Étudiants du cours DRT6903 24 novembre 2014 LCCJTI.ca, Preuve

Par Julie Robichaud, Avocate et étudiante dans le cadre du cours DRT 6903 (UdeM).

 

Dans le cadre d’une plainte pour congédiement injustifié, la Commission de la Santé et Sécurité du Travail a examiné l’admission d’une preuve audio. Dans sa décision rendue le 6 octobre dernier, la Commission a admis une preuve audio sous le motif que la preuve technologique est «présumée intègre».

 

Faits

Le 23 avril 2014, une travailleuse dépose une plainte à la Commission en vertu de l’art.227 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST). La travailleuse y soutient que son employeur « ne reconnaît pas l’avoir embauchée, l’a congédiée et ne lui a pas versé le paiement correspondant aux 5 premiers jours ouvrables et aux 14 jours suivants » (para. 2), puisque celle-ci l’a informé d’un retrait préventif dû à sa grossesse.

L’employeur soutient quant à elle que la travailleuse devait se plier à une période d’essai avant d’obtenir le poste. Des affidavits confirmant ce processus de sélection ont d’ailleurs été déposés à cet effet. Un affidavit soutenant qu’un autre travailleur a été choisi pour le poste ainsi que le livre de politiques de gestion expliquant le processus d’embauche ont également été déposés en preuve (para. 12).

La travailleuse nie ces allégations et dépose en preuve un enregistrement d’une conversation qu’elle a faite à l’aide de son téléphone intelligent. Cet enregistrement audio est accompagné d’une transcription faite par un aide juridique et signée par un commissaire à l’assermentation (para. 16). L’enregistrement corrobore la version des faits de la travailleuse.

Admission de la preuve audio

L’employeur s’oppose à l’admission de la preuve audio et soutient que « ce n’est pas sa voix et que l’audio a été altéré » (para. 22). La Commission a donc entrepris l’évaluation de l’authenticité de la preuve audio.

En se basant sur l’art. 7 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (la Loi), la Commission maintient d’entrée de jeu que la preuve audio déposée est «présumée intègre» (para. 25). Il appartient donc à celui qui conteste l’admission du document de démontrer par prépondérance de preuve, qu’il y a eu atteinte à l’intégrité du document. Selon la Commission, l’atteinte à l’intégrité du document n’a su être démontrée (para. 26). De plus, la Commission relève plusieurs facteurs qui militent en faveur de l’intégrité de la preuve :

En ce qui a trait à l’audio soumis par la travailleuse, la Commission lors de l’écoute identifie la voix de la travailleuse et de l’employeur. La preuve audio provient du téléphone intelligent de la travailleuse qui a servi à l’enregistrement de la conversation du 31 mars 2014. Cette dernière apparaît avoir été fidèlement retranscrite de façon professionnelle et de plus, signée par un commissaire à l’assermentation. (para. 26)

Ainsi, puisque la preuve a été jugée authentique (para. 27), qu’elle n’a pas été obtenue en contravention avec les droits fondamentaux de l’employeur (para. 28), et que la preuve est pertinente et contribue à la recherche de la vérité (para. 29), celle-ci est jugée recevable (para. 30).

Analyse

L’art. 7 de la Loi se lit comme suit :

Il n’y a pas lieu de prouver que le support du document ou que les procédés, systèmes ou technologies utilisés pour communiquer au moyen d’un document permettent d’assurer son intégrité, à moins que celui qui conteste l’admission du document n’établisse, par prépondérance de preuve, qu’il y a eu atteinte à l’intégrité du document.

Selon le juge du procès, l’interprétation de l’art. 7 de la Loi est assez simple : la preuve technologique est présumée intègre. Le fardeau de la preuve repose donc sur la partie qui désire contester l’intégrité du document de démontrer que ce dernier ne l’est pas.

Cette analyse apparait néanmoins incomplète. Comme l’expliquent les auteurs Vincent Gautrais et Patrick Gingras dans leur article « La preuve des documents technologiques », l’art. 7 constitue « une exemption de preuve visant à faciliter l’usage des technologies de l’information lors de la présentation d’un document technologique en preuve ». Les auteurs maintiennent alors qu’en « aucun cas l’article 7 ne saurait constituer une présomption d’intégrité à l’égard d’un document technologique. Il incombe donc à la partie qui souhaite déposer un document en preuve de démontrer l’intégrité du document […] ».

Ce raisonnement a d’ailleurs été appliqué dans la décision B.L. c. Maison sous les arbres, alors que la Commission d’accès à l’information a indiqué «n’y a pas lieu de prouver que le support du document permet d’assurer son intégrité, à moins que celui qui conteste son admissibilité n’établisse, par prépondérance de preuve, qu’il y a eu atteinte à son intégrité » (para. 46).

En somme, selon ces auteurs, l’exemption de preuve est « une exemption de prouver que le système informatique ou que l’environnement technologique du document est de nature à assurer l’intégrité du document, tentant de calquer quelque peu la situation qui s’applique au papier (voir http://lccjti.ca/article/article-7/) ».

En appliquant cette logique au cas en l’espèce, bien qu’il existe une présomption réfutable que le téléphone intelligent de la travailleuse enregistre fidèlement les conversations, elle aurait tout de même à démontrer l’intégrité de l’information du document que son téléphone a enregistrée. Un téléphone peut enregistrer fidèlement une conversation, mais cet enregistrement peut par la suite être altéré. En présumant que le document était intègre puisqu’on y reconnaissait la voix de l’employeur et que la transcription était fidèle à l’enregistrement qui a été présenté, le juge a omis de se demander si l’intégrité du document a pu être compromise entre le moment de l’enregistrement et le moment de la transcription. Si l’interprétation de Gautrais et Gingras est retenue, le juge du procès a alors inversé le fardeau de preuve, au détriment de l’employeur.