Extraits pertinents :

[1] Le 10 février 2016, Maison St-Patrice inc. (l’employeur) dépose au Tribunal administratif du travail (le Tribunal) une requête en révision ou en révocation d’une décision rendue par celui-ci le 27 janvier 2016.

[2] Par cette décision, le Tribunal accueille la requête incidente de madame Julie Cusson (la travailleuse) et déclare irrecevables les extraits de son profil Facebook que l’employeur désirait déposer en preuve.

[4] L’employeur demande au Tribunal de réviser ou de révoquer la décision rendue le 27 janvier 2016 au motif qu’elle est entachée de vices de fond et de procédure de nature à l’invalider.

[12] En l’instance, l’employeur demande la révision de la décision rendue le 27 janvier 2016 aux motifs qu’elle est entachée de vices de fond ou de procédure de nature à l’invalider et se fonde sur le troisième alinéa de l’article 49 de la LITAT pour en demander la révision ou la révocation.

[13] Dans l’affaire Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve[7], la Commission des lésions professionnelles conclut que la notion de « vice de fond et de procédure de nature à invalider » réfère à une erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l’objet de la contestation. Cette interprétation a été reprise de manière constante depuis par la Commission des lésions professionnelles et le Tribunal.

[17] Le 25 avril 2013, la CSST rend une décision par laquelle elle reconnaît que la travailleuse a subi un accident du travail le 9 avril 2013 lui ayant causé une commotion cérébrale légère ainsi qu’une contusion à la tête, au cou et au thorax.

[21] La travailleuse témoigne à la demande de la procureure de l’employeur qui l’interroge longuement sur sa condition et son suivi médical.

[22] En cours d’interrogatoire, maître Gaudreault indique vouloir déposer en preuve des extraits du compte Facebook de la travailleuse.

[23] Le premier juge administratif intervient alors en mentionnant que puisque la travailleuse n’est pas représentée, il demande, d’office, à ce que l’employeur démontre que le dépôt de ce document ne soit pas de nature à déconsidérer l’administration de la justice. Maître Gaudreault soutient que cet élément est essentiel à sa preuve.

[24] Le premier juge administratif, référant de manière générale à la jurisprudence, demande à l’employeur de faire la preuve, par le témoignage de la travailleuse, de la nature publique de son compte Facebook.

[26] Elle explique que son compte est parfois public et parfois privé, c’est-à-dire restreint à ses « amis », selon la nature de ce qu’elle publie. C’est elle-même qui, à chaque fois qu’elle poste un commentaire ou des photographies, décide du degré de diffusion.

[27] La travailleuse, après avoir pris connaissance des extraits que veut déposer en preuve l’employeur, soutient que certaines informations y apparaissant relèvent du domaine privé, c’est-à-dire qu’elle avait restreint leur diffusion uniquement à ses amis Facebook.

[28] Maître Gaudreault, pour sa part, soutient que ces extraits ont été imprimés par l’ancienne directrice générale chez l’employeur et que si celle-ci y a eu accès, c’est qu’ils étaient du domaine public.

[29] Face à cette situation, le premier juge administratif ajourne l’audience afin que maître Gaudreault puisse assigner un témoin dans le but de démontrer que les extraits obtenus par l’employeur étaient du domaine public, c’est-à-dire accessibles à quiconque consulte le site Facebook. Il consigne le tout au procès-verbal en écrivant : « Dépôt page Facebook de la T. Preuve à faire par l’empl. sur le caractère public de la page Facebook ».

[33] La procureure de l’employeur informe alors le Tribunal que sa cliente a obtenu cette preuve par une autre employée qui est une amie Facebook de la travailleuse, mais que celle-ci a requis l’anonymat. Maître Lacoursière indique que l’authenticité du document n’est pas mise en cause. Toutefois, afin d’établir si l’obtention par l’employeur a été faite légalement, il doit connaître le nom de l’amie « délatrice » sans quoi, il ne pourra valider quoi que ce soit. Il soutient que sans le nom de la source, sa cliente ne pourra avoir droit à une défense pleine et entière.

[39] À une question posée par un membre du Tribunal lui demandant si elle connaît les raisons pour lesquelles madame Thivierge aurait remis à l’employeur des extraits de son compte Facebook, la travailleuse indique que c’est sûrement à la demande de madame Gagnon, car il s’avère que l’ancienne directrice générale lui a déjà demandé, dans le passé, d’aller chercher de l’information sur une collègue via sa page Facebook, ce qu’elle avait refusé de faire. Elle répond : « Je pense que c’est ce qui est arrivé, qu’elle [Madame Gagnon] a fait la même affaire ».

[40] En argumentation finale, maître Gaudreault soutient que la preuve démontre que les extraits ont été obtenus par une amie Facebook de la travailleuse, que cette preuve a été amenée volontairement à l’employeur et que ce dernier n’a rien fait d’illégal pour l’obtenir, bref, elle lui est arrivée « comme un cadeau du ciel ». Dès lors, il n’y a aucune raison de croire que l’employeur a agi par subterfuge ou de manière à déconsidérer l’administration de la justice.

[41] Maître Lacoursière, pour sa part, estime que, tant que l’identité de la source n’est pas dévoilée, tout demeure dans le domaine des suppositions. Sans l’identité de cette source, la travailleuse ne peut valider s’il s’agit vraiment d’une amie Facebook ou non. Il indique que même si c’était le cas, la question demeure à savoir si celle-ci a remis volontairement les extraits à l’employeur ou si elle a été obligée par une personne en autorité. Bref, il maintient que l’anonymat de la source prive la travailleuse d’une défense pleine et entière.

[42] À la suite d’une suspension de l’audience, le premier juge administratif rend sa décision séance tenante et déclare inadmissibles en preuve les extraits du compte Facebook de la travailleuse pour les motifs suivants :

➢ Premièrement, « compte tenu du fait que la travailleuse ne peut avoir droit à une défense pleine et entière étant donné qu’elle ignore le nom de la source à l’origine de ces consultations Facebook »;

➢ Deuxièmement, « compte tenu que, selon le témoignage de la travailleuse, l’employeur a déjà utilisé dans le passé un travailleur afin d’obtenir ce genre de document, ce qui s’apparente à un subterfuge ».

[44] Dans sa décision écrite, le premier juge administratif omet de traiter du premier motif portant sur la violation du droit à une défense pleine et entière en l’absence de divulgation de la source. Sa décision écrite porte uniquement sur le deuxième motif, soit l’atteinte des droits fondamentaux de la travailleuse et la déconsidération de l’administration de la justice.

[46] Il résume par la suite la question en litige comme suit :

[24] En l’espèce, et suivant les dispositions du C.c.Q. et de la L.j.a. précités, pour disposer de l’admissibilité de la preuve Facebook, il faut répondre aux questions suivantes :

1- Les conditions dans lesquelles l’élément de preuve a été obtenu portent-elles atteinte aux droits et libertés fondamentaux ?

Si oui :

2- L’utilisation de cette preuve est-elle susceptible de déconsidérer l’administration de la justice?

[51] Dans sa requête en révision, la procureure de l’employeur soumet essentiellement que le premier juge administratif a commis des erreurs déterminantes dans l’appréciation de la preuve en inférant, du seul témoignage de la travailleuse, que l’employeur avait obtenu les extraits du compte Facebook par des moyens frauduleux et par un subterfuge. Elle soumet également qu’en l’absence d’une telle preuve, le premier juge administratif ne pouvait déclarer que la preuve avait été obtenue en violation des droits et libertés fondamentaux de la travailleuse.

[57] De l’avis du Tribunal, il est clair que la procureure de l’employeur tente, par le biais de sa requête en révision ou en révocation, d’obtenir une nouvelle appréciation de la preuve à la lumière de nouveaux arguments.

[58] Les arguments qu’elle amène devant la soussignée auraient pu, et auraient dû, être soulevés devant le premier juge administratif. Bien qu’elle ait fait indirectement mention d’une expectative de vie privée moindre lorsqu’il est question d’informations émanant du compte Facebook dans son argumentation, en aucun temps la procureure de l’employeur n’a expressément plaidé devant le premier juge administratif que les enseignements de la Cour d’appel dans l’affaire Bridgestone ne trouvaient application et qu’il fallait donc écarter les conclusions émises par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Campeau[17] précitée. En outre, elle ne lui a pas soumis l’article sur lequel elle s’appuie longuement devant le présent Tribunal pour étayer ses prétentions. De plus, elle allègue devant la soussignée des faits qui n’ont jamais été mis en preuve devant le premier juge administratif, notamment sur le caractère public du compte Facebook de la travailleuse à l’époque pertinente.

[59] Le Tribunal rappelle que le recours en révision ou en révocation n’est pas un appel déguisé ni l’occasion pour une partie de bonifier sa preuve ou de peaufiner ses arguments[18]. Il ne s’agit pas non plus d’une occasion pour faire a posteriori ce qui aurait pu être fait lors de l’audience initiale[19]. C’est précisément ce que tente de faire la procureure de l’employeur.

[61] La procureure de l’employeur allègue également que le premier juge administratif commet d’autres erreurs de droit en ne se questionnant pas et ne disposant pas des règles de la pertinence et de la meilleure preuve qui sont les règles d’or en matière d’admissibilité de la preuve.

[62] Ces arguments ont été très brièvement soulevés par l’employeur devant le premier juge administratif alors qu’il n’en traite pas dans ses motifs. Toutefois, le Tribunal rappelle qu’un juge n’a pas à traiter de tous les arguments qui lui sont soumis.[20]

[67] Considérant l’état de la jurisprudence du Tribunal sur l’admissibilité en preuve d’extraits tirés de Facebook, l’employeur ne pouvait ignorer que le premier juge administratif pouvait fonder sa décision selon les critères établis dans l’affaire Bridgestone.

[68] Certaines décisions citées par la procureure de l’employeur elle-même référent à la décision Campeau[25], où la Commission des lésions professionnelles transpose à un cas impliquant Facebook le test édicté dans Bridgestone[26]. De plus, lors de l’audience, le procureur de la travailleuse a expressément soulevé que les critères énoncés dans Bridgestone[27] devaient s’appliquer s’il y avait un accès illégal au compte Facebook de la travailleuse.

[69] Qui plus est, plusieurs interventions du premier juge administratif laissaient percevoir qu’il pouvait s’en remettre aux critères établis dans la jurisprudence, et plus particulièrement dans l’affaire Campeau, puisqu’il a à maintes occasions insisté sur la preuve du caractère privé ou non du compte Facebook de la travailleuse ainsi que sur la notion de déconsidération de l’administration de la justice. La première audience a d'ailleurs été ajournée dans le seul but de permettre à l'employeur de faire la preuve du caractère public du compte Facebook de la travailleuse.

[70] Par ailleurs, en décidant d’appliquer les critères élaborés dans l’affaire Bridgestone, tout comme l’a fait la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Campeau, le premier juge administratif ne se démarque pas d’une jurisprudence unanime ni ne se dissocie d’un raisonnement juridique jusqu’alors bien établi, car il s’agit d’un reflet de l’état de la jurisprudence applicable en pareille matière.

[84] Lors du prononcé de sa décision rendue séance tenante le 2 septembre 2015, le premier juge administratif a clairement identifié deux motifs distincts au soutien de sa décision, le premier étant que la non-divulgation de l’identité de la source de l’employeur privait la travailleuse de son droit à une défense pleine et entière.

[86] L’écoute de l’enregistrement sonore de l’audience du 2 septembre 2015 démontre clairement qu’il s’agit d’ailleurs du motif principal invoqué par le procureur de la travailleuse au soutien de son objection au dépôt en preuve des extraits du compte Facebook.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

REJETTE la requête en révision ou en révocation de Maison St-Patrice inc., l’employeur.


Dernière modification : le 11 avril 2017 à 12 h 56 min.