Extraits pertinents:

 

[69] Par ailleurs, je conviens qu'il aurait été approprié en l'espèce d'exiger le retrait de certains propos du forum de discussion. Il s'agit des propos que j'ai identifiés plus tôt, propos prononcés sous le couvert de l'anonymat par certains appelants qui ne contiennent que des insultes, des propos dégradants et pour lesquels les auteurs n'ont soumis aucune preuve susceptible d'étayer un tant soit peu une justification quelconque. Ces propos dépassaient les bornes d'un débat d'affaires publiques.

[70] L'utilisation de l'Internet aurait rendu nécessaire cette dernière ordonnance puisque la diffusion des propos diffamatoires ou injurieux en cause se poursuivait dans le cyberespace et les propos étaient accessibles à tous les internautes.

[71] Toutefois, la fermeture complète du site Internet n'était pas justifiée. En fonction de la preuve faite, la fermeture complète d'un forum de discussion qui contient 240 pages et qui traite de la vie municipale à Rawdon m'apparaît être une mesure extrême et trop drastique car, à la limite, le but recherché était le retrait d'un maximum de 22 paragraphes. Ce type de mesure s'avérera rarement approprié puisque non seulement une telle mesure met une fin brutale aux échanges déjà effectués, mais elle prive également les participants d'un mécanisme de communication futur auquel ils ont librement adhéré.

[72] Ceci m'amène à formuler de brefs commentaires sur les difficultés rencontrées lorsqu'il y a allégation de diffamation sur l'Internet.

[73] Il n'y a au dossier aucune preuve technique ni aucune expertise relative au mode d'opération du forum de discussion sur Internet à l'adresse rawdon@qc.net. L'on peut s'interroger sur les éléments suivants. Est-ce que l'accès au site est limité d'une façon quelconque ? Y a-t-il un tamisage possible de l'information avant sa diffusion ? Peut-on en imposer un ? Qui en serait responsable ? Y a-t-il un mécanisme pour interdire les commentaires anonymes ? Peut-on retirer du forum de discussion certains propos seulement ? Le cas échéant, qui aurait la capacité d'exécuter une telle ordonnance ? Le fardeau de cette preuve incombait aux intimés.

[74] Ces informations et d'autres, me semble-t-il, seraient essentielles pour permettre au juge de rendre une ordonnance qui vise à interdire ou retirer des informations qui circulent sur Internet, et ce, de façon la moins attentatoire à la liberté d'expression, à l'aide d'une ordonnance ciselée à des fins précises.

[75] En droit civil, le fondement du recours en diffamation se trouve à l'article 1457 C.c.Q.[23]. L'on sait également qu'une faute contributoire peut être commise par des tiers qui acheminent, diffusent ou hébergent l'information[24]. En l'espèce, les intimés identifient deux des appelants comme « modérateurs du site » alors que ceux-ci nient toute participation à cet égard. La preuve ne précise nullement leur rôle et leur pouvoir, le cas échéant. La seule inférence que l'on peut tirer de la preuve et des procédures est relative au pouvoir d'Inverdigm, société ontarienne qui hébergeait le site. Celle-ci a désactivé le site à la suite de l'ordonnance de la Cour supérieure de justice de l'Ontario du 28 février 2008.

[76] Je peux certes concevoir qu'un tel forum de discussion sur Internet comporte des règles d'accès, des normes de contrôle, mais cela ne peut pallier l'absence de toute preuve qui aurait permis de prononcer une ordonnance appropriée afin que les propos jugés clairement diffamatoires, que les appelants n'ont pas tenté de justifier, soient retirés immédiatement du site Internet.

Note de bas de page [24]: À cet égard, je dois reconnaître que les articles 22, 26, 36 et 37 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information (L.R.Q., c. C-1.1) tendent plutôt à diminuer sinon à soustraire certains tiers à toute responsabilité. Ceci ne met pas un terme pour autant à la responsabilité de tous les tiers dans tous les cas. Voir à ce sujet Pierre Trudel, La Responsabilité sur internet en droit civil québécois, Centre de recherche en droit public, Faculté de droit, Université de Montréal, en ligne(site consulté le 24 février 2010).


Dernière modification : le 10 août 2012 à 10 h 54 min.