EXTRAITS

6.3  L’interprétation de l’article 46 de la LNT et des dispositions de la LCCJTI

[62]        La norme de contrôle de la décision raisonnable doit être appliquée à l’interprétation de l’article 46 de la LNT et de la LCCJTI. Ces deux motifs de révision seront analysés ensemble.

[63]        L’article 46 de LNT prévoit que l’Employeur doit remettre aux salariés en même temps que son salaire, un bulletin de paie comprenant différentes mentions. Les parties s’entendent que le bulletin de paie d’Hydro-Québec sur support électronique est conforme à l’article 46 de la LNT. Ce n’est donc que la remise du bulletin de paie que l’Arbitre analyse aux termes de cet article.

[64]        Pour ce faire, l’Arbitre s’interroge sur la façon dont Hydro-Québec doit effectuer cette remise. Il analyse les sentences arbitrales que lui plaident les parties et partage le raisonnement élaboré dans l’une d’entre elles[33], de même que le commentaire de la Commission des normes du travail relativement à la remise du bulletin de paie prévue à l’article 46 de la LNT[34] :

[96]     Le Petit Robert donne les synonymes suivants au mot « remettre » : confier, délivrer, donner, laisser, livrer. La personne qui remet un document à quelqu’un pose un geste, agit, ce qui n’est pas le cas de celle qui reçoit le document, dont le rôle est complètement passif. Dans une publication intitulée « Interprétation et jurisprudence », datée d’août 2012, la Commission des normes du travail écrit ce qui suit relativement à l’article 46 de la Loi :

« interprétation

(…)

Cet article ne précise pas la forme que doit revêtir le bulletin de paie. Les informations peuvent donc apparaître, par exemple, sur support papier ou par voie électronique. Toutefois, l’obligation de l’employeur est de ‘’remettre’’ un bulletin de paie au salarié et non pas seulement de rendre ce bulletin accessible. »

(nos soulignements)

[65]        L’Arbitre poursuit son raisonnement en ayant recours aux définitions des mots « remettre » et « accessible ». Selon lui, pour les salariés qui acceptent de recevoir leur bulletin de paie sur support électronique, celui-ci est « présumé remis et cette transmission est par conséquent conforme à l’article 46 LNT »[35] et à l’article 31 de la LCCJTI[36] :

  1. Un document technologique est présumé transmis, envoyé ou expédié lorsque le geste qui marque le début de son parcours vers l’adresse active du destinataire est accompli par l’expéditeur ou sur son ordre et que ce parcours ne peut être contremandé ou, s’il peut l’être, n’a pas été contremandé par lui ou sur son ordre.

Le document technologique est présumé reçu ou remis lorsqu’il devient accessible à l’adresse que le destinataire indique à quelqu’un être l’emplacement où il accepte de recevoir de lui un document ou celle qu’il représente publiquement être un emplacement où il accepte de recevoir les documents qui lui sont destinés, dans la mesure où cette adresse est active au moment de l’envoi. Le document reçu est présumé intelligible, à moins d’un avis contraire envoyé à l’expéditeur dès l’ouverture du document.

Lorsque le moment de l’envoi ou de la réception du document doit être établi, il peut l’être par un bordereau d’envoi ou un accusé de réception ou par la production des renseignements conservés avec le document lorsqu’ils garantissent les date, heure, minute, seconde de l’envoi ou de la réception et l’indication de sa provenance et sa destination ou par un autre moyen convenu qui présente de telles garanties.

(nos soulignements)

[66]        Il est d’avis que cette présomption n’existe pas pour les salariés qui refusent de recevoir le bulletin de paie sur support électronique et que son envoi sous cette forme ne fait que le rendre accessible, ce qui ne remplit pas l’exigence de remise de l’article 46 de la LNT.

[67]        Une fois cette distinction faite entre remettre un bulletin de paie et le rendre accessible, l’Arbitre écrit que la remise sur support électronique n’est conforme à l’article 46 que si le salarié accepte de le recevoir sous ce support, vu l’article 29 de la LCCJTI[37] :

  1. Nul ne peut exiger de quelqu’un qu’il se procure un support ou une technologie spécifique pour transmettre ou recevoir un document, à moins que cela ne soit expressément prévu par la loi ou par une convention.

De même, nul n’est tenu d’accepter de recevoir un document sur un autre support que le papier ou au moyen d’une technologie dont il ne dispose pas.

(nos soulignements)

[68]        Ce raisonnement de l’Arbitre comporte les attributs de la raisonnabilité et est certainement l’une des issues possibles et acceptables, compte tenu de son analyse de la jurisprudence et de l’intelligibilité de ses motifs pour choisir l’un des deux courants qui lui est présenté. L’Arbitre n’est d’ailleurs pas le seul à retenir cette interprétation[38] :

[52] J'ajoute que si «Logibec» permet à la personne salariée de prendre connaissance des mises à jour de son horaire de travail individuel, le tout ne fait pas en sorte que la clause 9.08 concernant la cédule de travail est respectée. Il n'y a qu'une cédule et elle vise l'ensemble des personnes salariées. De plus,  l'article 29 alinéa 2 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information prévoit que « nul n'est tenu d'accepter de recevoir un document sur un autre support que le papier ou au moyen d'une technologie dont il ne dispose pas.» Cette disposition a fait l'objet d'interprétation dans l'affaire Commission scolaire des Monts-et-Marées. S'il est exact que le contexte était différent, il n'en reste pas moins que l'arbitre s'exprime comme suit au para. 128:

« L'Employeur ne peut ainsi obliger le personnel enseignant à recevoir un document sur un autre support que le papier ou au moyen d'une technologie dont il ne dispose pas. Je comprends que l'Employeur peut mettre à la disposition de son personnel des ordinateurs et des imprimantes, mais ce n'est pas ce que cette loi dit.»

[69]        Que la démarche de l’Arbitre ne soit pas la seule réponse possible à la question soulevée devant lui, ne lui retire pas les attributs de la raisonnabilité et le Tribunal doit se garder d’y substituer ses propres motifs[39].

[70]        Le motif de révision est ainsi rejeté.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[71]        REJETTE la demande introductive d’instance de pourvoi en contrôle judiciaire d’Hydro-Québec;

[72]        AVEC les frais de justice.


Dernière modification : le 5 décembre 2017 à 9 h 15 min.