHARME, 2005, #423 et 1056]. Ainsi, dans le monde papier, on comprend aisément que des bordereaux de paie, des factures, sont autant de documents admissibles tout comme un simple document agrémenté d’une mention manuscrite ne peut l’être [ROYER + LAVALLÉE, 2008, #398]. En résumé, le document traité par 2831 C.c.Q. doit 1) provenir d’une organisation ayant un seuil d’organisation suffisant ; 2) concerner un document ayant un lien direct avec l’activité de l’entreprise et 3) un document qui a été géré de façon systématique, avec un certain professionnalisme.
[6] Dans un environnement technologique, la question va se poser avec d’autant plus d’acuité que l’on fait généralement face à une pléthore documentaire et face à des documents qui encore une fois sont plus faciles à altérer . L’utilisation de ce moyen de preuve ne pourra donc se faire que si l’on est capable de constater un certain niveau de diligence dans la conservation du document que l’on souhaite mettre en preuve. Une diligence qui pourra être évaluée tant quant au document représentant le courriel que dans la documentation qui pourrait l’accompagner. En revanche, cette documentation dont nous ne saurions dire assez combien elle est déterminante et adaptée au monde technologique est susceptible de poser problème vis-à-vis des autres conditions associées à l’application de l’article 2831 C.c.Q.

ii) Réception de l’autre écrit par autrui

[7] Pour que l’article 2831 C.c.Q. puisse être considéré, il importe de satisfaire d’autres conditions dont l’application stricte aurait pour effet d’empêcher justement la mise en preuve de documents tels que le courriel ou la documentation évoqués plus tôt. Une des conditions qui est expressément mentionnée par le professeur Ducharme pour l’application de l’article 2831 C.c.Q. est que le document ne peut être utilisé que dans l’hypothèse où cela s’effectue contre l’auteur du document.

« il faut que l’écrit soit en la possession d’une personne à qui il a été délivré pour constater un acte juridique. Cette condition résulte de l’article 2835 C.c.Q. qui déclare que celui qui invoque un écrit non signé doit prouver que cet écrit émane de celui qu’il prétend en être l’auteur. La délivrance ici tient lieu de signature, celle-ci faisant présumer le consentement. »[DUCHARME, 2005, #424]

Avec égard, l’article 2835 C.c.Q. ne devrait pas selon nous être exactement compris de la sorte [DUCHARME, 2005, #428]. En effet, la lettre de cette disposition ne prend pas le soin de mentionner qu’il faille prouver « contre son auteur » mais simplement prouver l’auteur du document. Il s’agit en fait de seulement prouver l’authenticité du document [TESSIER + DUPUIS, 2009, #250], son auteur, son origine [ROYER + LAVALLÉE, 2008, #400]. On est d’ailleurs dans une situation pas si distincte de celles des articles 2832, 2833 et 2834 C.c.Q. où la mention « contre l’auteur » bien que plus explicite ne s’applique selon nous que dans le cas d’un aveu . Plusieurs décisions prennent d’ailleurs le soin de confirmer l’admission en preuve de relevés bancaires . Dans l’exemple nous servant d’illustration, il importerait donc d’identifier l’auteur du courriel, et pour ce faire, une éventuelle documentation pourrait être utilisée pour étayer cette prétention.

iii) Avant la conclusion du contrat

[8] Implicitement, l’article 2831 C.c.Q. traite de documents dont la confection est préalable ou concomitante à la conclusion de l’acte juridique. Comme nous l’avons signalé dans l’introduction de la présente Section 3, il en va de la notion même de préconstitution qui est le propre de l’écrit . Aussi, cette disposition correspond à la situation classique où un document est transmis à une personne, sa tradition lors de la conclusion de l’acte juridique étant l’équivalent d’une signature [DUCHARME, 2005, #424]. Ceci dit, nous avons montré dans le paragraphe précédent qu’il n’y a pas que cette situation qui tombe sous l’égide de l’article 2831 C.c.Q. Aussi, il importe de s’interroger sur le fait de savoir si un document confectionné postérieurement à la conclusion pourrait convenir. Le professeur Ducharme est catégorique : c’est impossible dans la mesure où « l’écrit doit être l’instrument par lequel le consentement à l’acte en question s’est exprimé » [DUCHARME, 2005, #422]. Cela semble être aussi le cas pour les professeurs Royer et Lavallée [ROYER + LAVALLÉE, 2008, #397], et ce, même si cette évolua à travers le temps . Les commentaires du ministre, pourtant, se voulaient plus inclusifs . Plusieurs décisions vont également admettre que des relevés postérieurs peuvent être utilisés en preuve [DUCHARME, 2005, #422]. Aussi, au-delà du flou en la matière qui bénéficierait grandement d’un arrêt de principe de la part d’une cour supérieure, ce qui au meilleure de notre connaissance n’est pas encore le cas, notons que la documentation qui peut être utilisée pour étayer la preuve du courriel en cause, conformément à notre exemple, sera généralement préalable à l’acte juridique. Plus exactement, si sa création sera préalable à l’acte juridique en cause, il n’en demeure pas moins que le document technologique devra avoir son intégrité prouvée dans la durée ; une interprétation rigoriste de cette disposition se concilierait donc difficilement avec l’obligation de prouver l’intégrité durant tout le cycle de vie du document [Article 6]. Ainsi, nous l’avons vu, cela implique que l’intégrité devra être assurée de la création du document (à savoir, dans notre exemple, du moment où l’envoi du courriel est effectué) jusqu’au moment présent où celui-ci est présenté au juge. Il est donc difficile de prouver le présent avec de seuls faits passés…

« Paper contracts bind parties to an act. The electronic contract binds parties to a process » [KATSH, 1995]

Sans faire de cette citation plusieurs fois utilisée dans le présent ouvrage un mantra qui modifia en profondeur le droit de la preuve, notamment, il nous apparaît pourtant que l’omniprésence de la notion de processus dans le fait technologique a pour effet de modifier le rapport au temps.

iv) Prohibition de la preuve à soi-même

[9] De tout temps, une suspicion exista relativement à la preuve concoctée par celui qui souhaite l’alléguer, croyant, souvent à juste titre, qu’elle serait susceptible de porter atteinte à deux fondements essentiels du droit de la preuve que sont vérité et sécurité [TERRÉ, 1994, #484]. Bien que le principe ne soit pas présent en tant que tel dans la jurisprudence québécoise , à la différence de ce qui se passe en France , on le retrouve à l’occasion dans les dispositions relatives aux autres écrits non instrumentaires [C.c.Q., art. 2832-2834] et à l’aveu [C.c.Q., art. 2850], et ce, même si la mention « contre l’auteur » ne vaut, selon nous, que pour l’aveu . Depuis déjà longtemps donc, et à titre d’exemple, il est admis que :

« [l]es livres de commerçants ne font, par ailleurs, aucune espèce de preuve en leur faveur, servant au plus d’indices ou de présomptions qu’ils leur faut compléter par une autre preuve plus concluante. » [NADEAU + DUCHARME, 1965, #389; KÉLADA, 1986, #89]

Cette suspicion se matérialise par l’adage selon lequel « nul ne peut se faire de preuve à soi-même » ; plus exactement, conformément aux écrits de Pothier [POTHIER, 1818, #751], « nul ne peut se faire de titre à soi-même » ; ce qui est déjà une manière de comprendre ce principe de façon plus étroite, en l’appliquant aux seuls actes juridiques et non aux faits juridiques [Mouly-Guillemaud, 2007, #3]. Une formule d’ailleurs reprise dans la doctrine [DUCHARME, 2005, #421; ROYER + LAVALLÉE, 2008, #395].

[10] Néanmoins, toute règle, tout aussi fondée qu’elle puisse être, ce qui n’est pas le cas ici, n’est pas « neutre » et est susceptible de contreparties qui ne sont pas sans écueils. L’un de ceux qui se présente en tout premier lieu est l’appréciation des juges qui sont évidemment tout à fait aptes à « sentir » la portée des documents qui leur sont présentés [Mouly-Guillemaud, 2007, #16]. Une portée trop absolue de ce principe aurait donc assurément pour effet de manquer de cette souplesse que le droit de la preuve réclame en bien des cas ; le droit de la preuve est en effet programmé pour offrir une « politique de faveur à l'intime conviction » [Théry, 1996, #47] et qui de mieux que les juges du fond pour apporter cette appréciation. Ensuite, deuxièement, relativement aux actes juridiques, il n’y pas lieu de se priver de preuves qui en bien des cas sont d’une véracité qu’il est difficile de nier. Les relevés bancaires d’ailleurs, pour reprendre cet exemple, bénéficient en droit fédéral, d’un régime d’admissibilité favorable [Loi sur la preuve au Canada, art. 29]. En troisième lieu, le rejet de cet adage se justifie de par la donne technologique à proprement parler qui modifie la dynamique probatoire. Nous en avons parlé à plusieurs reprises, l’omniprésence de l’extériorisation de la preuve illustre l’importance de ce que nous avons dénommé la documentation . Autrefois fixé dans la garantie de la matière physique que constitue le support papier, la preuve technologique est plus apte à s’appuyer sur le processus de gestion du document, et ce, durant sa durée de vie active, son cycle de vie. À ce propos, d’ores et déjà, les parties diligentes génèrent des preuves qu’elles pourraient utiliser le temps venu, si besoin était [HUET, 1989, #1].

« Au demeurant, il faut bien reconnaître que dans la pratique, chacun se ménage des preuves qu'il entend produire le jour venu afin d'emporter la conviction du juge ». [Gutmann, 1997, #19]

Ces preuves seraient d’ailleurs d’autant plus fiables qu’elles auraient été programmées lors de la conclusion de l’acte juridique, leur véracité étant d’autant plus avérée qu’elles sont concomitantes avec les faits. Enfin, en quatrième lieu, la mise de côté de ce principe va à l’encontre de la liberté probatoire qui prévaut généralement en matière commerciale. Face à autant d’arguments qui s’ajoutent à une base légale pour le moins fragile, il nous apparaît donc impérieux de prendre certaines distances avec cet adage relevant plus de l’imaginaire juridique que du droit positif.

[11] En résumé, vous l’aurez compris, l’interprétation qui est proposée ici se veut globalement permissive (mis à part peut-être quant à la notion d’activité d’entreprise) tant nous croyons que de tels écrits instrumentaires non seulement sont dignes de foi et correspondent à une réalité courante dans le monde des affaires, notamment des affaires électroniques. Également, cette tolérance est conforme à une faveur généralisée des juges vis-à-vis des documents technologiques. Encore, il serait illogique de ne pas favoriser l’admission de tels documents technologiques non signés alors que la reconnaissance des actes sous seing privé l’est, et ce, du fait notamment d’une admission souvent élargie de ce qu’est une signature . Dit autrement, ce régime de permissivité qui est associé aux autres écrits instrumentaires prend sa base dans la fiabilité que l’on peut associer aux activités répétitives et systématiques propres aux activités d’entreprise ; de la même manière que le régime des actes sous seing privé bénéficie d’une présomption du fait de celle que l’on peut légitimement accorder à la signature. Il est difficile de croire que l’on ne puisse reconnaître et intégrer juridiquement la diligence d’une partie qui aurait mis en place une documentation dont les juges pourront évaluer de la pertinence. Cette faveur s’explique aussi de par le fait que dans de multiples situations, comme celle que nous avons proposée, impliquant un courriel et sa documentation afférente, il nous semble plus cohérent de passer par l’article 2831 C.c.Q. que par le suivant portant sur des déclarations relatives à un fait. Alors que le premier envisage la situation d’un écrit préconstitué, le second traite davantage d’une déclaration assimilable à un témoignage relatif à un fait juridique.

B – Force probante

[12] Plus rapidement, nous souhaitons ajouter quelques mots quant à la force probante dont les écrits instrumentaires bénéficient. Trois types d’éléments sont à développer à cet égard. En premier lieu, il est généralement consacré que ce moyen de preuve bénéficie d’une présomption de fiabilité [ROYER + LAVALLÉE, 2008, #400], de contenu , qui prend sa source dans l’article 2836 C.c.Q. [C.c.Q., art. 2836] . Il n’y a pas en revanche une présomption d’intégrité en tant que tel, comme pour les autres moyens de preuve d’ailleurs. D’une façon moindre au régime applicable aux actes sous seing privé [C.c.Q., art. 2863], un régime favorable propose ainsi un renversement du fardeau de la preuve.

[13] En deuxième lieu, et comme tous les moyens de preuve, il importe de faire la preuve de l’auteur et de l’intégrité du document. D’abord, le lien avec l’auteur est clairement établi à l’article 2835 C.c.Q. [C.c.Q., art. 2835] et se matérialise souvent sous l’appellation de preuve d’authenticité [TESSIER + DUPUIS, 2009, #250]. Une preuve d’authenticité qui très souvent inclut dans la compréhension qui est faite par certains de la condition d’intégrité . Qu’importe l’appellation utilisée, il apparaît clair que le cumul de ces deux conditions s’impose pour faire la preuve de cet autre écrit, et ce, même si un doute aurait pu survenir à la lecture de l’article 2838 C.c.Q. En effet, cette disposition qui est de droit nouveau a pris le soin de mentionner les écrits qui se doivent de satisfaire à la condition de l’intégrité mais omet dans son énumération, justement, les autres écrits  [C.c.Q., art. 2838]. Cet oubli peut surprendre eu égard au caractère central de ce critère. Néanmoins, nous croyons qu’il est possible d’expliquer cette omission dans la liste des moyens de preuve qui requiert la satisfaction du critère de l’intégrité par le fait que la preuve des autres écrits est libre selon l’article 2835 C.c.Q. Il serait en effet complètement illogique que les écrits instrumentaires non signés ne puissent être sur support technologique, en contravention de ce que sous-entend l’article 2837 C.c.Q. [FABIEN, 2004, #555] Également, l’absence de référence à l’auteur n’a pas été reprise à l’article 2838 C.c.Q. dans la mesure où elle existe déjà dans le régime général des autres écrits ; point besoin par conséquent de le répéter spécifiquement pour les écrits technologiques.

[14] En troisième lieu, il faudra évidemment que l’écrit instrumentaire non signé fasse preuve de la volonté des parties. Et la signature n’est évidemment pas le seul procédé pour manifester une telle volonté [DUCHARME, 2005, #428]. Si le dessaisissement de l’écrit est le « comportement » habituel pour que cette manifestation se matérialise, il n’en constitue pas le moyen unique. Eu égard au silence du C.c.Q. à ce sujet, nous croyons que cette preuve est libre [DUCHARME, 2005, #427] et peut être déduite notamment du contenu de l’écrit mais également du comportement des parties.

2 – Écrits non instrumentaires

[15] Le C.c.Q. en 1994 a introduit, ou plutôt a précisé [ROYER + LAVALLÉE, 2008, #378], une variété de moyens de preuve qui vise à faciliter la mise en preuve de certains écrits que l’on dénomme non instrumentaires, ou simples écrits. De la même façon que pour les précédents écrits, instrumentaires, il nous semble possible de tenir un discours d’ouverture envers ce moyen de preuve. Le professeur Fabien, dans un plaidoyer à cet égard, croit que les modifications du C.c.Q. et du C.p.c. visaient justement à un élargissement des exceptions à la prohibition du ouï-dire [FABIEN, 2012] ; mais ce projet d’ouverture a échoué. La sacralisation du témoignage judiciaire a fait son œuvre et l’admission de témoignage « écrit » est selon Claude Fabien sujette à délais, complexité, lourdeurs. Ceci est d’autant plus problématique qu’avec les technologies, la survenance de ce type de documents a sans doute augmentée :

« [L]es progrès des technologies de l’information ont changé la donne. Elles sont couramment utilisées pour mémoriser des faits et même pour en produire. Qu’une objection de ouï-dire puisse être opposable à la mise en preuve de ces faits par le truchement de documents technologiques semblait être une règle dépassée. » [FABIEN, 2012]

Sans rentrer dans le débat fort complexe de la solution la plus efficace entre oralité et écriture en procédure civile , nous allons simplement envisager l’admissibilité de ces simples écrits et ensuite leur force probante, particulièrement dans une perspective technologique.

A – Admissibilité

[16] De la même manière que pour les écrits instrumentaires, il nous semble important de développer les conditions d’admissibilité des simples écrits et notamment celles qui sont susceptibles de poser problème avec le passage au monde technologique. Les conditions d’admissibilité sont identifiées à l’article 2832 C.c.Q. : trois conditions son explicites ; une autre est que ce moyen de preuve relève davantage du témoignage et il n’est donc pas, en dépit de sa place dans le livre 7 du C.c.Q. (Titre 2, Chapitre 1) à proprement parler un écrit. Nous ne traiterons pas de l’hypothèse des articles 2833 et 2834 C.c.Q. qui portent respectivement sur des « papiers domestiques » et des « mentions libératoires » qui sont des cas particuliers de la définition plus générale d’écrit non instrumentaire qui apparaît à l’article 2832 C.c.Q. Nous ferons simplement état de la divergence de vue selon laquelle 2832 C.c.Q. porterait sur des documents émanant d’une entreprise alors que 2833 C.c.Q. ne traiterait que de documents provenant de particuliers [ROYER + LAVALLÉE, 2008, #390 et 397; contra DUCHARME, 2005, #453].

i) Nature du témoignage

[17] Le professeur Ducharme l’exprime avec vigueur :

« L’écrit non instrumentaire, par son contenu, participe de la nature du témoignage. » [DUCHARME, 2005, #441]

Cette qualification explicite que l’on retrouve dans le C.c.Q. nous ramène à envisager encore une fois la différence de nature entre l’écrit et le témoignage . Une distinction qu’il n’est pas toujours facile de faire et que la jurisprudence d’ailleurs effectue difficilement. À titre d’exemple, dans l’affaire Wawanesa [GMAC Location Ltée c. Cie. mutuelle d'assurance Wawanesa], où le juge se limite à qualifier le document de technologique, ce qui est insuffisant, le formulaire rempli par un assureur suite aux dires de l’assuré, serait un témoignage sujet à l’application de l’article 2832 C.c.Q. [FABIEN, 2004, #559]. Quelques jurisprudences sont donc relevées par la doctrine et font état de doutes interprétatifs [DUCHARME, 2005, #435], notamment quant à la délimitation entre les articles 2831 et 2832 C.c.Q. Bien qu’il y ait un je-ne-sais-quoi d’hybride dans ce moyen de preuve, nous allons tenter de revenir sur le moyen de les distinguer.

[18] En premier lieu, notre distinction centrale prétend que l’écrit est une préconstitution pour le futur alors que le témoignage fait état de faits passés . Il y a donc un rapport au temps qui diffère entre les deux : l’écrit vaut pour le futur et le témoignage pour le passé. Présenté autrement, on peut affirmer que l’écrit a un double rôle : communicationnel et documentaire [ESCARPIT, 1973]. De son côté, le témoignage s’il est également un outil de communication n’a pas pour fonction de documenter mais d’informer. Il traduit davantage la connaissance d’une personne. En deuxième lieu, cette fonction de documentation telle qu’identifiée par l’auteur Escarpit comme moyen de caractériser l’écrit doit être considérée comme ayant une raison d’être d’abord et avant tout juridique. Ainsi, documenter, cela sert à prouver l’existence et le contenu d’un document et accessoirement à identifier l’existence d’un formalisme que la loi attache à la validité de celui-ci.

[19] Concrètement, il est donc normal de considérer que le calepin d’un professionnel pour faire état de ventes passées avec autrui soit considéré comme étant un témoignage et de ce fait soit assujetti à l’article 2832 C.c.Q. [DUCHARME, 2005, #435]. Au-delà de sa fiabilité réduite, il n’y a pas tant dans cette manière de faire une volonté préconstitutive qu’une démarche d’aide-mémoire que l’on puisse faire pour soi-même. Cette mention, au même titre qu’une annotation manuscrite, est une sorte de prolongation de sa mémoire, de sa propre connaissance. Nous sommes donc bien face à un « écrit » non instrumentaire. Aussi, en l’espèce, l’ « écrit » de 2832 C.c.Q. réfère davantage à un document qui utilise l’écriture pour communiquer qu’un « véritable » écrit auquel est normalement attaché une idée de préconstitution. D’ailleurs, le C.c.B.-C. était plus explicite à cet égard ; plus juste . Il référait davantage à l’écrit en tant qu’adjectif (c’est-à-dire référant à l’utilisation de l’écriture) qu’en tant que nom (à savoir un écrit à part entière) [SENÉCAL, 2012, #6]. Selon notre élément de distinction, un écrit non instrumentaire est donc un barbarisme et un écrit instrumentaire est un pléonasme.

[20] La distinction est un peu plus délicate pour les registres constitués par une entreprise par exemple. Si ces derniers sont en effet généralement considérés comme de simples écrits [ROYER + LAVALLÉE, 2008, #390 et 397], sauf exceptions , leur préconstitution n’est pas associée à une fin juridique, probatoire ou formelle, mais davantage à une justification d’un fait de nature fiscale, financière, administrative, comptable ou autre. C’est la raison pour laquelle ils sont généralement considérés comme des « écrits » non instrumentaires . Les professeurs Royer et Lavallée précisent même leurs pensées relativement à ces registres d’entreprise :

« il est douteux que les documents qui sont rédigés après la formation ou l'exécution d'un contrat et qui relatent des opérations juridiques antérieures soient réglementés par cet article. Une interprétation littérale et rationnelle des termes « écrit utilisé pour constater un acte juridique » devrait plutôt nous inciter à conclure que l'article 2831 C.c.Q. requiert que le document soit rédigé lors de la formation ou de l'exécution d'un contrat. L'écrit qui relate une opération juridique antérieurement conclue ou exécutée est une forme de témoignage. Il rapporte un fait au sens de l'article 2832 C.c.Q. » [ROYER + LAVALLÉE, 2008, #397].

La préconstitution est donc là encore l’élément déterminant qui permet de distinguer la sorte d’autre écrit, à savoir, celui qui est un écrit et celui qui tient du témoignage.

[21] Un autre questionnement qu’il importe de se poser est sur le fait de savoir si une documentation liée à un document – qu’importe le procédé de preuve (acte sous seing privé, acte instrumentaire non signé, etc.) ou la sorte de document (page internet, courriel, « .pdf », etc) – pourrait se voir attribuer la qualification de simple écrit ? En d’autres mots, cette documentation est-elle assimilable aux registres commerciaux précités ? Selon nous, non. La documentation vise par essence à satisfaire un objectif de préconstitution. C’est la raison pour laquelle c’est bien davantage sous la rubrique des écrits instrumentaires non signés, tels que définis à l’article 2831 C.c.Q., que devra généralement rentrer ce type de documents.

[22] Il existe en revanche d’autres hypothèses où l’on peut très bien avoir de simples écrits technologiques. À titre d’exemple, la jurisprudence fait état de pages internet de certains sites [Cintech Agroalimentaire, division inspection inc. c.Thibodeau], d’extraits de pages issus du site Google Maps [GAUTRAIS + GINGRAS, 2012, #36], de courriels, etc., où des documents font état d’une connaissance donnée. Les captures d’écran devraient selon nous répondre davantage à la définition d’élément matériel . De façon plus générale, il est également possible pour une institution de se confectionner des « preuves » relativement, par exemple, au comportement d’un employé.

ii) Faits

[23] Même s’il n’y a pas de lien direct avec le fait technologique, il importe d’ajouter que la référence aux faits juridiques qu’apporte l’article 2832 C.c.Q. doit être envisagée avec une certaine souplesse. En effet, cette « connaissance » propre au témoignage – ou à l’aveu – doit s’entendre largement en considérant notamment qu’il puisse s’appliquer à un acte juridique.

« L’expression «écrit qui rapporte un fait» désigne un écrit qui exprime la connaissance d’un fait. Un écrit rapporte un fait lorsqu’il est le moyen par lequel une personne exprime sa connaissance d’un fait donné, que ce fait soit un acte juridique ou un fait matériel. » [DUCHARME, 2005, #435]

Contrairement aux commentaires du ministre à ce sujet , il semble en effet que cette vision englobante nous amène à considérer le mot « fait » dans son sens générique, d’autant qu’il est tout à fait possible d’avoir des déclarations écrites relatives à un acte juridique qui ne rentre dans la définition d’aucun des autres articles relatifs aux autres écrits, c’est-à-dire les articles 2831, 2833 et 2834 C.c.Q. [ROYER + LAVALLÉE, 2008, #382]

iii) Contre son auteur

[24] Contrairement à une croyance trop souvent véhiculée, et à une structure rédactionnelle de l’article 2832 C.c.Q. qui porte à confusion [DUCHARME, 2005, #441], le simple écrit ne vaut pas uniquement contre son auteur [DUCHARME, 2005, #441; ROYER + LAVALLÉE, 2008, #387]. Si évidemment il peut en être ainsi, ce n’est pas toujours le cas. En fait, des deux situations, c’est sans doute celle qui est la plus rare. Le simple écrit qui développe un contenu contraire aux intérêts de l’auteur relève donc de l’aveu [C.c.Q., art. 2850 et suiv.] et celui qui serait plus neutre ou en faveur de ce dernier devra être considéré comme un témoignage. Quoi qu’il en soit, dans les deux cas, nous sommes face à une déclaration faisant état de la connaissance (ou de la reconnaissance selon 2850 C.c.Q.) de faits passés ; aucune différence de nature existe donc entre les deux, simplement un régime distinct.

[25] Ceci dit, la déclaration favorable de l’auteur de l’écrit simple est entourée d’une suspicion bien naturelle. Une admissibilité différente sera donc de mise en fonction de l’auteur de la déclaration : c’est par exemple le cas d’un registre financier non vérifié , émanant de celui qui souhaite prouver un élément, qui aura évidemment une portée moindre qu’un bilan vérifié. Ceci étant dit, ce refus d’admettre de telles déclarations n’est pas systématique. Ainsi, de telles déclarations vont notamment être reçues en preuve afin de corroborer une preuve existante [ROYER + LAVALLÉE, 2008, #392; DUCHARME, 2005, #445].
S’il est souvent mentionné que leur admission est « exceptionnelle » [ROYER + LAVALLÉE, 2008, #386-388-397; DUCHARME, 2005, #445], cela doit d’abord et avant tout être compris comme devant être régi par le régime d’exception qui apparaît aux articles 2869 à 2874 C.c.Q. C’est ce que nous verrons maintenant.

iv) Respect des règles relatives au témoignage

[26] Dans l’hypothèse où la partie adverse ne reconnaît pas le contenu de l’écrit non instrumentaire, le consentement étant le moyen d’autoriser l’admission d’un témoignage [C.c.Q., art. 2869], l’exigence du respect des règles relatives au témoignage, tel que spécifiquement mentionné à l’article 2832 C.c.Q. est sans doute l’exigence principale qui permet de distinguer l’article 2831 et 2832 C.c.Q. Sans aller dans le détail, ce « botté en touche » que cette disposition effectue dans les règles relatives au témoignage amène à devoir respecter un certain nombre de conditions d’application supplémentaires [TESSIER + DUPUIS, 2012, #261-264], sous réserve encore une fois du consentement de la partie adverse. Souvent, le débat autour de l’admissibilité d’une déclaration extrajudiciaire va se limiter, outre la pertinence, à deux exigences principales : la nécessité et la fiabilité [C.c.Q., art. 2870]. Si la fiabilité est naturelle, avec de surcroît, d’une part, la possibilité de présomption de fiabilité en certains cas [C.c.Q., art. 2870 al. 3] et, d’autre part, une souplesse liée à l’appréciation qui en sera faite par le tribunal, la règle de nécessité est en revanche passablement plus exigeante.

[27] La condition de la nécessité ne nous apparaît aucunement liée au fait technologique. Nous ne la développerons donc pas comme elle mériterait de l’être. On peut simplement dire que cette exigence est sans aucun doute l’empêchement premier à la recevabilité d’une déclaration écrite [ROYER + LAVALLÉE, 2008, #722]. Car l’exigence demandée n’est pas simple : la déclaration extrajudiciaire ne sera possible que s’il n’y a d’autres choix, que si elle est nécessaire. Dit par la négative, l’empêchement à son admission devra se baser sur le caractère déraisonnable de la venue du témoin : déraisonnable à cause de l’impossibilité, de l’éloignement, des coûts engrangés par rapport à l’enjeu global ou à cause du faible apport présumé que le témoin est susceptible de donner en se présentant devant le juge. La demande auprès du tribunal pour que l’admissibilité soit assurée passera donc minimalement par une justification de ce critère, ce qui n’est pas toujours facile . Parmi les « méandres de l’application des conditions de recevabilité codifiées aux articles 2870 à 2874 C.c.Q. »  [FABIEN, 2012, #1114], l’exigence de la nécessité semble être l’écueil le plus acéré. Aussi, la facilité à rédiger des documents que procure les technologies doit se concilier avec l’interdiction de principe du ouï-dire qui dispose d’un régime d’exception, avec cette exigence, encore relativement limité.

[28] Le terme de fiabilité quant à lui est plus générique. Nous entendons par là que ce terme n’est généralement pas associé à une qualité à proprement parler du document mais davantage à une certaine « crédibilité » en général . Avec un terme aussi englobant, on est donc face à une exigence qui peut se matérialiser de différentes manières. Bien entendu, en premier lieu, le manque de fiabilité va concerner parfois le peu de « substance » à accorder à la déclaration proposée. La fiabilité peut donc référer à une composante « intellectuelle » de la déclaration, à savoir la crédibilité que l’on se doit d’y apporter [Gagné c. Société de l'assurance automobile du Québec, #26-32]. Mais la fiabilité, à tort ou à raison, fait parfois référence à d’autres exigences de la déclaration. En effet, parfois, le juge va douter de l’auteur du document [VERMEYS, 2010] ou de l’intégrité de celui-ci . Selon nous, ce questionnement est moins lié à la fiabilité du document et davantage à son authenticité. Il serait donc plutôt une question de force probante que d’admissibilité. Selon nous, la fiabilité devrait donc être davantage associée au contenu du document, voire aux conditions relatives à sa confection, qu’aux conditions d’authenticité (auteur et intégrité) qui sont inhérentes à tout document mis en preuve. Ceci dit, une interprétation libérale semble de mise [ROYER, 2003, #503; DUCHARME, 2005, #1289] notamment du fait des présomptions qui existent en la matière et particulièrement de celle pour les écrits non instrumentaires produits dans le cours des activités de l’entreprise et les registres exigés par la loi [C.c.Q., art. 2870 al. 3]. Relativement aux premiers, cette présomption ne devrait pas s’interpréter trop largement. N’oublions pas que de la même façon que pour l’hypothèse prévue à l’article 2831 C.c.Q. , la fiabilité que l’on peut en toute logique associer à un document élaboré dans le cours des activités d’une entreprise ne vaut que dans le cas où l’on peut constater une certaine répétition, une gestion documentaire un tant soit peu systématique.

B – Force probante

[29] Beaucoup plus rapidement, nous souhaitons finir en ajoutant quelques mots sur la force probante associée à de telles déclarations. Comme tous les documents, leur authenticité doit être consacrée, et ce, selon un principe de liberté probatoire laissant une large interprétation aux juges.

i) Authenticité

[30] La question de l’admissibilité de déclarations écrites est distincte de celle de leur force probante . Rendu à cette seconde étape, il importe de s’assurer si l’on n’est pas face à des faux, des documents altérés. Les deux composantes que sont le lien avec l’auteur et l’intégrité se matérialise souvent sous l’appellation d’authenticité . Comme tous les documents, il importe que l’écrit non instrumentaire mis en preuve sur la base de l’article 2832 C.c.Q. permette d’identifier clairement l’auteur de celui-ci. Pour l’application de cette disposition, il faut non seulement que l’on soit en mesure de prouver l’auteur de la déclaration mais aussi que ladite déclaration provienne bien de l’auteur lui-même et non d’une tierce personne . Des exceptions semblent néanmoins exister : il a par exemple été considéré que des écrits non instrumentaires dont les auteurs sont inconnus ou multiples peuvent néanmoins être présentés en preuve sur la base de l’article 2870 C.c.Q. Cette tolérance s’explique d’une part au regard du critère de nécessité précité [DUCHARME, 2005, #1365]; d’autre part, si nous avons déjà mentionné que si l’immense majorité des documents disposent d’un lien avec un ou plusieurs auteurs, il est quelques exceptions, rares, dont celle du document anonyme ou public. Dans un litige impliquant une poursuite contre des compagnies de tabac, plusieurs documents ont été acceptés en preuve en dépit du fait que les auteurs des documents sont incertains. Le juge a notamment tenu compte du fait que plusieurs des écrits non instrumentaires ont été élaborés il y a 40 ou 50 ans.

[31] Comme pour le lien avec l’auteur, la déclaration devra satisfaire le critère de l’intégrité, et ce, même si l’article 2838 C.c.Q. n’a pas pris le soin d’énumérer spécifiquement les autres écrits. Il n’y a donc pas lieu de faire une différence à ce sujet avec les écrits découlant de l’article 2831 C.c.Q.

ii) Liberté probatoire

[32] Ce qui caractérise les autres écrits est la liberté probatoire qui les entoure [C.c.Q., art. 2835], tout comme les témoignages auxquels le C.c.Q. réfère [C.c.Q., art. 2857]. L’appréciation du juge est donc déterminante. Cela dit, liberté de preuve ne veut pas dire absence de preuve [LECLERCQ, 1991, #183]. Aussi, la partie qui souhaite évoquer des écrits instrumentaires technologiques aurait avantage à documenter sa manière de faire. Et c’est là, encore une fois, que le droit s’en réfère aux sciences de l’information. Bien sûr, le « Droit » ne précise pas comment la documentation doit être faite et les prescriptions, qu’elles soient internes ou externes, qui doivent être suivies . Une grande liberté caractérise donc la manière de rédiger et d’appliquer la gestion de ces documents. Cet effort de documentation constitue pourtant en l’état des connaissances le meilleur moyen pour un juge d’évaluer, conformément à son pouvoir d’appréciation souverain, la diligence qu’une partie a employé pour ce faire.

[33] Aussi, en dépit de la différence de nature entre les deux grands types d’ « écrits » sous l’appellation des autres écrits, il nous apparaît que la donne technologique change la manière de gérer ces documents. Nous avons vu que des documentations externes peuvent être utilisées pour faire ressortir le caractère préconstitué inhérent aux écrits et donc à ceux qui répondent à la définition de l’article 2831 C.c.Q. Relativement aux autres « autres écrits », c’est-à-dire ceux qui répondent à la définition d’un témoignage, ou d’un aveu, conformément aux articles 2832, 2833 et 2834 C.c.Q., la documentation peut aussi avoir une utilité. Non pas tant pour satisfaire la raison d’être du document mais davantage pour étayer son authenticité et accessoirement densifier la fiabilité du contenu dudit témoignage. Les autres écrits technologiques constituent donc une belle illustration du fait qu’ils sont des documents ayant un caractère externe [SENÉCAL, 2010] dont il importe de tenir compte.


Dernière modification : le 1 mai 2012 à 9 h 15 min.